mardi 31 juillet 2012

3. « Ce n'est pas une femme, c'est une apparition »

3.1. Donc aujourd'hui, Charlotte, Christiane, Rolande, Sylvette et moi quittons le boulot un peu plus tôt pour nous rendre à l'exposition « Golden Sixties. J'avais 20 ans en 60 », qui prend ses quartiers jusqu'au 28 avril 2013 dans la gare de Liège-Guillemins.

3.1.1. Découvrant les premières salles intitulées « Prologue », j'ai très peur — façon de parler — car c'est vraiment du grand n'importe quoi. Charlotte ne peut réprimer des éclats de rire. Quant à moi, je suis littéralement plié en deux. La raison : les scénographes ont ponctué le début de la visite d'encarts historiques sous forme de slogans percutants, faisant le pont entre cette époque « révolutionnaire » et la nôtre. Cela donne lieu à des absurdités comme (de mémoire) : « 1960 : Nuclear Power / Today : Economic Power », ou bien à des raccourcis fulgurants, en quelques lignes, entre une crise politique et une autre qui a lieu cinquante ans plus tard.

3.1.1.1. Je range dans ma poche, dès les premières salles, cet audioguide qu'il faut constamment tenir auprès de l'une de ses oreilles. Je ne veux pas qu'un narrateur à la voix suave m'explique que je suis le tueur de John Fitzgerald Kennedy embusqué avec mon fusil Carcano dans un appartement surplombant Elm Street.

3.1.1.2. Sur un des murs du « Prologue », une série de très belles affiches de propagande pour la coopération européenne dans le cadre du plan Marshall (voir ici, notamment). — On peut être pour ou contre le programme, cela restera tout de même de très belles affiches. La fin de cette jolie série est hélas souillée par une ridicule page blanche sur laquelle a été imprimé à la va-vite le logo de... la Région wallonne ! — Quel est le rapport, s'il vous plaît ?

Reyn Dirksen, All our colours to the mast, 1950.
(Source : Wikimedia Commons.)

3.1.2. Mais je suis mauvaise langue car ce n'est que le début. Et la suite vaut tout de même le détour. L'exposition est un mélange de mises en scène (l'assassinat de JFK donc, un restaurant et une barricade durant les évènements de Mai 68, le module Eagle posé au milieu d'un paysage lunaire, l'Hôtel du Globe dans La Grande Vadrouille...) et d'espaces plus didactiques (objets divers, panneaux d'explication...).

3.1.3. L'exposition devient vraiment intéressante au moment où elle bifurque vers le culturel. Car de nombreuses salles sont consacrées à la musique, à la peinture, au cinéma... Les Beatles sont partout, mais aussi la génération Woodstock, les hippies de l'île de Wight, le Velvet Underground (et Adamo). Quand je les vois tous (ou presque), avec leurs longs cheveux, en train de fumer leurs pétards dans la nature des festivals sur fond de California Dreamin', je me fais évidemment la réflexion suivante : « Mais qu'est-ce que je fous ici ? »

3.1.4. Une des salles est consacrée au féminisme (un encart pour Simone — coucou Léandra !). Une salle plus loin, place aux icônes des années soixante... Bardot évidemment (dont une horrible statue [de cire ?] absolument pas ressemblante se dresse un peu plus loin dans l'exposition), Jeanne Moreau... Elles sont toutes balayées par ces photos en noir et blanc de Delphine Seyrig, la formidable et mystérieuse inconnue de L'Année dernière à Marienbad de Resnais. (« Ce n'est pas une femme, c'est une apparition », dira sept ans plus tard Antoine Doisnel/Jean-Pierre Léaud dans Baisers volés.)

Delphine Seyrig. (Source.)

3.1.4.1. Fin de la rêverie/Retour à la réalité : « Ouais, ce film, si tu veux un bon somnifère, c'est parfait ! » (Sylvette)

3.1.5. Sans aucun rapport avec la Nouvelle Vague, je visionne une dizaine de fois d'affilée en fin d'exposition — parce que ça me fascine — le mythique rouleau dorsal de Dick Fosbury aux Jeux olympiques de Mexico de 1968... Ce type était plutôt du genre « athlète amateur », mais lors de ces fameuses olympiades, il a bluffé tout le monde avec sa fameuse méthode de saut en hauteur renversé, qui est soit dit en passant aujourd'hui la seule utilisée dans les compétitions de haut niveau. — Le voir si concentré avant le saut et entendre le public l'acclamer dès qu'il se met à courir... L'ambiance a quelque chose de magique et d'attachant. (Ce paragraphe est en contradiction la plus totale avec tout ce que j'ai pu dire ou écrire précédemment sur les foules en délire.)

Fugace expression étonnée de l'arbitre à la fin de la vidéo :
« Mais qu'est-ce qu'il fout ? Est-ce légal ? »
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3.2. Dans le train de retour, devant moi, une dame d'environ soixante ans tente de résoudre tant bien que mal une grille de « mots mêlés ». L'anecdote vaut la peine d'être mentionnée car, de Liège à Tamines, soit en une heure de voyage, elle a fini par trouver en tout et pour tout... sept mots ! Qu'est-ce qu'elle est lente ! Elle passe son stylo le long d'un mot puis passe outre, puis y revient, etc. J'ai envie de lui en montrer plein — « , "ARBRE", et , "CRAYON" ! » — mais je me retiens.

lundi 30 juillet 2012

2. Échéance

2.1.1. L'avantage du pessimisme, c'est qu'en le pratiquant, on est certain de ne pas se tromper.

2.1.1.1. Une histoire peut commencer très bien ou très mal. Par contre, elle se terminera toujours très mal.

2.1.1.1.1. Hamilton — qui parle désormais comme Poirot, qui parle à la troisième personne du singulier — s'amuse à énoncer de plates évidences aujourd'hui car...

2.1.1.1.1.1. ... il n'a rien à dire.

2.1.1.1.1.2. ... il est fatigué.

2.1.1.1.1.3. ... il est en retard.

2.1.1.1.1.4. ... il teste son système de numérotation débile.

2.1.1.2. À l'arrivée, c'est la mort qui attend toute chose, toute vie.

