jeudi 31 janvier 2013

Tranches - I

Pause café du matin. Un monsieur frappe discrètement à la porte d'entrée de notre bureau. « Bonjour... Peut-être vous souvenez-vous de moi ? Je suis le frère de Louis-Antoine... Nous nous sommes croisés au crématorium... Je suis en train de débarrasser l'appartement de mon frère et j'ai pensé que certaines archives pourraient vous intéresser... » Il se confie : « Je dois vous avouer que notre famille en a appris beaucoup sur Louis-Antoine depuis qu'il est décédé... C'était quelqu'un de très secret... Ce que nous avons découvert dans son appartement... Hem... Enfin, que voulez-vous ? On est bien obligé de faire le ménage, c'est la vie ! » (Il en a assez dit pour susciter ma curiosité et beaucoup trop peu pour la rassasier.)

« Nous allons devoir nous rendre chez lui pour trier ses affaires, frissonne Sylvette.
— Oui, et alors ?
— Ben ça ne va pas être facile : c'est un peu comme violer son intimité. »
(Suis-je le seul malade à trouver une excursion de ce type particulièrement excitante ?)

« Drôle de sensation que de voir ce gars débouler dans le bureau, remarque Charlotte. Il ressemble tellement à son frère ! Pendant une seconde, j'ai vraiment cru que c'était Louis-Antoine qui revenait d'entre les morts ! »

À force de la remettre à plus tard, l'ouverture de cette ridicule bouteille de Porto s'est métamorphosée en fantasme dans ma petite caboche. Maintenant que l'alcool est versé et que je peux le boire, la dégustation n'a plus aucun intérêt : c'est du Porto, voilà tout !

Dans le train du retour, une dame au téléphone : « Oui, allo ! J'aurais besoin de ton aide pour terminer mes mots croisés... Alors, je te lis la définition, hein... Voilà : "Carré d'un damier" en quatre lettres, et ça se termine par "S-E". Comment ? "Gase" ? Ça ne veut rien dire, ça, "Gase" !... Ha, "Case" ! Bon, d'accord, si tu le dis... Merci... Et ici, en cinq lettres, "Trophée" — avec "É" et "E" au bout — "de l'Indien"... "Trophée de l'Indien", oui... Avec un "C" en deuxième position. J'avais pensé à "Totem" mais ça ne rentre pas à cause du "C" en deuxième position... Comment ? "Scalp", dis-tu ? Tu écris ça comment ? D'accord... » (Peut-être devrait-elle essayer le sudoku ?)

Le soir, en compagnie de Carmela, Alizé et Pat, une conférence de Jacques Sojcher au théâtre Marni autour d'un aphorisme de Nietzsche (« Nous avons l'art pour ne pas mourir de la vérité »). « Comment en parler pendant une heure alors que le sujet en demanderait cinquante ? » : c'est approximativement de cette manière que le professeur de philosophie a introduit son exposé. (Effectivement, une heure, c'est très court : je n'ai pas appris grand-chose mais j'ai souvent acquiescé, mentalement du moins.)

« Je suis des cours de solfège avec un de tes potes... Un roux..., me lance Carmela.
— Un pote roux ?
— Oui, oui... Il est aussi dessinateur !
— Ha oui, Georges ! C'est amusant, ça ! »
(C'est Georges qui va être content : il apparaît dans ce blog, même quand je ne le rencontre pas en personne.)

« Donc, vous suivez tous les deux des cours de solfège dans l'ancienne école de ma fille !
— Ha bon ? Tu as une fille ?
— Eh bien ! Oui ! »
(Ah là là ! Si tout le monde lisait ce journal, ce genre de surprise ne pourrait plus exister.)

Ces gens qui prennent tout ce que je raconte au premier degré : je pourrais m'inventer une aventure au pôle Nord sans que ça ne les fasse tiquer !

« Ha-ha ! Vous avez vu Melancholia ! Et alors, comment l'avez-vous compris, ce film ? », leur demandé-je... Apparemment, ils ne l'ont pas du tout compris comme moi, alors je m'enflamme, heureux de pouvoir partager ma découverte : « La planète n'existe pas ! C'est simplement la dépression de Justine ! Et les chevaux qui s'arrêtent toujours avant de traverser le pont, qui ne peuvent sortir de cet univers clos... C'est limpide ! » Mais Alizé semble vexée : « Il n'y a pas qu'une seule vérité, tu sais, Hamilton ! » (Ça m'apprendra, tiens, à vouloir partager mes joyeuses prises de tête !)

De retour à l'appartement. Mary est là. Nous écoutons Grizzly Bear (« les plus belles harmonies pop depuis les Beatles ! ») ainsi que le sous-estimé Jason Lytle, ex-Grandaddy. Le dernier album solo de ce dernier, Dept. of Disappearance (octobre 2012), porte bien son nom : à peine est-il sorti qu'il a déjà disparu ! Peut-être, à l'instar de Mark Oliver Everett, Jason Lytle est-il l'homme d'une seule chanson, celle dans laquelle il explique merveilleusement bien qu'il n'est pas du tout à sa place dans ce monde ? — Encore un mélancolique !

Last Problem of the Alps by Jason Lytle on Grooveshark

mercredi 30 janvier 2013

Biotope

« Capitalisme fleuri » : une expression utilisée récemment par le philosophe français Alain Badiou pour désigner l'actuelle politique de François Hollande et qui irait tout aussi bien à celle de tout dirigeant estampillé « socialiste » actuellement en place sur le Vieux continent. — Il est strictement impossible d'exercer le pouvoir aujourd'hui sans être capitaliste : la social-démocratie est un capitalisme qui se cache.

Jules Guesde revient hanter les cénacles. — « Le Parti socialiste, parti de classe, ne saurait être ou devenir, sous peine de suicide, un parti ministériel. Il n'a pas à partager le pouvoir avec la bourgeoisie dans les mains de laquelle l'État ne peut être qu'un instrument de conservation et d'oppression sociales. Sa mission est de lui arracher, pour en faire l'instrument de la libération et de la révolution sociales. » — Tous ces suicidés lui ont bien démoli la gueule, au vieux Jules !

« Grouillons ! » — « Grouillons ! Grouillons à la surface de ce fruit mais jamais en profondeur ! Décidons de sa couleur, de ses bosses et de ses craquelures, mais ne nous attaquons jamais au noyau ! Vous rendez-vous seulement compte de ce que cela signifierait pour nous ? Que nous devrions trouver un fruit qui n'est pas mûr, peut-être même un fruit qui n'existe pas encore — à peine un bourgeon ! »

Biotope. — Ceux qui ne comprennent pas (ou font semblant de ne pas comprendre) le comportement de Lakshmi Mittal sont comme ces petites sardines inoffensives qui s'étonnent que la bouche du requin se referme soudainement sur elles. — Plutôt que de s'énerver contre le requin, mieux vaut s'intéresser à ceux qui garantissent et enrichissent son biotope.

mardi 29 janvier 2013

Apiculture

Dîner d'équipe ce mardi, dans un restaurant à la fibre sociale. Le vin ne coule pas à flots mais presque. La serveuse est terriblement gauche mais on s'en fout. Je suis le seul homme entouré de huit femmes : le Grand Manitou est malade et Louis-Antoine est mort et incinéré.

Gare de Liège-Guillemins, le soir. Perdu dans mes pensées, je passe devant Amely sans la voir (« regards curieux et scrutateurs » mon cul !). Faut dire pour ma défense qu'elle a coupé ses cheveux. Je reprends le train avec cette ancienne navetteuse qui aujourd'hui se dit fatiguée parce qu'elle doit terminer son travail très rapidement avant de partir au Pérou pour élever des abeilles (c'est une obsession !).

