Lorsque, de très bon matin, le blizzard souffle, le chemin vers ce bureau très éloigné de mon domicile me semble encore plus parsemé d'embûches qu'en temps normal. J'atteins tout de même sans encombre la gare de Bruxelles-midi, où les panneaux d'affichage sont constellés de rouge et où les annonces de retard et de suppression de trains se succèdent.
Il aurait sans doute été plus sage de travailler chez moi aujourd'hui. Trop tard : je suis déjà dans un train qui roule à toute allure à travers la campagne flamande pour rattraper son retard. Après Leuven, le paysage est grandiose, proche du « blanc dehors » (whiteout), ce phénomène météorologique des régions froides du globe durant lequel l'horizon se noie complètement entre un sol d'un blanc immaculé et un ciel qui possède les mêmes tons laiteux.
Le train est évidemment plus chargé que d'habitude : toute personne sensée voulant tout de même parcourir de longues distances malgré le blizzard prendra le train et non la voiture. L'homme assis en face de moi, âgé d'environ soixante ans, semble vouloir faire un brin de causette. C'est un entrepreneur qui a rendez-vous chez un client à Liège : « Le client voulait annuler à cause du temps... "Hors de question !", lui ai-je répondu au téléphone, "Je suis déjà dans le train !" » ; « J'étais en France hier et j'ai vu trois chasses-neiges côte à côte sur l'autoroute ! Oui, oui, vous m'avez bien entendu : côte à côte ! Ils nettoyaient les trois bandes en même temps ! »
À la gare de Liège-Guillemins, un peu avant neuf heures du matin, les retards s'intensifient et atteignent parfois des proportions vertigineuses. Sur les quais, attendant ma correspondance (en retard donc), j'ai noté cette annonce, dont la ridicule précision horaire a provoqué chez moi un éclat de rire : « Attention. Suite à un problème à Trois-Pont, le train à destination de Herstal partira maintenant avec une heure et 54 minutes de retard. Veuillez nous en excuser. »
Finalement, je n'arriverai au bureau qu'avec quarante-cinq minutes de retard, ce qui n'est pas si mal compte tenu des conditions climatiques. Seules Sylvette et Christiane sont présentes. Mes autres collègues ne peuvent sortir de chez eux : leur voiture est bloquée et aucun bus ne circule. — Train ! Seigneur des neiges ! Héros de la glaciale et téméraire traversée ! Ce que tu as aujourd'hui accompli, aucun autre tas de ferraille n'en aurait été capable ! Georges-Jean Arnaud ne s'est pas trompé lorsqu'il t'a choisi comme moyen de transport privilégié de la nouvelle ère glaciaire qui recouvre la Terre dans La Compagnie des glaces ! Hourra ! Hourra ! Puisse ton règne durer jusqu'à ce que les pierres deviennent des roches recouvertes de mousse, comme ils disent par là-bas, dans l'Orient lointain.
Au soir, c'est la « panique sur le rail », écrivent les médias. Les navetteurs qui doivent rentrer chez eux se rongent les ongles, les panneaux d'affichage restent désespérément vides, etc. Je reste donc de longues heures à attendre qu'un train arrive ? Non, absolument pas : je réussis à en happer directement un et je suis de retour à mon appartement à dix-neuf heures, pour ne plus en sortir. — Train ! Seigneur des neiges ! Etc.
Cet article est à placer, comme souvent, dans la catégorie : « Qu'est-ce qu'on peut dire quand on a rien à dire ? »
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