2.1.2. L'avantage de l'optimisme, c'est qu'il arrive à combler l'interstice entre le Néant et le Néant.

2.1.2.1. L'optimiste ne voit pas l'échéance, il vit l'instant présent.

2.1.2.1.1. Mais comment fait-il ?

2.1.2.1.2. Ou plutôt : comment faisais-je ? 

2.1.2.1.2.1. Lorsqu'on a vu l'échéance, il est extrêmement difficile de revenir en arrière, de la cacher, de s'en foutre ou encore de ne pas la voir du tout (non pas l'enfouir, mais ne pas la voir).

2.1.2.1.2.2. Je suppose que camoufler le Néant qui se prépare serait beaucoup plus évident si j'avais une vie amoureuse ou sexuelle, voire les deux en même temps.

2.1.3. Le pessimiste regarde la vie depuis sa fin, l'optimiste depuis son début.

2.1.3.1. Le pessimiste, voyant la triste évolution de son être jusqu'à la mort, est malheureux.

2.1.3.2. L'optimiste, voyant la fantastique évolution de son être vers la conscience, est heureux.

2.1.4. Au décès d'un pessimiste, ses amis, réunis après ses funérailles, se posent la question suivante : « À quoi cela lui a-t-il servi d'être pessimiste ? Il n'a pas vraiment vécu et maintenant il est bel et bien mort ! »

2.1.4.1. Ce à quoi l'on pourrait répondre : « À quoi cela sert-il d'être optimiste ? Après avoir bien vécu, l'on mourra quand même ! »
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2.2. Ce journal est un atelier d'écriture géant rédigé par un pauvre gars qui ne supporte pas que le monde extérieur lui dicte comment bien ou mal écrire...

2.2.1. Résultat : un blog qui fluctue au fil des mois, sans autre objectif que de tenir la cadence infernale imposée par le concept initial de « blog journalier », et dont le seul titre de noblesse est sans nul doute de ne pas vouloir plaire à qui que ce soit.

dimanche 29 juillet 2012

1. Univers-sablier

1.0. Soudain, j'ai convenu d'un commun accord avec... euh... moi-même que je numéroterais tous les paragraphes à l'aide d'une cote unique. Le numéro le plus à gauche correspondrait à la journée (ici « 1 », car c'est la première journée réellement numérotée) ; le suivant à une thématique (ici « 0 » car il s'agit de l'explication du concept) ; le troisième à un aspect plus particulier de cette même thématique ; le quatrième... Nul besoin d'aller plus loin dans l'explication car tout le monde a compris.

1.0.1. Dans dix ans, je pourrai fièrement affirmer : « Oui, cette pensée, je l'ai déjà eue au point 619.8.5.3 ! »32

1.0.2. Rien de bien original. On dirait le Tractatus, mais en beaucoup plus con.

1.0.3. Je ne tiendrai pas dix jours ! 

1.0.3.1. J'entends presque Léandra soupirer : « Tant mieux ! » (...)

1.0.3.2. (...) et aussi penser : « C'est l'idée la plus idiote qu'il ait eue depuis longtemps ! »
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1.1. Ce dimanche après-midi — chose rare —, j'ai décidé de travailler... pour mon boulot ! Non pas que je sois un fanatique du travail du dimanche (je suis même farouchement opposé à cette abomination dans de nombreux secteurs), mais il s'agit ici d'écrire un article, et quand il est question d'écriture, il faut se laisser guider par l'humeur du moment et non par de ridicules contraintes horaires. Aujourd'hui, mes pensées s'agencent avec aisance et ce serait une grossière erreur de ne pas en profiter.

1.1.1. Qui donc a décidé que travailler du lundi au vendredi de 8h30 à 17h constituait une norme ? Car de manière générale, pour ma part, je suis beaucoup plus performant la nuit. Et de manière particulière, je suis plus performant... quand je suis plus performant. Point.

1.1.1.1. L'idée même que la production (manuelle comme intellectuelle — mais y a-t-il une différence ?) doive se faire selon un créneau horaire fixe pendant un nombre donné d'heures par semaine est complètement ridicule. Pire : c'est une aberration.

1.1.1.2. Rectification : autant je peux concevoir que cela puisse être une forme de routine réconfortante pour certains, autant je trouve que c'est une aberration pour moi (et sans doute pour de nombreuses autres personnes).

1.1.2. Aujourd'hui, je m'intéresse entre autres à l'évolution du secteur « Commerce » en Belgique. Depuis les années 1960, qui marquent la suppression de la « loi de cadenas » (empêchant l'expansion des grandes surfaces), l'appareil commercial belge a évolué d'une manière explosive. Cette évolution a été retracée dans une épaisse monographie signée Nicolas Coupain (ULB) intitulée La distribution en Belgique. Trente ans de mutations (Éditions Racine, 2005).

1.1.2.1. C'est bien foutu, c'est synthétique et ça retrace les grandes évolutions du secteur commercial, principalement de 1975 à 2005, en plongeant néanmoins certaines racines plus loin dans le passé, jusqu'à l'immédiat après-guerre.

1.1.2.2. J'y apprends notamment quelques éléments de définition, comme la différence entre grand magasin, supermarché et hypermarché (oui, je sais, ça peut paraître évident...). Alors que « grand magasin » signifie, du moins à l'origine, une grande surface à dominante non-alimentaire, s'étendant sur plusieurs étages en plein cœur des centres-villes (comme l'Innovation), les termes « supermarché » et « hypermarché » se réfèrent davantage à ces formes de distribution en libre-service à dominante alimentaire (avec souvent des composantes non-alimentaires) en pleine expansion à partir des années 1960. J'apprends par ailleurs que la différence fondamentale entre supermarché et hypermarché est avant tout une bête question de surface (respectivement moins ou plus de 2500 m²).

1.1.2.3. Autre concept intéressant : celui du déclin des centres-villes au profit de la périphérie... Une sorte de force centrifuge qui entraîne une partie de la population vers la banlieue, loin des loyers chers et de l'engorgement automobile. Fort logiquement, les commerces suivent cette tendance et les années 1970 seront celles du déclin des grands magasins de l'hypercentre au profit des magasins « à succursales multiples » faisant partie d'un réseau décentralisé alimenté par une maison-mère (l'exemple en or, du moins en Belgique, étant les supermarchés Delhaize).

1.1.2.4. (Ne pas faire attention à cette partie. Écrire cela ici me permet tout simplement de digérer cette putain de matière.)
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1.2. Andrew me rejoint à la terrasse de la Maison du Peuple dans le courant de l'après-midi. Il m'a envoyé un message pour me signaler qu'il arrivait mais je ne l'ai pas reçu. Il doit lui aussi travailler pour son boulot... Écrire une étude... Lire un énorme tas de notes en anglais écrites par un think tank spécialisé dans l'information stratégique.