Le souper organisé par Mary à l'appartement est annulé pour de ténébreuses raisons. Je me retrouve donc seul à la Maison du Peuple de Saint-Gilles, par défaut. « Pourquoi donc toujours à la Maison du Peuple ? », me demande-t-on parfois. Parce que, à l'exception des amateurs de chaises vides, la majorité des gens qui s'y trouvent me laissent en paix. (Est-il possible de comprendre cela ? Que j'ai beaucoup plus de facilités à me concentrer quand je suis isolé à la lisière de l'activité mondaine que lorsque je suis seul chez moi ?)

« On ne rapporte pas les chaises de l'extérieur ! », s'énerve un des serveurs devant des clients par trop enthousiastes.

C'est la soirée « Quiz » aujourd'hui... « Qui a écrit Les Voyages de Gulliver ? Je répète : qui a écrit Les Voyages de Gulliver ? »

Est-ce un rêve ? Non, ce n'est pas un rêve : je viens à nouveau de déverser une flaque de bière sur le clavier de mon nouvel ordinateur... Suis-je maudit ? Non, je suis seulement très maladroit.

Les deux jeunes femmes à ma gauche discutent de psychologie cognitive mais je ne note pas ce qu'elles racontent : je suis trop occupé à enlever vaillamment le liquide indésirable à l'aide d'un bout de tee-shirt. Je suis irrécupérable, à l'inverse d'ailleurs de mon clavier qui, du moins semble-t-il, n'a apparemment pas tellement souffert de cette maladresse !

lundi 28 janvier 2013

« Oh, un piano ! »

Loupe pour les oreilles. — Seul à l'appartement. J'utilise pour la troisième fois en un mois le casque audio de Mary, un Beats By Dre™ qui coûte la peau des fesses et qu'elle voudrait utiliser dans un futur plus ou moins proche pour mixer de la musique (enfin, peut-être). La qualité cristalline du son qui en sort restitue minutieusement chaque petit détail enfoui dans les diverses strates mélodiques mais aussi, quelquefois, la mauvaise compression audio de certains morceaux. — Écouter de la musique en ligne avec un tel matériel peut facilement devenir un cauchemar ; écouter un vinyle par contre...

Déjà-disparu. — Une fugace impression de déjà-vu : comme si j'avais déjà écrit quelque chose concernant ces casques-là dans mon journal, exactement dans les mêmes circonstances et avec les mêmes pensées en arrière-plan... Le temps de rédiger ce petit paragraphe et la sensation a déjà disparu ! Déjà-vu, déjà-disparu !

Wonderful, Glorious. — Mark Oliver Everett, fils du physicien Hugh Everett et cerveau derrière le groupe Eels, n'a jamais fait, dans tous ses albums, que décliner la même chanson des centaines de fois : de la mélancolie, de l'ironie, beaucoup de dépression et un soupçon de pâquerettes ! — Il suit en cela, mais dans un domaine complètement différent, la même trajectoire que son défunt père : tout comme lui, il invente plusieurs mondes à partir d'un seul.

Morts absurdes. — Je m'intéresse pour l'instant aux morts inhabituelles et insolites, celles qui, à la lecture du compte rendu, laissent dans l'esprit un sentiment d'ironie, de perplexité et d'absurdité face à la vie. L'encyclopédie en ligne Wikipédia francophone en propose une liste, mais on privilégiera la version anglophone, plus complète et mieux renseignée : du vieux Milon de Crotone (qui selon la légende s'est fait dévorer par des loups en essayant de fendre un chêne à moitié abattu) à Richard Sumner (artiste schizophrène et dépressif qui s'est menotté à un arbre afin de se laisser mourir de faim... pour apparemment changer d'avis après coup sans pouvoir se libérer), en passant par l'acteur Vic Morrow (décapité par des pales d'hélicoptère lors du tournage de La Quatrième Dimension de John Landis), la liste regorge de morts profondément ridicules et nous rappelle, si besoin est, que le diméthylmercure n'est pas bénin, qu'un cure-dent est une arme mortelle ou encore qu'il ne faut surtout pas sauter depuis le premier étage de la Tour Eiffel avec un parachute de fortune.

Chester Brown et les prostituées. — Chester Brown, le dessinateur de bandes dessinées canadien libertarien, auteur notamment du très documenté Louis Riel (lu dans l'avion au retour du Québec), raconte dans un assez long roman graphique sa décision d'abandonner toute forme d'amour « romantique » pour passer au sexe tarifé : Vingt-trois prostituées (Pay For It en anglais, 2011)... Un récit autobiographique transpirant l'honnêteté, dans lequel il décrit (et dessine) avec beaucoup de méticulosité l'avant, le pendant et l'après de ses relations avec des escort girls : les pensées, l'acte sexuel en tant que tel, les discussions... Qu'on soit ou non d'accord avec le gaillard, c'est un ouvrage à lire !

dimanche 27 janvier 2013

Au-delà de l'infini

Rien à faire ? — Gaëlle me raconte : « Lucas était puni ce vendredi. Il était dans le coin et ne pouvait pas bouger. Il m'a posé cette question : "Qu'est-ce qu'on peut faire quand il n'y a rien à faire ?" C'est une question intéressante, tu ne trouves pas, Papa ? "Qu'est-ce qu'on peut faire quand il n'y a rien à faire ?"
— Et qu'est-ce que tu lui as répondu ?
— Je lui ai répondu : "Rien du tout ! Quand il n'y a rien à faire, tu ne peux rien faire du tout !" Avec ma réponse, il va réfléchir jusqu'à l'infini, tu ne crois pas ? »

Adieux déchirants. — Une tragédie : « Je ne veux pas rentrer à la maison ! Je veux rester avec toi ! Demain, on se lèvera tôt et j'irai à l'école en train depuis Bruxelles !
— C'est la vie, Gaëlle. Tu dois rentrer chez ta maman.
— "C'est la vie" ? Non, je ne veux pas que ce soit ça, la vie ! »
Crise de larmes, bouderie, nouvelle crise de larmes, puis : « Je ne veux pas te quitter !
— Moi non plus, je ne veux pas te quitter, mais que veux-tu que je fasse ? »
Elle voit que je suis au bord des larmes et esquisse un petit sourire. Par tous les diables, est-il possible qu'elle se rende compte que son discours me touche et qu'elle a marqué un point ? Oui, c'est possible. (Ma fille possède une intelligence tactique. Je ne vais pas m'en plaindre outre mesure : ça lui servira.)

Die Fackel. — Soudain, je me suis dit : « Il faut que je lise Karl Kraus ! » (Quelques aphorismes, un extrait de Troisième nuit de Walpurgis et un mot de Jacques Bouveresse dans une de ses conférences en ligne m'ont définitivement convaincu.)

« Ça ne se voit pas extérieurement, c'est intérieur ! » — Compression sévère de mon cercle d'amis, solitude (volontaire souvent, subie quelquefois), pile de livres qui s'amoncellent dans mon appartement, regards curieux et scrutateurs, pensées qui s'entrechoquent, qui s'enchaînent et qu'il me faut saisir au vol de peur qu'elles ne s'échappent : je suis dans une phase d'éveil, peut-être la plus intense de ma vie depuis la lecture de Dune en début d'adolescence. Tout est limpide par instants (par flashes) et je rêve ardemment de dévorer des pans entiers de pensées étrangères ! (Ma capacité de lecture est hélas enfermée dans une petite cage... et le rapport de ce qui est à lire à ce qui est lu sera toujours à mon désavantage.)

samedi 26 janvier 2013

Gwendoline & Nosferatu

Que se passe-t-il aujourd'hui ? Pas grand-chose... Je suis chez mes parents pour le week-end. Gaëlle, qui se remet lentement d'un état grippal, joue la chasseresse sur World of Warcraft pendant que j'avance dans cette nouvelle aventure du Professeur Layton. Je passe une heure chez ma grand-mère, je lis, je me repose, je mange... La routine... Une ombre au tableau : mes parents n'ont pas été réapprovisionnés en café et sont obligés de... rationner ! Heureusement, il reste les expressos préparés par mon père.

L'histoire du soir. — Racontée à Gaëlle : l'histoire d'une fée du nom de Gwendoline, amoureuse d'un vampire du nom de Nosferatu (pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ?). Gwendoline, malgré l'interdiction formelle de sa mère, profite de la nuit pour s'envoler vers la Transylvanie, afin de retrouver son bien-aimé. Elle vole trois jours et trois nuits jusqu'au sinistre château de Nosferatu, mais lorsqu'elle frappe à la porte de ce dernier, elle tombe sur un majordome contrit : « Hélas ! Mademoiselle arrive trop tard : Nosferatu est mort hier ! Les villageois sont montés jusqu'ici avec des flambeaux et ont assassiné mon maître d'un coup de pieu dans le cœur. Ils ont enterré sa tête dans le jardin et brûlé son cadavre au hameau dans un grand feu de joie ! » Alors, la fée pleure sans discontinuer pendant deux jours et deux nuits, mais le troisième jour, elle prend une terrible décision !
« Elle rentre chez sa maman ? demande Gaëlle.
— Oh que non ! Elle décide de se transformer en fée noire et de se venger...
— Se venger ?
— Oui. Elle jette un sortilège sur tout le village, hommes, femmes, enfants, vieillards, sans aucune distinction... "Puisque que vous avez tué cruellement mon amoureux", ricane-t-elle, "soyez à votre tour des proies !" Et elle les transforme tous en vampires déchus, condamnés à être pourchassés par les habitants des autres villages alentour...
— Mais le vampire qu'ils ont tué... Nosf... Nosferatu... Il était gentil ou méchant ?
— Oh, "gentil" n'est peut-être pas le bon terme, mais en tout cas, c'était un vampire pacifique. Ça faisait très longtemps qu'il n'avait plus mordu un cou pour boire du sang...
— Donc ils l'ont tué pour rien ?
— Oui... Mais tu sais, les villageois n'aiment jamais les vampires, c'est bien connu...
— Moi, à la place de la fée, je les aurais transformés en crapauds ! »

vendredi 25 janvier 2013

En secret

Layton 4. — Je l'ai en main, ce Professeur Layton et l'Appel du Spectre, quatrième épisode des aventures du célèbre archéologue et « énigmologue » sur Nintendo DS (voir ICI et ). À la longue, on pourrait presque imaginer qu'il s'agit d'une publicité déguisée de ma part (ce qui serait pour le moins exceptionnel et décevant dans ce journal), mais non ! Je suis simplement hanté par ce jeu : il faut que je trouve la solution de chaque énigme au plus vite avant de passer à autre chose. La société éditrice Level-5 a annoncé que le prochain numéro (le sixième de la lignée), intitulé Professeur Layton et l'Héritage de la Supercivilisation A, sera le dernier de la série : de quoi me plonger dans un horrible marasme...

Ruban isolant. — Qui aurait pu croire que la combinaison d'un rouleau de ruban isolant et d'une guitare électrique donnerait ce son- ? Avec l'album Shields de Grizzly Bear, An Awesome Wave d'Alt-J constitue à n'en pas douter l'une de mes plus belles découvertes musicales de l'année 2012.
 
En secret. — En ce moment, Gaëlle parle beaucoup de son cerveau comme d'un intermédiaire qui travaillerait pour elle mais dont les opérations se feraient partiellement en arrière-plan, sans qu'elle en ait conscience (comme tout le monde, oui, mais en l'occurrence, c'est surtout le fait de le constater de vive voix qui est amusant et curieux) : « Mon cerveau me dit que la réponse à cette énigme est "4", mais je ne sais pas expliquer pourquoi ! » ou « Ce n'est pas moi qui ai retenu ce numéro, c'est mon cerveau qui l'a fait tout seul ! » Son discours est à rapprocher de celui de cette vieille militante syndicale (voir ICI) qui affirmait que son cerveau « travaillait en secret » (une très belle expression).

En secret, II. — « Oh, tu peux être certaine que c'est de cette manière que ça s'est passé ! » Et voilà que nous nous mettions alors à reconstituer la façon dont une série d'événements et de prises de décision s'étaient sans doute déroulés, et ce, à partir de quelques éléments disparates, quelques indices considérés comme significatifs par d'inconnus processus cognitifs inconscients. Aucune preuve, aucune démonstration, juste un « c'est comme ça » difficile à expliquer. (Voilà une bonne manière de se tromper sur les autres, d'imaginer les histoires les plus folles, voire de sombrer dans la paranoïa... Mais quand il s'est avéré que nous avions raison, parfois, ah ! Quelle satisfaction !)

Dans le saloon de ma conscience. — Il me téléphone à plusieurs reprises. Fidèle à ma promesse, je ne décroche pas et néglige ses deux messages laissés sur le répondeur. Ensuite, je coupe tout bonnement mon téléphone pour le reste du week-end. Cette campagne de suppression peut paraître extrêmement sévère mais elle constitue néanmoins — j'en suis convaincu — le seul moyen de me débarrasser de cette amitié qui m'étouffe et ne m'apporte rien d'autre que l'observation rapprochée d'un narcissique compulsif. « Oh, comme il doit être malheureux ! Il ne mérite pas un tel mépris ! », se plaint cette part de ma conscience soucieuse du bien-être des autres, tandis que l'autre, celle qui depuis des décennies tente de dégommer tout ce qui n'est pas rigoureusement authentique, débarque et la descend d'un coup de fusil. « Le mérite n'a rien à voir avec ça », sort cette dernière, dédaigneuse, impitoyable même ! Elle a sans doute raison, pour une fois. — Une intuition : il a ensuite passé un coup de fil à Mary. S'il ne l'a pas fait, je bouffe ma casquette Yonex !

jeudi 24 janvier 2013

Nombril béant

Rêve de nombril ouvert.Je touche mon nombril (un tic que j'ai insidieusement acquis, hors de tout rêve, depuis ma cholécystectomie par incision ombilicale) et mon doigt s'enfonce dans la chair, sans retenue. Je regarde mon ventre et me rends compte que cet ombilic qui devrait être un simple creux est curieusement devenu un trou béant donnant sur l'intérieur de mon corps. J'y aperçois un organe grisâtre et vivant. Je ne saigne pas. Je ne suis pris d'aucune panique mais je pense tout de même que cette « ouverture directe vers ma mécanique intérieure » n'est pas normale et qu'il faudrait que je contacte au plus vite un chirurgien... — Et le réveil sonne ! Bien sûr, même si je sais pertinemment que ce n'était qu'un rêve, je vérifie tout de même l'état de mon nombril.