1.2.1. « Tu as entendu parler de cette histoire de physicien indien qui a développé la théorie d'un univers en forme de sablier ? » — Non seulement je n'en ai pas entendu parler, mais en plus je n'ai pas réussi à retrouver sa trace sur Internet, et enfin je ne suis même plus certain qu'on ait réellement discuté de cela ce dimanche soir.

1.2.2. Toute cette vie ne ressemble à rien, mais cela ne nous empêche pas de boire ce verre de bière en terrasse ! — Je ne place pas cette phrase d'Andrew entre guillemets car, à nouveau, je ne suis plus du tout certain de sa formulation, ni même qu'il l'ait réellement prononcée.

1.2.3. Rentrer quand le ciel se couvre est parfois une bonne idée, et particulièrement aujourd'hui. Est-ce moi où le vent s'est levé d'un seul coup, accompagné de pluie et de gros nuages noirs ?

1.2.4. Andrew s'en va et je retourne dans mes grands magasins. Le déclin du Grand Bazar de Liège était-il inéluctable ?
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1.3. Putain, qu'est-ce que je m'emmerde !

samedi 28 juillet 2012

Amour, joie & passion

1. « Tout vient à point à qui sait attendre » pourrait être la devise d'Hercule Poirot. Car il arrive souvent que le grand détective belge réponde à son fidèle ami le capitaine Hastings : « Que voulez-vous diantre que nous fassions sinon attendre un autre meurtre ? »

Poirot se sert de la psy-cho-lo-gie. Il n'est pas dans l'action. Il ne note jamais rien. Il observe la scène et fait fonctionner ses « petites cellules grises » (une de ses expressions favorites). En outre, il n'a aucune modestie : il sait qu'il est génial et il l'affirme haut et fort. — J'adore ce personnage.

Poirot, c'est l'économie de mouvements faite homme.
(Il est néanmoins beaucoup moins bon à ce jeu que Marlo Stanfield.)

N'empêche : malgré les grandes qualités de son personnage fétiche, les intrigues d'Agatha Christie sont parfois tellement tirées par les cheveux que ça ne ressemble plus à grand-chose. Mais qu'est-ce que c'est que cette histoire de poissonnier et d'huîtres empoisonnées cachées dans un parterre de fleurs ? (Comment poussent donc vos fleurs ?)

2. « (...) "Je ne crois pas en Dieu", dit le capitaine. "Je suis incapable de croire en quelque créateur que ce soit d'une espèce aussi minable et répugnante que celle à laquelle vous appartenez. Et maintenant, magnez-vous le train d'ici avant que je vous inculpe pour incitation à l'émeute. » 
(John Brunner, Tous à Zanzibar, 1968, « Continuité 10 ».)

« (...) "Mais tu es toujours spécialiste, non ? Tu sais très bien que c'est grâce à la mort des Confédérés, grâce aux victimes de la Longue Marche, aux pilotes héroïques de la Bataille d'Angleterre, ou aux kamikazes suicidaires que tu peux aujourd'hui vivre cette vie merveilleuse, faite de plaisir, de gros salaires, d'amour, de joie et de passion. 
En fait, je parierais qu'elle est plutôt faite d'anxiété, de problèmes, de difficultés économiques, de disputes et de déceptions, mais tu y es tellement attaché que je ne parviendrai pas à te faire lâcher prise. 
On s'habitue incroyablement vite à l'amour et à la joie : une seule expérience et nous voilà intoxiqués. Mais je ne doute pas un seul instant que tu sauras éviter une drogue aussi puissante." 
Chad C. Mulligan, Imbécile Heureux » 
(Ibidem, « Contexte 11 ».)

3. Le soir, après un repas en compagnie de Mary et de Jerry dans leur colocation, nous allons jusqu'au Heysel pour le Bruksellive Festival. Au programme du « Jupiler Theater Stage » (oui, oui...), établi dans le Théâtre de Verdure, les groupes suivants : Sleepers' Reign, Nouvelle Vague, Flying Horseman et BRNS (prononcer « Brains »).

« Ça va, Hamil ? Tu ne dis rien !
— Oui, ça va, je m'amuse bien... »
(Oui, je sais, on ne dirait pas.)

J'aurais pu faire un compte rendu détaillé de la soirée, mais je n'en ai pas envie. Je me contenterai d'un lien vers la vidéo d'un live de BRNS, groupe bruxellois, sans doute le plus intéressant des quatre entendus pendant ce court festival. Un détail marrant : de loin (et peut-être aussi de près d'ailleurs), le guitariste a un petit air de... moi il y a dix ans.

4. Je n'aurais jamais dû rentrer avec elle en voiture. Elle a beaucoup trop bu. (Moi aussi, mais je ne conduis pas.)

vendredi 27 juillet 2012

Les hésitations d'un pauvre historien

1. Toujours plus haut ! L'air chaud monte toujours plus haut ! Je n'ai rien contre cette loi physique si ce n'est que le « toujours plus haut » en question correspond en l'occurrence au dernier étage d'un immeuble au toit plat. Mon appartement.

J'ouvre la fenêtre de la salle à manger et, à l'opposé, celle de ma chambre. Cela créera-t-il le salutaire courant d'air que Mister Hamilton attend dans la moiteur de ses draps ? Que nenni ! La seule différence consiste en ce minuscule mais néanmoins horrible claquement de porte, d'autant plus horripilant que ledit Hamilton ne perçoit aucunement le mouvement d'air qui l'actionne. C'est un fantôme, pardi ! — Vite, vite, appeler le Docteur Sangsue !

Voilà-t-y pas qu'Hamilton commence à parler de lui à la manière d'Hercule Poirot : à la troisième personne du singulier ! Ce n'est pas la première fois, ni sans doute la dernière. — Va te faire soigner, Hamilton ! (Ça n'a pas l'air de s'arranger : il parle désormais de lui à la seconde personne.)

2. Depuis deux nuits, je me réveille toutes les heures ou presque. La chaleur y est pour quelque chose mais ce n'est pas le seul élément déclencheur. Il y a aussi les cauchemars. Je rêve constamment que je réorganise le texte que je dois rédiger sur le syndicat des employés : dans mon songe, je déplace des paragraphes, j'en supprime d'autres et je réécris des parties entières... Puis je me réveille en sursaut : ce que j'ai écrit ne va pas du tout ! Chaque matin donc, après une nuit agitée, je rallume mon ordinateur pour déplacer des paragraphes, en supprimer d'autres et réécrire des parties entières, avant que le réarrangement rêvé ne s'efface à tout jamais de ma mémoire. Ensuite je me relis et je me dis que ça ne va toujours pas du tout ! — Et je refais des cauchemars la nuit suivante, etc.

J'ai l'impression, en relisant mon texte, d'être dans le constat général, de dégager de très grandes tendances, de faire dans l'induction (à la manière d'un philosophe raté)... Où se trouve l'histoire, les anecdotes — la vie ! — dans cette vue globalisante, bordel ? Je suis bien incapable de retracer l'existence de qui ou de quoi que ce soit : tout ce que je peux faire, c'est condenser à l'extrême, encore et toujours, et donc raconter quelque chose de faux, comme d'habitude.

Exemple : je lis que des employés du Commerce sont en difficulté et lancent une grève pour préserver leur emploi. Ce qui m'intéresse au plus haut point dans ce genre d'histoire, ce n'est pas la description détaillée et chronologique des faits, mais bien la tendance générale et structurelle : déclin des centres-villes ; mouvement centrifuge (déplacement des magasins et des habitations du centre vers la périphérie) ; perte de vitesse des petites structures au profit des grosses ; accroissement de la polyvalence et de la flexibilité... — J'ai l'impression de brasser plein de concepts sans entrer le moins du monde dans l'histoire concrète.

(C'est d'autant plus bizarre que dans la vie de tous les jours, j'adore me concentrer au contraire sur les tout petits détails, comme les manies des gens ou le vent dans les arbres. — C'est faux, évidemment : dans la vie de tous les jours, je suis également un putain de généraliste !)

Sur la forme comme sur le style, mon texte a sans doute — toute proportion gardée — une certaine gueule (suite de phrases simples allant à l'essentiel, le moins possible de propositions subordonnées, une impression de précision). Cette maîtrise de la forme, bien qu'imparfaite, entraîne un semblant de contenance quant au fond, mais cela ne veut absolument pas dire que tout cela a un sens. Je suis incapable de bluffer, sauf par écrit.

3. Voilà ! Je dispose de l'autorisation de la grande famille « MonLeg » pour poster une de leurs plus fabuleuses réalisations sur Minecraft. C'est là que ça se passe :


4. J'arrive aux « Apéros Saint-Gilles », place Van Meenen, un peu avant 19 heures. J'attends Léandra en compagnie de deux Carlsberg (ça se boit vite, ces saloperies). — Probably the best beer in the world... but certainly not! La meilleure bière du Monde, c'est l'Orval et ce fait n'est absolument pas soumis à l'appréciation des publicitaires — ni de quiconque d'ailleurs !

Léandra arrivée, c'est à son tour de me montrer un petit livret contenant les descriptions que nous avions faites d'elle à l'occasion d'un (pas si) lointain anniversaire. Beaucoup d'amis avaient alors tenté de la décrire. « Ce n'est pas très bien écrit », me lâche-t-elle à plusieurs reprises. Puis : « En plus, vous me considérez tous comme une personne joviale pour qui tout va bien ! »

Je relis rapidement l'ensemble et je tombe sur ce que j'avais écrit, à savoir une série de courts paragraphes sans lien. Deux constatations : en premier lieu, je n'ai absolument pas changé de style d'écriture entretemps (j'en veux pour preuve la présence d'une double incise, faite de tirets cadratins à l'intérieur de parenthèses !) ; en second lieu, je n'avais déjà plus à l'époque une idée très nette de l'endroit et de la date de notre première rencontre. — C'est tout de même terriblement frustrant !

Les transats installés sur le site des Apéros saint-gillois sont des attrape-trentenaires : il est aisé de s'y laisser choir mais bien plus complexe de s'en relever. — C'est le début de la déchéance !

5. Chez Léandra, avec Andrew. Ils regardent la pharaonique cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Londres pendant que je feuillette tranquillement et avec attention deux livres traitant de « l'analyse transactionnelle » (ou « l'art d'être un gagnant »). D'après l'un des livres, « être gagnant » signifie entre autres (si mes souvenirs sont bons) ne pas avoir peur de développer une pensée et une façon propre d'exister, ne pas douter de son mode de pensées personnel, vivre le moment présent, être honnête avec soi-même et avec les autres, accepter ceux-ci tels qu'ils sont, sans les culpabiliser... Je pensais que ce livre allait complètement démolir ma façon d'être, mais ce n'est pas entièrement le cas. Car malgré mon pessimisme à toute épreuve, j'ai au moins le mérite de ne pas tricher ! (Je suppose qu'ils aiment ça, les analystes transactionnels.)

Dans l'autre livre, une sorte de test de « profil émotionnel ». Après l'avoir complété, j'essaie de comparer mon graphique aux grandes tendances générales esquissées dans les pages suivantes (les équivalents simplifiés d'une courbe ascendante, d'une courbe de Gauss et d'une courbe descendante). Conclusion : mon profil en dents de scie ne ressemble à rien

À la fin de l'ouvrage, une série de « notes philosophiques » (vers lesquelles je me précipite, évidemment), où il est question de Nietzsche mais aussi de Jésus de Nazareth, dont l'auteur reconnaît l'enseignement comme primordial. — D'accord, mais quel enseignement ? « Aimez-vous les uns les autres » [Jean 13:34] ou bien « Je ne suis pas venu apporter la paix, mais l'épée » [Matthieu 10:34] ? — Ceci étant dit, ces deux phrases ne sont peut-être pas si contradictoires, car elles ne semblent pas se situer sur le même niveau (la première commande un comportement alors que la seconde explique que ce nouveau comportement va créer une rupture entre les humains).

Voilà-t-y pas qu'Hamilton se met à défendre le christianisme... Non, mais faut arrêter l'Orval, hein ! — Eh bien justement : il n'y en a plus ! (Voilà donc qui explique bien des choses.)

Dans un autre chapitre, une référence à une technique de travail sur soi appelée « Radical Honesty ». Développée par un certain Brad Blanton, elle consiste à être le plus honnête possible, prélude à une relation plus intime et plus heureuse avec les autres. — Sans trop m'avancer, j'aurais tendance à considérer que l'exercice consistant à devenir honnête à l'âge adulte doit être très compliqué à mettre en pratique. On est éduqué dans l'honnêteté ou on ne l'est pas.