Intérieur des corps. — On pourrait développer toute une théorie farfelue sur la symbolique de ce nombril béant rêvé (sur l'« ego sacrifié », le « néant du moi », voire même une pensée aux contours plus sexuels ?), mais il faudrait plutôt chercher du côté de cet aphorisme de Nietzsche que j'ai lu hier en début de soirée (Le Gai savoir, §59) qui traite, du moins dans sa première partie, de « l'être humain sous la peau », plus précisément de cette abomination qui consiste à considérer un être aimé (une femme aimée) comme autre chose qu'une simple âme/forme, comme un corps lui aussi esclave des nécessités de la nature. (Je comprends très bien cette idée pour l'avoir moi-même déjà pensée à de nombreuses reprises sous d'autres formes : pourquoi cette peau est-elle si lisse et si belle alors que l'intérieur du corps ne semble pas soumis à pareille esthétique ? Mais c'est retourner le problème : la peau humaine ne nous paraît-elle pas agréable à la vue et au toucher simplement parce que nous la voyons et la touchons tout le temps — parce que nous y sommes habitués —, alors que nous observons beaucoup plus rarement, voire jamais, des viscères grouillantes ?)

Antiphilosophie. — Lu d'une traite : L'antiphilosophie de Wittgenstein, un éclairant traité signé Alain Badiou. En premier lieu, j'y ai appris le concept même d'« antiphilosophie », terme que Badiou emprunte à Lacan et qui désigne une pratique reconnaissable aux trois grandes opérations qui la constituent : 1) la destitution pure et simple de la philosophie en tant que discours de la vérité ; 2) l'affirmation que l'essence de la philosophie ne réside pas dans la théorie (considérée comme toujours fallacieuse) mais dans l'acte lui-même ; 3) le disqualification de la « maladie philosophique » à l'aide d'un acte d'un genre nouveau, de nature a-, anti- ou supra-philosophique, qui veut se situer en dehors de la philosophie. Parmi les antiphilosophes modernes, on retrouve notamment Kierkegaard, Nietzsche, Wittgenstein, Lacan... — Dans son texte, Badiou explicite puis critique certains points centraux de la doctrine du Tractatus logico-philosophicus, montrant en quoi la démarche alors « définitive » de Wittgenstein relève de l'antiphilosophie. Il ne fait par contre qu'effleurer l'œuvre du « second Wittgenstein », celui des Investigations philosophiques et autres textes jamais publiés de son vivant. Ce Wittgenstein-là, qui troque le ton péremptoire de son premier chef-d'œuvre (le Tractatus) contre une philosophie tourbillonnante faite de questionnements toujours fuyants, Badiou avoue ne pas l'aimer. — (Ce petit livre m'a permis de beaucoup mieux saisir certains passages du Tractatus et aussi, dans le même élan de compréhension, d'en cerner les limites. J'ai pris des notes, mais je remets à plus tard l'éventuel compte rendu.)

Et l'humain dans tout ça ? Beaucoup de lectures et de pensées multiples ces derniers jours, mais très peu d'humains en chair et en os ! Certes, l'humain est fort absent de mon journal ces jours-ci, mais je ne vais pas inventer des rencontres pour le simple plaisir de combler mes propres vides relationnels. 

Pour tempérer le propos précédent... Hier, un coup de fil de Léandra, une belle discussion avec Mary à l'appartement, quelques bières et même trois cigarettes. « Ça va, Hamil ? Tu as rencontré quelqu'un ? », me demande-t-elle alors que je souris sans raison, debout, cigarette en bouche, devant la fenêtre ouverte de la salle à manger. — Non, non, absolument personne, mais il y a quelque chose de propre à l'instant qui me rend heureux : la cigarette, l'air froid qui s'engouffre dans l'appartement et qui effleure mes joues, le panorama sur la nuit bruxelloise, les habitations, les cheminées, ce genre de choses...

mercredi 23 janvier 2013

Alerte !

Retour sur le §II. — ... Ou peut-être que l'Univers ne disparaît pas malgré l'absence de tout observateur ? — Quand bien même, à quoi bon tisser cette fausse histoire du futur ? Pas besoin d'aller aussi loin : je meurs et l'Univers disparaît soudain ! (Vu de cette façon, l'Univers est une sacrée dépense d'énergie pour une et une seule personne.) — ALERTE ! ALERTE ! Alerte au solipsisme !

Exterminateurs. — Je devrais installer des exterminateurs à chaque recoin de mon cerveau : contre le solipsisme, contre le pessimisme et, avant tout, contre le romantisme ! — C'est qu'il revient au galop, ce cheval corrompu : j'observe un champ de blé et il y installe des corbeaux et des nuages sombres ; je regarde une mer paisible et il transforme la scène en un pénible naufrage ! (Il y a certes quelque chose de beau et d'attirant à considérer la nature comme un tourment ; à contempler un ciel d'orage et se dire : « Voilà : l'apothéose de la vie se trouve dans les éclairs et la destruction ! »)

Duels permanents. — Enfant, même si je ne le savais pas, j'étais d'un classicisme et d'un optimisme patentés : sûr de moi, sourire en coin, confiant dans l'ordre du monde (un esprit très sain, à n'en pas douter). Et puis voilà qu'arrivent l'adolescence et sa succession de défaites émotionnelles et de replis en tout genre... Que faire si ce n'est continuer à lire et à apprendre (et à jouer aussi) ? Que faire si ce n'est me fondre dans la science-fiction et dans les étoiles ? — Aujourd'hui encore, ce sont ces deux êtres-là qui se partagent une part substantielle de ma conscience : d'un côté, ce petit gamin très éveillé, très mature et très confiant qui avait été choqué que son institutrice de deuxième primaire lui reproche de ne pas avoir bien tracé un cercle à la craie au tableau (pourquoi ce souvenir remonte-t-il à la surface aujourd'hui ? Mystère !) ; de l'autre, cet adolescent dont l'image n'était plus que l'ombre de l'image du premier, mais qui continuait à réfléchir de la même manière malgré tout. — Aujourd'hui donc, face à chaque événement, l'enfant en moi me dit d'être optimiste et analytique quand l'adolescent en moi me crie d'être pessimiste... et tout autant analytique. — Et l'adulte en moi ? Il n'a jamais existé, ce cuistre sans intérêt ! L'adulte, c'est purement et simplement la résignation de l'idéal et du rêve ! (ALERTE ! Au romantisme cette fois ?)

Venus.
— Profil altier, cheveux blonds (comme la Venus de Botticelli), et puis ces yeux bleus singuliers en amande et ce terrible sourire évasif, entre l'amusement et le mystère... Il est possible que les trois paragraphes précédents soient intimement liés à cette furtive apparition dans ce tram que j'ai pris au retour du travail. — Une apparition qui arrête pour un temps le flux des pensées pour se focaliser sur un seul constat persistant : Dieu que les femmes sont belles !

mardi 22 janvier 2013

Forage de boule

Forage de boule, prologue. — « Comment est-ce possible ? », me demande Lodewijk, interloqué, « Comment est-il possible que toi, qui déclares n'avoir aucun problème à prendre la parole en public [j'ai réussi à faire gober cette énormité à tout le monde, y compris à moi-même], puisses être à ce point angoissé par la simple idée d'aller faire forer ta boule de bowling ?
— C'est que... Hem... C'est difficile à expliquer, lui réponds-je. J'ai peur d'être complètement ridicule, avec cette boule que je sais à peine tenir en main... J'imagine que ce professionnel va me poser plein de questions techniques auxquelles j'aurai le plus grand mal à répondre, ou bien qu'il va me demander de l'essayer sur la piste et qu'ils vont tous rire de moi... »
Je pense que je parais plus stressé devant mes collègues que je ne le suis réellement. Par contre, je cerne parfaitement le problème qui me tenaille : mon absence totale de maîtrise. J'angoisse dès que je perds la maîtrise, ou plus précisément : dès que je sais pertinemment que je n'ai strictement aucune maîtrise. (En fait, ce qui me donne cette nausée très particulière, c'est avant tout le fait de remettre mes propres capacités entre les mains d'autrui — d'apprendre autrement que confortablement installé dans le nid douillet de l'autodidaxie.)