(Haaaa ! — TILT ! — En lisant différents articles sur le Web à ce sujet, je viens de faire un putain de rapprochement : dans l'épisode des Simpson intitulé « Bart enfant modèle » [« Bart's Inner Child », 1993], un agaçant psychologue/conférencier, gourou du développement personnel, porte le nom de Brad Goodman. Peu de chance que ce nom soit une coïncidence car il est le mix parfait entre Brad Blanton et Paul Goodman, un autre psychothérapeute féru d'analyse transactionnelle et de « Gestalt-thérapie ».Je suis content de ma découverte. [Il ne me faut pas grand-chose, je sais.])

(Franchement, que signifient tous ces tirets, crochets et parenthèses ?)
(Et puis, pourquoi mettre la ligne précédente en italique ?)

Sur l'honnêteté. Souvenir marquant de ma mère, à l'époque où elle travaillait dans un magasin de fleurs, dans les années nonante... Un ami lui demande de réaliser une série de montages floraux pour une fête (une communion ? Un mariage ? — Je ne m'en souviens plus...). Chaque montage nécessite la présence de quelques épis de blé. Je me rends donc avec elle et ma tante, en voiture, au bord d'un champ pour cueillir quelques ridicules morceaux de blé. Le champ s'étend sur des hectares à perte de vue. Après avoir cueilli trois épis, ma maman nous a demandé de remonter dans la voiture : « Ce blé ne nous appartient pas. C'est malhonnête de le cueillir. Je me débrouillerai autrement. »

Je m'en suis encore bien sorti !

6. Bon, c'est pas tout ça, hein, mais il commence à se faire tard... Ils sont en train de forger le cinquième anneau olympique à la télévision... Ce n'est pas comme si ce genre de spectacle mégalomane m'intéressait particulièrement, mais je vais faire comme si c'était le cas...

7. Aujourd'hui, Léandra apparaît dans 256 articles de ce blog. Un nombre pas mal, même s'il ne vaut pas 512 ou 4096 !

8. Comme le Lapin blanc, je n'ai pas le temps de dire au revoir, je suis en retard, en retard ! 

jeudi 26 juillet 2012

Vols de chauves-souris en double-stéréo

« Hamilton en une phrase ».Souvenirs, souvenirs... En cherchant, en vain (et pour cause !), mon passeport dans les moindres recoins de mon appartement, je suis tombé sur cette vieille feuille A4 dactylographiée contenant une série d'aphorismes et de courtes phrases me décrivant, signés Zapata & Léandra, Maïté et FBsr. Tout cela fut écrit il y a un peu moins de neuf ans, à une époque où j'étais, pour la seconde fois, rédacteur en chef de La Colonne, le journal du Cercle d'histoire de l'ULB. Afin de présenter le nouveau comité dans les premières pages du numéro d'octobre 2003, j'avais demandé à chaque membre de me fournir des descriptions d'eux-mêmes rédigées par quelques uns de leurs meilleurs amis... J'avais fait la même chose de mon côté. Léandra et Zapata avaient alors cherché ensemble une flopée de descriptions (qui me correspondent aujourd'hui encore très bien, mises à part celles concernant ma coupe de cheveux) ; Maïté en avait écrite une qui passe désormais pour bien plus amère qu'elle ne l'était à l'origine ; FBsr, enfin, avait rédigé un paragraphe rempli de sous-entendus (c'était l'époque où nous étions de très proches amis, à tel point que Maïté en était presque jalouse... sans raison, évidemment). Extraits :
« Hippie psychédélique, son dernier coiffeur, il l'a vu en 1969 avant d'être téléporté à notre époque, pour un voyage jusqu'au bout de la nuit. » (Zapata & Léandra)

« Gourou chevelu d'une secte qui se réunit la nuit à l'Atelier et qui prône le respect du vent et de la pression atmosphérique : "Restez couchés et ne bougez plus... sauf pour lever votre verre de Chimay" » (Zapata & Léandra) [Référence à une photo de moi qui avait fait rire tout le monde à l'époque.]

« Je ne vais pas le noyer sous les compliments : ce n'est pas l'inspiration qui me manque, mais il ne sait pas nager. » (Zapata & Léandra)

« Fan de musique avec des hurlements de chiens et des vols de chauves-souris, il n'apprécie les animaux que dans leurs exploitations artistiques et culinaires. » (Zapata & Léandra) [Référence à Seamus, le bluesdog des Pink Floyd, et aussi au moins connu Zaireeka des Flaming Lips, avec ses fameux vols de chauves-souris en « double-stéréo ».]

« Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué. » (Zapata & Léandra) [Ma préférée !]

« Cheveux courts à la brosse toujours bien coiffés, fan de techno, la drogue non merci, grand bigot belliqueux, adepte de la chasteté avant le mariage : tout l'inverse de lui. » (Zapata & Léandra)

« La seigneurie d'Orchimont est sa seule passion, si on excepte R.E.M., Radiohead, les Flamings Lips, la BD, les belles pochettes de vinyles, Maïté, les bières spéciales, la science-fiction, le bon vin, la bouffe italienne, les échecs, les nouvelles technologies, son papa, sa maman et Jean-Claude Van Damme (cherchez l'intrus). »

« Il a les qualités et les défauts qu'on associe aux génies (vous placez la coupe de cheveux dans la catégorie de votre choix). Ça le rend parfois insupportable mais, vous verrez, rapidement vous ne pourrez plus vous en passer. » (Maïté)

« La première fois que j'ai vu Hamilton, c'était de dos. Sa naturelle amabilité ainsi que son charisme congénital m'ont tout de suite sauté aux yeux. Très vite, une intense amitié s'est forgée, nous rapprochant sans cesse sur des sujets divers. Nos positions s'avèrent souvent communes, ce qui semble indiquer que rien ne pourra jamais faire capoter notre fraternelle relation. Et c'est ainsi que, petit à petit, au gré de moult échanges verbaux, j'ai découvert chez Hamilton, derrière la crinière dorée qui chapeaute un charpenté cerveau, non seulement une constance de principes (chose rare dans notre société) mais surtout un altruisme et un dévouement à faire pâlir notre regretté Allende. Qu'au revers de doriques colonnes, les dieux accélèrent ton bel empire, Hamilton ! » (FBsr)
Au Vieux Moulin. — Rejoindre Fred Jr à Écaussinnes relève du parcours du combattant. En gare de Liège-Guillemins, le train vers La Louvière est supprimé. J'en prends donc un autre, vers Bruxelles. À Bruxelles-Nord, le train vers Braine-le-Comte est annoncé avec 25 minutes de retard. On dirait bien que c'est un jour noir pour la SNCB. — Ha bon ? Parce qu'il y a déjà eu des « jours blancs » ?