Armstrong. — « Tsss... », se lamente mon libraire des Guillemins en lisant le journal, « Il va encore se faire du fric avec tout ça !
— Qui donc ?
— Lance Armstrong ! Il va encore toucher des droits, avec ce film qu'on tourne sur lui. Typiquement les Américains, ça... Ils sont comme ça... C’est comme pour la Lune !
— La Lune ?
— Oui, la Lune ! Moi, je n’y crois pas une seule seconde, à cette histoire de Lune : je ne crois pas qu'ils soient réellement allés sur la Lune. Je suis comme saint Thomas : je ne crois que ce que je vois. »
(Va-t-il enchaîner sur l'utilisation de la trompette dans le jazz ? Non. Dommage...)

Forage de boule. — Je l'aime bien : il est du genre passionné, pince-sans-rire, circonspect et méticuleux. Il m'explique qu'il veut « renverser toutes les quilles », faire un strike dans le monde conservateur du bowling professionnel belge (il n'a pas utilisé de telles expressions, mais celles-ci n'ajoutent-elles pas un petit côté « épique » à sa parole ?) : la Fédération ne veut apparemment rien entendre des nouvelles techniques, mais ce gars continue tout de même de s'élancer sur des pistes originales et bien huilées, convaincu qu'il s'agit de la bonne façon de progresser ! Et un jour prochain, en Belgique, surgira une nouvelle génération de professionnels du bowling qui utiliseront cette technique-, apportée par un coach d'outre-Atlantique. Ses yeux brillent quand il en parle : « Le bowling, c'est toute ma vie ! » — Dans la boutique, des vétérans s'amusent à me faire peur : « Il va devoir te couper les doigts pour les faire entrer dans la boule ! » ; « Au début, tu vas souffrir : ton pouce va devenir calleux et ton majeur et ton annulaire vont grossir et se muscler ! » ; et la pire de toute : « Si tu commences à vraiment jouer au bowling, tu ne pourras plus jamais t'arrêter. Ce jeu, c'est une drogue ! » (Ça, je le savais déjà : il existe très peu de joies supérieures dans ce bête monde que celle de voir dix quilles se renverser dans une terrible explosion contrôlée.) — « Comment voulez-vous que je fore le pitch ? Normal ? Latéral ? », me demande-t-il. Face à ma totale incompréhension, il transforme sa question : « Voulez-vous jouer "comme ça de temps en temps" ou bien suivre un apprentissage ? » Réponse n° 2. « Alors, je vais directement vous faire les bons trous. Vous serez beaucoup moins vite limité dans votre progression ! » « Et vous connaissez un bon professeur pour les débutants ? » Toujours ce regard circonspect lorsqu'il me répond : « Oui. Moi. » 

Cambriolage. — Grand sourire : « Ha ha ! Je t'y prends ! Cette table est remplie de délicieux desserts ! » Je me défends : « Ha ! Mais ce n'est pas moi, non, non ! Sinon, ça va bien ?
— On fait aller ! Je viens d'être cambriolée...
— Ha bon ? Et tu étais absente à ce moment-là ?
— Non, c'était la nuit. On dormait. Mon copain m'a avertie que le chat miaulait dehors et c'est à ce moment qu'on s'en est rendu compte. »
(Trois informations à ingurgiter d'un coup : elle a vécu un cambriolage, elle a un chat et elle a un copain.)

Explosions soniques ? — Tram de retour. Je n'ai pas pris le temps de noter avec précision cette discussion toute proche sur le groupe Arcade Fire et ne me souviens hélas pas de tous les détails croustillants. Il était question de « nappes d'explosions soniques » et de « superbe développement des orgues ». Explosions soniques ? Comme à chaque fois, j'ai l'impression que ces gens n'ont pas écouté la même musique que moi

lundi 21 janvier 2013

Un paragraphe et puis c'est tout ! - III

« Where's the emergency? » — Oui, je suis pour l'instant, à n'en pas douter, dans une phase « jeux vidéo », mais tout de même ! Tout de même, était-ce une bonne idée d'acheter StarCraft II ? Je m'étais arrêté au premier du nom, il y a de cela... ha ! ... tellement longtemps (du temps où l'on jouait encore en LAN dans les cybercafés)... Déjà à l'époque, gérant assez mal la décision en urgence et ayant besoin de beaucoup de calme pour réfléchir, je n'étais vraiment pas doué pour ce genre de jeu de stratégie en temps réel (STR) mettant les nerfs à rude épreuve. Et voilà que je retente pourtant le coup avec le second volet de la série ! — StarCraft II est l'un de ces jeux extrêmement bien balancés qui semblent très simples en apparence (construire une base, gérer au mieux les ressources [macrogestion] ; produire des armées et les amener au combat [microgestion]) mais qui s'avèrent particulièrement compliqués quand il s'agit d'y jouer contre autre chose que de simples et bêtes I.A., autrement dit contre d'autres êtres humains. Le jeu possède en effet, à l'instar d'une véritable discipline sportive, ses championnats et son armée de professionnels de haut niveau, ceux qui s'entraînent de nombreuses heures par jour depuis des années et pour qui la victoire est presque une affaire de microsecondes (voir la vidéo ci-dessous). La (très jolie) campagne contre l'ordinateur est donc une sinécure en comparaison de l'enfer de certaines confrontations sur Internet, où je ne me risquerai d'ailleurs certainement pas pour le moment avant d'avoir « bien » repris en main au moins l'une des factions. — Car la géniale particularité de StarCraft est de proposer trois factions, trois « races » ennemies qui ne sont pas de simples copier-coller des autres clans : les Terrans, ceux dont les unités ressemblent le plus à ce qu'une humanité future pourrait produire si elle suivait l'exemple des États-Unis en matière d'armement (en gros : des marines et des chars high-tech) ; les Zergs, aliens visqueux et grouillants dont les bâtiments et les unités sont organiques ; et enfin les Protoss, stéréotypes de la race extraterrestre humanoïde aux pouvoirs psychiques... — Je prends un sacré plaisir à (re)jouer mais bon sang que je suis nul ! C'est affligeant !

Des joueurs professionnels de StarCraft et Warcraft III expliquent
(et surtout montrent) ce que sont les APM (Actions per minute) :
la rapidité de leurs doigts rappelle cette cette fameuse scène 
dans le célèbre film d'animation japonais Ghost in the Shell.
(Je quitte mon boulot et je m'entraîne pendant dix ans ?) 

dimanche 20 janvier 2013

Un paragraphe et puis c'est tout ! - II

Voyageur des espaces morts. — Dans un très lointain futur, un voyageur doté de pouvoirs extraordinaires prend la parole devant un million de mondes (l'humanité sortie de son berceau). Très las, il déclare d'un ton calme et résigné : « J'ai exploré méticuleusement chaque bras spiral, visité des centaines de milliards de systèmes solaires, sauté d'amas en amas, déjeuné sur chaque bout de roche, respiré l'air vicié d'innombrables géantes gazeuses, scanné la croûte de billions de planètes telluriques, récolté la poussière des comètes, sondé les nébuleuses, parcouru le vide à l'intérieur du vide ; j'ai traqué la vie avec l'acharnement du plus dément des chercheurs d'or des temps anciens ! Hélas, hélas, HÉLAS ! Jamais je n'y ai trouvé la moindre parcelle de vie : pas même un fossile, pas même l'équivalent d'une algue ou d'une fougère, pas même le lointain cousin du regretté trilobite, pas même le début d'un commencement de structure organique ! Partout, la même mécanique d'horloger des soleils et des mondes, tournant sans finalité jusqu'à l'immobilité la plus complète... » Et le voyageur fatigué de terminer son discours sur ce terrible constat : « Nous sommes irrémédiablement seuls, nous sommes l'exception... Peut-être après tout ne sommes-nous qu'une erreur ? Peut-être les corps célestes eussent-ils dû tracer leur course dans le vide sans conscience pour les observer ? » — L'annonce engendre des milliards de morts au sein de l'humanité dispersée. Le modérateur tempère : « Haut les cœurs ! Voyageur, tu n'as parcouru que la seule Voie lactée ! Cette vie que nous chérissons tant, peut-être existe-t-elle au sein d'autres galaxies ? » Et pendant le million d'années suivant cette parole d'espoir, des milliards de voyageurs semblables au premier sont envoyés jusqu'aux confins de l'Univers. Mais tous reviennent bredouilles, sans avoir jamais débusqué un signe du vivant. Alors, un gigantesque désespoir touche l'humanité sur le million de mondes qu'elle a colonisés. Et à peine cent cinquante ans plus tard, sur la colonie industrielle d'Epsilon Eridani VII, meurt le dernier représentant de l'espèce humaine (un vieillard qui n'a même plus de larme pour pleurer), débarrassant l'Univers de sa seule et unique conscience. — Et comme plus personne n'est là pour le voir exister, en l'absence de tout bruit mais aussi de tout silence, l'Univers disparaît.

samedi 19 janvier 2013

Un paragraphe et puis c'est tout ! - I

(Oui ! Un seul paragraphe parce que je suis en retard de publication et que j'en ai plus que marre, justement, d'être en retard de publication ! Considérons donc ce qui suit comme la substantifique moelle de ma journée de samedi. Et considérons sur la même lancée l'article de « demain » comme ce à quoi je réfléchis quand je suis seul chez moi et m'ennuie — un ennui nécessaire, comme dirait l'autre.)Chez Donna & Fred Jr. — En cette fin d'après-midi, je suis invité chez Donna et Fred, à Écaussinnes, en compagnie de leurs deux enfants, la taciturne petite Mado et sa grande sœur, l'énergique et prolixe Anouchka (ma filleule) : « Tu t'es coupé les cheveux, Hamilton ? », « Gaëlle n'est pas là ? Elle est où ? Et sa maman, elle habite où ? Et Gaëlle, est-ce qu'elle a une chambre chez sa maman, aussi ? » — Digression : avais-je déjà mentionné dans ce journal que j'avais été jusqu'à tenir un cierge pascal et écrire mon nom au bas de son acte de baptême ? Par contre, le curé, un très vieil abbé un rien désabusé, avait expliqué à Fred (à mon grand soulagement d'ailleurs) qu'il n'était pas absolument nécessaire que je réponde « oui » à la question de mon engagement d'élever ma filleule dans la foi du Christ : il suffisait que... je ne dise rien (Amen !). Tout bien réfléchi, ce curé était tout de même assez débonnaire : « Laissez venir à moi les petits enfants », lut-il lors du sacrement, mais voyant que quelques « petits enfants » s'amusaient au fond de cette jolie chapelle de village, il soupira, du moins si mes souvenirs sont bons : « Oh, laissez les courir ! » (Mes souvenirs ne sont sans doute pas bons, auquel cas Fred me corrigera en temps voulu.) Fin de la digression. — Fred me montre fièrement sa dernière (?) acquisition vidéoludique, une Xbox 360 (re-?) et le jeu auquel il joue en ce moment, FIFA 2013 : « Tu veux essayer ? », me demande-t-il. « Euh... Non, non ! » (Fred et moi... hem... ne sommes pas exactement sur la même longueur d'onde en ce qui concerne les jeux — voir en date d'après-demain). Ensuite, je joue avec Anouchka à divers jeux de société, comme l'antique Qui est-ce ? ou encore Labyrinthe 3D, une version simplifiée du célèbre Labyrinthe du non moins célèbre éditeur de jeux Ravensburger (Le hamburger du corbeau ?). Anouchka n'aime pas perdre : fort heureusement, elle gagne deux fois à Qui est-ce ? Puis nous mangeons une (très bonne) raclette, tout ça parce que, dixit Donna, « Fred n'a pas eu le courage de cuisiner une lasagne. » Quant au chat de la maison, il se métamorphose à plusieurs reprises ; il passe d'un état à un autre : extérieur, frigorifié collé à la baie vitrée ; intérieur, dormant confortablement sur le chauffage. Et c'est moi qui le fais rentrer la première fois (mais où va le monde ?). Voilà : c'est fini, nous pouvons enfin respirer !

vendredi 18 janvier 2013

Trois paragraphes sinon rien - III

Inertie. — « Mais pourquoi ? Pourquoi t'obstines-tu à écrire à tout prix un article par jour ? », me demandait Judith hier soir. Pourquoi un tel rythme ? À chaque fois que je tente une explication, elle n'est satisfaisante ni pour moi, ni pour les autres. — Est-ce dans le cadre d'un simple exercice, d'un atelier d'écriture personnel « en temps réel » ? Non. Est-ce pour disposer à long terme d'un panorama complet de ma vie, à des fins de comparaison et de synthèse, comme je l'ai souvent soutenu ? Non plus (si c'était le cas, je m'en tiendrais à la plus stricte et à la plus plate des narrations). Est-ce pour être lu, exister par le regard des autres et par la critique ? Assurément pas. — Non, c'est vraisemblablement ma totale inertie qui est en jeu ici (je me satisfais de la situation dans laquelle je me trouve) : si je/on ne me lance pas, je ne bouge pas ; si je/on me lance (dans un projet, un sport, une activité...), je garde le même mouvement pendant très longtemps sans me poser de question. C'est désespérant.

Anecdote commerciale. — Une caisse de supermarché, à Forest, en début d'après-midi. C'est l'heure creuse et je suis le seul à faire la file (je suis une file à moi tout seul !). Pendant que j'installe mes quelques courses sur le tapis roulant, la jeune caissière discute avec un employé (un réassortisseur). Alors qu'elle passe mes achats sous le scanner, deux femmes traversent le couloir principal à l'entrée du magasin : « Salut Sylvie ! Salut Monique ! », lance la caissière, joyeuse, « Est-ce que je travaille demain après-midi, tout compte fait ? » Entretemps, l'employé s'est volatilisé avec un taux de furtivité digne d'un F-117 — c'est dire comme il fut à la fois rapide et silencieux ! La caissière me sourit : « Ha ha ! Vous avez vu ça ? Vous avez vu comme il s'est barré en courant, ce gros peureux ? La dame qui est passée, là, juste devant nous, c'était la chef de service... Alors mon collègue, du coup, hop ! Il se casse et fait semblant de travailler !... Tenez, le voilà qui revient déjà ! » — Chouette ambiance de vendredi après-midi !