Mais tout le monde s'en fout, des retards de trains, non ?

Fred Jr m'attend sur le quai de la gare en compagnie de la petite Mado et d'Anouchka, qui pour m'accueillir me fait un attendrissant câlin. Elle m'appelle toujours par mon statut (« Parrain »). J'ai difficile à m'y habituer car c'est bien la seule personne à m'appeler de cette manière, à l'exception de ma fille, qui m'appelle parfois « Hamil », parfois « Papa », sans qu'il semble y avoir de raison particulière à l'emploi de l'un ou de l'autre.

Donna, l'épouse de Fred, et les deux enfants nous accompagnent une demi-heure au Vieux Moulin. Le serveur nous accueille : « Vous avez réservé ? (...) Pour deux personnes ? Ha, mais c'est pour 20 heures et il n'est que 19h30 ! Il va falloir attendre... » En attendant, nous observons les deux filles jouer dans la petite plaine de jeux jouxtant la brasserie. Les filles reparties avec leur maman, nous nous installons à la table réservée en terrasse. Fred Jr commande comme d'habitude son assiette de dix brochettes intitulée « LA TOTALE ». Quant à moi, j'opte pour un filet américain.

Fred me raconte son nouveau travail de coordinateur de bibliothèques publiques. Il est très content car il y a « plein de choses à mettre en place ». Fred n'est pas un administratif, c'est un créateur de nouveaux projets : il arrive dans un endroit et lance plein d'idées, de nouveaux services, de nouvelles manières de fonctionner, sans trop se soucier de la manière dont ça tournera une fois les grandes lignes mises en place. C'est sans doute la raison pour laquelle il enchaîne les boulots de manière beaucoup plus rapide que moi. Il m'explique qu'il y a des bibliothécaires qui sont très conservateurs : « Dans un rayon, un Guide du Routard 1998. Quel intérêt de garder ça ? Allez, hop, déclassé ! » Par ailleurs, des employés doivent être pris par la main : « Il travaille mais il faut toujours être derrière lui. Il ne prend jamais aucune initiative ! »

Fred Jr m'invite chez lui pour un dernier verre. Donna est en train de rafistoler les vêtements de ses enfants sur la terrasse. Fred parle de The Wire : « T'as déjà vu cette série ?
— Tu te fous de ma gueule ou quoi ? Je suis un fan absolu de ce chef-d'œuvre...
— Ouais bon, ne la vante pas trop quand même, cette série, me dit Donna, parce qu'il y passe déjà ses soirées pour le moment, alors...
— Non, mais The Wire, c'est fantastique, hein... 
— Ça veut dire quoi, d'ailleurs, The Wire ? demande Donna.
— "Sur écoute" en français, lance Fred.
— Oui, mais le titre anglais est plus subtil... "The wire", c'est "le fil"... Le fil des écoutes téléphoniques, mais aussi le fil qui relie les différentes structures sociales et les différents arcs de la série... C'est terrible, terrible. Tout a été pensé jusqu'au moindre petit détail, jusqu'à la moindre relation entre les différents acteurs...
— Ha bon ! »

mercredi 25 juillet 2012

« Moussaka ! Spaghettis ! »

Te souviens-tu de la première fois où nous avons dû nous rendre à la Bibliothèque royale Albert Ier ? Une vraie excursion en pleine jungle surréaliste. Notre professeur d'Histoire moderne nous avait pourtant tout expliqué : dans quels fichiers chercher ; comment remplir la fiche de commande en trois exemplaires (avec le format, l'année, la cote, le titre, l'adresse, etc.) ; comment dialoguer avec le bibliothécaire-fonctionnaire de base (« Soyez polis et surtout, ne dérogez pas aux règles ! »)...

Plus de dix ans plus tard, rien n'a changé, si ce n'est le hall d'entrée qui a entièrement été modernisé. Le personnel, lui, est toujours aussi surréaliste et les commandes de livres se font toujours manuellement, après avoir compulsé au bas mot trois fichiers (deux numériques et un manuel). Quand vont-ils enfin informatiser tout ce brol ?

Moi : « Par hasard, pourriez-vous m'échanger deux pièces de cinquante contre une pièce de un ? »
La préposée de l'accueil : « Par hasard, non, je ne peux pas. »

Moi : « Je voudrais commander tous les volumes à partir de 1947. Comment l'indiquer sur la fiche ? »
Le préposé aux commandes : « Oula, mais attendez, mais euh... Combien de volumes vous voulez ? »

Moi : « Je voudrais acheter une carte de photocopies. »
La préposée de l'accueil : « Ha ! Viens, je vais te montrer ! Tu mets un billet de cinq dans ce distributeur, tu récupères toutes les pièces de un et de cinquante qui tombent, ensuite tu mets ces pièces dans l'autre distributeur, là, et puis tu appuies sur ce bouton — ce bouton, hein, attention ! — et la carte sortira... »

Le midi, à la cafétéria du cinquième étage de la bibliothèque, je commande des spaghettis. Le concept est très intéressant : il faut payer sa commande, puis s'asseoir à l'une des tables de la grande salle. Quand la commande est prête, une dame dépose le plat sur une petite table proche de la cuisine et hurle : « Spaghettis ! » ou : « Moussaka ! » ou encore : « Croque-monsieur ! ». Quelle délicatesse !

Le soir, je vais manger avec Andrew et Léandra au Monticelli, rue de Lombardie à Saint-Gilles, le restaurant italien qui ne paie pas de mine mais où la bouffe est tellement délicieuse qu'il faut absolument réserver sa table (voir ici, quatrième paragraphe). Nous prenons la traditionnelle mozzarella di buffalo, puis de la saltimbocca a la romana, accompagnée de polenta.