Au bout du fil... — Lorsque tu me demandes comment je vais, je ne peux m'empêcher de penser que tu ne le fais que pour mieux rebondir sur tes propres malheurs, tes propres souffrances ; pour te servir de moi comme d'un entonnoir à problèmes. Tu te sens seul ? Ah, te dis-tu, mais pourquoi ne pas téléphoner à ce cher gentil Hamilton, un rien naïf, qui m'écoutera sans broncher ? J'en viens à me demander si tu es sincèrement capable de t'intéresser à autrui sans aucune arrière-pensée égoïste. — La semaine dernière, ton « Mais peu importe mes problèmes. Toi, comment vas-tu, mon grand ? » aurait sans doute été plus crédible si tu ne m'avais pas coupé après dix secondes par un cinglant : « Oh, tu sais, j'ai appris que dans l'adversité, il valait mieux ne pas écouter les petits problèmes des autres. » Et aujourd'hui, pour mettre fin abruptement à la conversation au moment où celle-ci déviait sur un tout autre sujet que toi, toi, toi, il aurait été préférable de trouver une excuse moins bidon que celle du quidam frappant à la porte de ton appartement. — Je ne te comprendrai jamais ; tu ne me comprendras jamais. Et la prochaine fois que le téléphone sonnera, je ne décrocherai pas. Acta fabula est.

jeudi 17 janvier 2013

Allegretto

Tu sais à quel point la musique est importante — vitale même ! — pour moi. À l'heure de rédiger ce message programmé, dans le tendre creux de cette nuit enneigée, j'écoute sans raison (comme dirait l'autre) le second mouvement de la Symphonie n° 7 de Beethoven : le fameux Allegretto. — Tu disais jeudi dernier que le talent se reconnaissait directement ; que n'importe qui pouvait lire, voir, écouter, sentir ce putain de talent lorsque celui-ci se manifestait dans sa plus stricte nudité, sans devoir passer par de complexes initiations ou par un long travail d'érudition. J'étais en quelque sorte d'accord sans être d'accord (je reste persuadé que l'accès à certaines subtilités, quel que soit le domaine, demande du temps et de l'investissement). — Mais peu importe après tout ! Voilà donc un mouvement qui peut être appréhendé par les profanes que nous sommes ! Le même motif musical (un ostinato, comme ils l'appellent) répété inlassablement, d'abord par les cordes, puis par les vents... C'est à la fois léger et solennel. C'est une œuvre non pas simplement talentueuse, mais tout bonnement géniale (je sais que tu n'y crois pas mais je m'en fous, tu le sais bien) : elle est atemporelle, elle traverse les âges. Elle a même été reprise par Johnny Hallyday, à ce qu'il paraît. (Est-ce la marque du génie ?)

Symphony No. 7 in A major, Op. 92: Allegretto by Beethoven on Grooveshark

Léandra, je te dédie ce mouvement. Réjouis-toi : j'aurais pu te réserver « Tata Yoyo » ou encore « Tirelipimpon sur le Chiwawa », ha-ha ! — Haut les cœurs : il te va très bien, cet Allegretto, ce « mouvement très vif » ; écoute-le, c'est toi ! Il marche d'un pas ferme et décidé mais il lui arrive d'être sombre en chemin, très sombre même, parfois !

Léandra, puissent tes trente-quatre bougies être soufflées par un vent nouveau ; puisses-tu arpenter des terres inconnues ; puisses-tu oublier les fantômes du passé ainsi que ceux — encore bien trop présents — qui te bousillent l'existence ! Puisses-tu abandonner ces irrespectueux en rafale et trouver autre chose dans ta vie que des spectres ! Je serais le plus heureux des hommes si je pouvais passer, l'année prochaine, à l'occasion de ton trente-cinquième anniversaire, de la n° 7 à la n° 6, autrement dit de la Septième à la Pastorale, de la divine lourdeur à l'allégresse ! — Évidemment, même les symphonies bucoliques contiennent leur dose d'orage, mais que serait la vie sans orage, sinon un ciel monotone, entre le bleu et le gris ?

En deux mots : bon anniversaire !

mercredi 16 janvier 2013

À rebrousse-temps

Archéologues malgré eux. — Je comble à rebrousse-temps (ce joli terme prend sa source à la traduction d'un titre de P.K. Dick) les cinq interstices localisés entre ta fête d'anniversaire et la mienne. Dans quelques jours, plus personne ne s'en apercevra mais pour le lecteur assidu, celui ou celle qui lit ce blog quotidiennement — et il semblerait que ce lecteur- existe bel et bien ! —, la lecture ressemblera à une descente dans les profondeurs de la page. — Pendant quelques jours, ce lecteur se transformera en archéologue malgré lui, lisant par strates successives les épisodes de ma vie... à moins qu'il n'utilise un agrégateur de contenus, auquel cas il ne goûtera nullement aux joies de la fouille.

Le plagiat en héritage. — Un titre opposé au reste du texte par un tiret cadratin pour structurer chaque paragraphe : Nietzsche utilisait le même procédé dans ses ouvrages aphoristiques (comme Humain, trop humain ou Le Gai savoir, que je viens de me procurer en ce lundi de congé). — Constat : j'employais cette technique avant de lire quoi que ce soit de Nietzsche, de la même manière d'ailleurs que j'abusais déjà du tiret cadratin avant de découvrir Wittgenstein. Cependant, je me considère comme bien trop bête pour avoir trouvé tout seul cette habile structuration. La question est donc avant tout de savoir qui j'ai bien pu copier en décidant de ponctuer mes paragraphes de la sorte : si ce n'est Nietzsche, aurais-je plagié à mon insu un plagiaire de Nietzsche ?

Thaumaturgie informatique. — Le clavier et la souris de cet antique ordinateur ne répondent plus depuis des semaines, me préviennent Christiane et Sylvette. De bon matin, assis devant la machine récalcitrante que je viens seulement d'allumer, je constate que les deux périphériques fonctionnent pourtant parfaitement. Conclusion rationaliste : la panne était temporaire ; conclusion mystique : par ma seule présence, je commande aux machines ! — J'ai raté une belle occasion de lancer devant la vieille carte-mère paralysée : « Lève-toi, prends tes circuits électroniques et marche ! »

Le syndrome de l'imposteur. — Je leur dis : « Je donne l'image de quelqu'un qui maîtrise parfaitement toutes ces matières (la mise en page, le Web, les métadonnées et, plus personnellement en ce moment, des morceaux de philosophie) mais en réalité, je n'y connais que dalle. Mon entourage finit lui-même par croire que je m'y connais et pense sans doute : "Ha, voilà quelqu'un qui s'y connaît !", mais en fait, c'est faux : j'usurpe complètement ma condition. » C'est comme si j'avais constamment besoin de faire mes preuves, de montrer que je suis capable de cerner un problème de la manière la plus parfaite et professionnelle possible. (J'ai les mêmes hésitations avec ce blog : tout ce que j'y écris est en quelque sorte une usurpation de mon identité ; rien ne m'appartient en propre ; je ne suis pas capable de ça — et ne pas constater que je suis foncièrement malhonnête serait encore plus malhonnête.) Lorsque j'explique que j'ai constamment l'impression d'être un usurpateur dans tout ce que j'entreprends, mon chef Lodewijk ne comprend pas (« Si tout le monde reconnaît ton savoir dans une discipline, en quoi es-tu un usurpateur ? ») tandis que Charlotte s'exclame : « C'est le syndrome de l'imposteur ! ». Elle-même en « souffre » apparemment. Conclusion de mon chef : « Bon, sur le temps de midi, on vous couchera sur la table et vous nous expliquerez clairement votre problème. » — J'imagine déjà le tableau !

mardi 15 janvier 2013

Cycles

Neige locale. — La neige est tombée sur Bruxelles. Ce matin, les transports en commun de la capitale (bus, trams, trains...) accusent de sérieux retards en raison des « conditions climatiques exceptionnelles ». Arrivé en gare des Guillemins, je m'aperçois avec stupéfaction que les flocons n'ont absolument pas gagné le bassin liégeois. Sur le chemin de l'arrêt de bus, je me justifie déjà en pensée auprès des collègues me voyant débarquer avec plus d'une heure de retard : « Mais puisque que je vous dis qu'à Bruxelles, il n'a pas arrêté de neiger ! » — Une vision ridicule car l'équipe en place sait très bien que je suis toujours en retard je fais tout mon possible pour arriver à l'heure.

Réseau itinérant. — Léandra a exceptionnellement fait le nécessaire pour disposer (enfin !) d'un accès Internet personnel dans son appartement. Comble de malchance, l'horrible — si j'étais porté sur la démesure, j'écrirais « horrible » avec au moins cinq « i » — service clientèle de Belgacom semble considérer ce simple acte technique avec le plus grand mépris. En conséquence, Léandra a annulé sa commande et n'a donc toujours pas accès au sacro-saint réseau chez elle. Se sentant obligée de répondre quotidiennement à certains courriers, elle se rend tout aussi quotidiennement à la Maison du Peuple de Saint-Gilles (qui bénéficie du Wi-Fi, on l'aura compris), où je la retrouve naturellement, étant donné que j'y suis très souvent moi aussi, mais pour d'autres raisons (la principale étant : afin que tous les gens qui y traînent me foutent une paix royale et ne me parlent surtout pas — chose impossible si je reste tout seul chez moi, on en conviendra). Je passe donc une partie de la soirée avec Léandra : elle devant son ordinateur et moi devant le mien, mais nous discutons tout de même un petit peu, faut pas déconner.

Cycles. — Seule l'écriture journalière à moyen terme permet ce petit miracle qui consiste à comparer le même événement distant de quelques mois, voire de quelques années : cet anniversaire-ci, cet anniversaire-là ; l'un ou l'autre Nouvel An ; tel sursaut de conscience, telle déchéance ; et puis ces pensées qui ne changent pas, ou si peu... Voilà donc que le présent journal accepte désormais une certaine lecture cyclique, qui se fortifiera au fil du temps — avec ma vie.

lundi 14 janvier 2013

Trois paragraphes sinon rien - II

« L’esprit quitte l’eau du corps lorsque se lève la première lune, dit Stilgar. Ainsi est-il dit. Lorsque se lèvera la première lune, cette nuit, qui appellera-t-elle ? » (Frank Herbert, Dune.)

Funérailles « à la fremen ». — Loin, tellement loin de ces funérailles récemment observées : l'adieu à Jamis dans le roman Dune de Frank Herbert. Les Fremen, habitants du désert, récupèrent l'eau de la dépouille de Jamis avant de procéder à la cérémonie funèbre proprement dite : ils forment un cercle autour d'un amas d'accessoires appartenant au défunt. À tour de rôle, un ami marche vers le centre, s'empare d'un objet et prononce un très court discours, comme celui-ci : « J’étais un ami de Jamis. Lorsque notre eau vint à manquer au siège des Deux Oiseaux, Jamis sut partager. » — Quelle belle façon de rendre un dernier hommage ! Je la verrais bien se dérouler de cette manière, ma propre cérémonie funèbre (puisque apparemment il en faut absolument une) : quelques amis et quelques parents disposés en cercle dans le cadre intimiste d'une grotte, chacun marchant vers le centre de la réunion pour récupérer un de mes rares objets personnels : ma vieille lunette astronomique ; Chronic Town, le premier vinyle « à la gargouille pensive » de R.E.M., et Spiderland de Slint ; Au carrefour des étoiles de Simak et L'Incal de Mœbius et Jodo ; une raquette de badminton et cette toute nouvelle boule de bowling ; des ouvrages d'histoire et des livres de ou sur Wittgenstein... « J'étais un ami d'Hamilton », diraient-ils, mais quelle raison avanceraient-ils ?

Cigarettes. — Petite librairie de la gare des Guillemins. La jeune dame devant moi demande un paquet de « Camel beiges ». Le libraire barbu et bourru s'exclame, pince-sans-rire : « Des Camel beiges ? Des Camel jaunes, vous voulez dire ? » Il semble réellement surpris. La dame partie, il m'explique, en me montrant le paquet : « Elle voulait des Camel beiges. Vous trouvez ça beige, vous ? Enfin bon ! Je n'allais pas la contredire plus que de raison... » Puis il continue sur sa lancée : « C'est la galère avec Camel en ce moment. Pour leur centième anniversaire, ils ont sorti cinq paquets de couleur différente. Mais les gens veulent seulement les paquets habituels, les jaunes... Quand je leur dis que c'est exactement la même chose, que ce sont simplement des éditions "collector", ils ne veulent rien entendre... » Gros silence, puis il fait demi-tour et regarde, les mains posées sur la taille, la publicité proposée par la marque pour l'occasion : « "Fait avec de l'eau, du tabac et du soleil"... Pfff, c'est pas possible ! Ils ne savent vraiment plus quoi inventer ! »

La routine s'installe dans les deux sens. — Lire ce blog aux aurores devant une bonne tasse de café, comme on lirait un journal en papier : aurais-je créé malgré moi une habitude, voire une addiction ? — Prochaine étape : lancer une gamme de tee-shirts « Hamilton's Diary » pour les aficionados ? (L'idée est de Doëlle.)

dimanche 13 janvier 2013

Trois paragraphes sinon rien - I

Erratum. — Écrire ma vie « à rebrousse-temps » est source d'erreurs. Relisant « l'épisode des cigarettes Camel beiges » (écrit en date de... demain), je tique : « Lundi... Lundi 14 janvier... N'étais-je pas en congé ce jour-là ? » Eh bien si ! Il faudra par conséquent que l'on m'explique comment j'ai pu observer une scène se déroulant à l'intérieur de la petite librairie de la gare des Guillemins, à Liège, alors que je n'ai pas quitté Bruxelles de la journée... La réponse est toute simple : j'ai transposé cet épisode un jour dans le passé. La scène a donc eu lieu mardi soir et non lundi. (Ce lundi-là, je l'ai passé à flâner chez Filigranes puis à « travailler » à la Maison du Peuple en compagnie de Léandra.)

Archéologie virtuelle. — Je me promène allègrement dans le monde d'Azeroth transformé par les deux dernières extensions de World of Warcraft. Plus aucune arrière-pensée conquérante n'occupe mon esprit : je me contrefiche pas mal d'avoir le tout dernier set d'armure qui fait mouche dans les instances de haut niveau (et c'est tant mieux). À l'instar d'Andrew qui jadis s'asseyait, à des fins de contemplation et de méditation, au bord d'une corniche isolée des Montagnes d'Alterac surplombant le lac Lordamere et les ruines de la ville déchue de Lordaeron, j'essaie d'évoluer tranquillement sur le chemin de l'inutilité la plus totale, loin, très loin du regard des « rageux ». — J'ai trouvé récemment un passe-temps en or, un nouvel artisanat secondaire que les concepteurs ont intégré pendant mon absence du jeu et qui semble de prime abord particulièrement inutile : l'archéologie. Ce nouveau métier consiste à se rendre sur quelques sites de fouille disséminés un peu partout dans l'univers de jeu et d'effectuer une triangulation simplifiée à l'aide d'une lunette de visée, et ce afin de découvrir des reliques d'anciennes civilisations (Nains, Elfes de la Nuit, Trolls, etc.). — Ha ! Voilà qui me rappellera ce cours universitaire consacré aux « techniques de fouille », à la fin duquel nous devions être capables, entre autres joyeusetés, d'utiliser une boussole et de planter des piquets dans le sol (tout un programme).

Le summum de l'indépendance d'esprit. — Ce serait de n'adhérer à rien d'autre qu'à ce que j'ai moi-même pensé en propre, sans aucune influence extérieure. — Une douce chimère : ce que je pense, je le pense toujours parce que quelqu'un l'a pensé (et fait savoir) avant moi. — Alors il ne me reste plus qu'à lire les bons textes : à défaut d'être original, à tout le moins ne serai-je pas complètement inintéressant. (Et un jour, après des années de « remplissage » mal géré, peut-être aurai-je moi aussi une véritable pensée propre ? — Chimère, chimère !)