Après le repas, nous nous arrêtons un instant au niveau d'une jolie maison Art nouveau située au 7, rue Antoine Bréart. Nous sommes particulièrement attirés par les trois sgraffites ornant les tympans du deuxième niveau : le premier représente un coq chantant au soleil levant, le deuxième deux hirondelles se passant une brindille, le troisième deux chauves-souris volant sous la Lune, avec un petit village en arrière-plan. À la vue des chauves-souris, nous nous demandons s'il s'agit des dessins originaux. Il semblerait que oui. Ces sgraffites, signées Adolphe Crespin, sont des allégories du Matin, du Jour et de la Nuit. Quant au bâtiment, classé, il porte le nom de « Maison Aglave », date de 1898 et est l'œuvre de l'architecte Paul Hankar. (Plus d'informations ici.)

Nous allons faire un tour dans le quartier du Châtelain. Rien à dire à ce sujet car... c'est le quartier du Châtelain*. Et en plus — comble de l'horreur — c'est le jour du marché. Je veux retourner au Parvis de Saint-Gilles ! Je veux retourner au Parvis de Saint-Gilles ! (C'est le côté « enfant » qui sommeille en moi.)
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* Si ce n'est que nous avons mangé une glace, au Framboisier Doré, rue du Bailli. Y a pas à dire : j'ai rarement mangé une glace (meringue et lait d'amandes) aussi succulente.

mardi 24 juillet 2012

« Il n'y a pas de pardon dans cette histoire ! »

Je continue mes interviews de syndicalistes. Cet après-midi, deux bonhommes bien sympathiques (un typographe et un correcteur, tous deux anciens délégués syndicaux) qui contrastent avec les autres interviewés. C'est que ceux-là n'ont jamais fait partie d'un gros syndicat mais bien d'une petite structure autonome qui se revendique plutôt du mouvement anarcho-syndicaliste. « Chez nous, tout le monde était bénévole. Un gars a évoqué l'idée d'être rétribué en tant que permanent syndical. Il a été viré sur le champ ! »

« On pratiquait la vraie démocratie, mais ça ne marchait pas. »
« On préférait une structure horizontale à une structure verticale. »

Le typographe explique : « Un jour, en tant que délégué syndical, j'ai complètement merdé... Lors d'une négociation, j'étais d'accord avec le patron plutôt qu'avec la base. Je me suis rendu compte un peu plus tard de mon erreur et j'ai immédiatement donné ma démission... Évidemment. » (Woaw !)

Ces deux gars ont été les témoins directs de la métamorphose du fabuleux monde de la presse écrite. Le premier a observé, impuissant, la transformation profonde du métier de typographe initiée par la révolution informatique (suppression de la composition manuelle à partir de caractères en plomb et de linotypes) et a vu l'offset remplacer les anciennes rotatives. Le second fait un constat amer sur l'état actuel du journalisme : avant, les correcteurs avaient le souci du détail ; ils corrigeaient le fond, la forme, repéraient les erreurs de style et de ponctuation. Aujourd'hui, c'est devenu un vrai foutoir : même les grands journaux laissent passer des fautes typographiques et orthographiques monstrueuses. Tout le monde ou presque s'en balance. Et en plus, la presse de gauche a quasiment disparu du paysage médiatique... Misère du temps présent !

Mais peut-être sont-ils simplement vieux et nostalgiques ? — NON, ils ont raison : tout fout le camp !

Dans le tram, au retour, une dame semble complètement à l'ouest. Elle commence par regarder une passagère en poussant un soupir exaspéré. Ensuite, elle observe la paroi droit devant elle et se met à déclamer, moqueuse : « Ha, on veut retourner dans sa province ? Il n'y a pas de pardon. Il n'y a pas de pardon dans cette histoire ! Et la Wallonie dans tout ça ? Là, je ne sais pas... » Elle quitte le tram au niveau de la Porte de Hal : je n'en saurai donc pas plus pour l'instant.

Un peintre en bâtiment doit passer en début de soirée afin de prendre des mesures pour la réparation d'un petit dégât des eaux dans la chambre de Gaëlle. Il sonne chez moi à 18h45 : « Oui, bonjour Madame, c'est le peintre ! » Bien sympathique, il prend les dimensions de la pièce pendant quelques minutes, boit un verre d'eau, puis avant de partir me dit : « Je dois aussi passer à côté, dans l'autre appartement, mais le monsieur ne sera là que vers 19 heures... » À côté, il n'y a pas de monsieur, simplement ma voisine. Il a donc confondu nos deux appartements contigus et inversé les rôles ! J'aurais pourtant cru que le fait de voir un homme là où il pensait rencontrer une femme lui aurait suffi à comprendre sa méprise... Mais non !

Je passe la soirée avec Mary au Parvis de Saint-Gilles. Elle est de retour du Portugal.

« Franchement, Hamil, tu devrais aller voir un psy, toi aussi ! Tu pourrais lui parler de choses que tu ne dis pas, même à tes meilleurs amis ! Tu crois que tu dis tout, mais c'est faux. Et si tu paies quelqu'un pour lui parler de tes problèmes, cela crée une distance entre lui et toi... Au départ, je n'y croyais pas, mais c'est vrai !
— Si j'allais voir un psy, je lui dirais quoi ? Que quelque chose ne va pas dans mon comportement, mais que je ne sais pas mettre le doigt dessus ?
— Oui, tu pourrais commencer par ça ! »

« Si je devais aller voir un psy, dis-je à Mary un peu plus tard, ce serait directement le psychanalyste barbu fumant la pipe. Quitte à être dans le mythe personnel, autant aller jusqu'au bout du voyage ! »

« De toute façon, je n'irai jamais chez un psy car ce n'est pas moi qui décide de ce que je fais !
— Mais qu'est-ce que tu racontes ? Bien sûr que si !
— Non. C'est une illusion. Je n'ai pas le choix. Je peux dire que j'irai chez un psy mais je n'irai jamais chez un psy, en réalité.
— Hein ? »

« Ou alors... Est-ce que tu as déjà regardé la série Les Soprano ?
— Jerry m'en a déjà parlé...
— Dans cette série, il y a une psy qui est parfaite. Par-fai-te. Le docteur Melfi.
— Ha oui... Et il en tombe amoureux, c'est ça ?
— Oui. Mais comment est-il possible de ne pas tomber amoureux d'une femme pareille ? »

« J'ai appris qu'il était homosexuel et ça m'a fait un choc sur le coup. Mais depuis, je me dis que c'est tout de même assez logique...
— Pourquoi ?
— La plupart des mecs, quand on leur demande si un autre gars est beau, ils font : "Bah ! Je m'en fous, je suis un homme !", mais lui, si un mec est mignon, il va reconnaître sa beauté sans aucun problème. »
(C'est une preuve, ça ?)

On boit beaucoup de bières... De la Rochefort 8 principalement.

« Ton truc, là, sur l'amour, ça n'arrive jamais ! C'est faux ! Faut que tu arrêtes avec ça !
— Je ne peux pas. Je ne peux pas.
— Mais si !
(J'ai presque les larmes aux yeux.)
Nooooon... Je suis incapable d'être autrement que soit totalement amoureux, soit pas du tout...
— Mais tu vas rester toute ta vie célibataire !
Ouiiiii ! »

Quand je deviens hypersensible, ça veut dire que j'ai trop bu.
Quand je demande une cigarette, ça veut dire que j'ai beaucoup trop bu.
Fichtre ! Le lendemain sera difficile : je serai l'ombre d'une ombre.
L'ombre de ta main, l'ombre de ton chien...

lundi 23 juillet 2012

Creux & vague

Aujourd'hui, au réveil, de nouveau ce curieux état de confusion. Qu'est-ce qui sonne ? Faut-il que je me lève ? Pourquoi ? Alors que d'habitude je passe du sommeil à l'éveil en à peine une seconde, il me faudra attendre l'arrivée du train en gare de Liège-Guillemins et le traditionnel « café de la semaine » à l'Espress « Oh » Juice pour émerger.

...

L'histoire de mon journal est ponctuée de messages de lecteurs, ou plutôt de lectrices, qui m'expliquent pourquoi elles me lisent et aussi ce que ce blog leur apporte. — Pourquoi majoritairement des lectrices ? C'est un grand mystère, même si certains éléments d'explication sont parfois avancés.

Aujourd'hui, je reçois un très beau message de la part d'une assez nouvelle lectrice, qui se dit nostalgique (déjà !) de ma « période aphoristique », cette courte « phase péremptoire » (comme dirait Léandra) qui commence — sans vraiment commencer — avec cet article et qui se termine — mais pas tout à fait — environ dix jours plus tard avec celui-ci. Et moi qui croyais que ce type d'écriture énerverait tout le monde, voilà que j'ai trouvé au moins une personne qui appréciait !

(Toute réalité peut être exprimée en trois mots ; plus, c'est trop long ! — Caramba, encore raté !)

J'aimerais pouvoir écrire de cette manière plus souvent mais, lui dis-je, il faut pour ce faire que je sois dans une humeur très particulière, une sorte de « pessimisme fulgurant », mais pas seulement (car ce serait trop facile) : il faut aussi que le « réel suinte » (drôle d'expression que j'explique ici) et que j'aie par conséquent l'impression d'appréhender plus subtilement tout ce qui m'entoure — en résumé : le sentiment forcément fugace d'être plus intelligent que d'habitude, même si ça ne veut pas dire grand-chose.

(Pour l'instant, pas de chance : je me sens très bête.)

Ce sentiment de compréhension arrive plus facilement quand je suis en contact avec la nature ; quand je marche sur une petite route de campagne le long d'un bois ou quand je fais du vélo, seul, entouré par le blé et les arbres (la meilleure description que j'en ai faite à ce jour se trouve ici).

J'apprends que mes anciens camarades de jeu du glorieux forum de la non moins glorieuse alliance MonLégionnaire sont à nouveau à l'origine d'un projet magnifique : la reconstitution la plus exacte possible du château et des jardins de Vaux-le-Vicomte sur Minecraft. À la vue du résultat, je me suis tout de suite dit qu'ils étaient toujours aussi tarés, chez les « MonLeg ». (C'est un vrai honneur pour moi que d'avoir créé — en 2005 ! — ce forum regroupant tant de personnes talentueuses.)

Il y a toujours eu une différence fondamentale de perception entre les gens qui me connaissent uniquement par l'écrit et ceux qui, au contraire, me connaissent d'abord de visu. Quand ils me rencontrent dans la réalité, les premiers sont souvent très étonnés : « Quoi ? T'es si petit ? Et tu rigoles tout le temps ? » ; quand ils me lisent, les seconds sont tout aussi surpris : « Bah merde, je ne savais pas que tu développais de si noires pensées ! » — Ma vie est un éternel quiproquo.

...

Je suis de retour à Bruxelles vers 20 heures, et je suis sans doute le seul couillon — rectification : un des seuls couillons — qui s'assied à la terrasse d'un café du Parvis avec pour seule et unique compagnie un petit ordinateur portable... Ceci étant dit, en cet endroit béni, tout le monde s'en fout comme de l'an quarante que je sois seul devant mon PC... Je peux donc écrire en toute quiétude, tout en profitant du récent bon air estival et des discussions plurilingues qui m'entourent.

Non pas que je veuille absolument me conformer à ce que mon environnement immédiat considère comme étant de la « pure normalité », mais tout de même : si quelqu'un venait toutes les dix minutes me demander ce que je fais en terrasse seul devant ce putain d'ordinateur, je serais clairement mal à l'aise. Ici, je suis dans mon univers et l'on me fout une paix royale !

« Pourquoi que tu bois de la bière spéciale et pas un mojito, comme tout le monde, connard ? Bordel, ça me va loin, ça ! Casse-toi de ma terrasse ou bien je te concasse ta putain de tronche d'asocial de merde ! »

J'observe, depuis ma table en terrasse, de manière moins parcellaire qu'hier, le soleil terminer son parcours derrière l'église Saint-Gilles... Constat : aujourd'hui, la vie alentour n'est pas artificielle. Pas trop en tout cas (quelques frimeurs à lunettes noires sont tout de même dans mon champ de vision). C'est très important pour mon équilibre que de voir des comportements naturels.

Sur le chemin du retour, Suuns dans les écouteurs. Ils n'en sont qu'à leur premier album mais s'avèrent déjà tellement bons... (Des Canadiens, à nouveau.) Dans la chanson « PVC », je n'en reviens toujours pas de ce déluge bruitiste qui apparaît comme par magie à une minute 23 secondes du début et occupe tout l'espace sonore pendant une vingtaine de secondes (ce passage est terriblement beau parce que terriblement bref). La guitare hurle puis se calme pour changer de registre : elle éclabousse la mélodie par à-coups. (Sont-ils vraiment formidables ou est-ce moi qui m'enflamme pour un rien ?)

PVC by Suuns on Grooveshark

dimanche 22 juillet 2012

Ombre & lumière

Au réveil, toujours cette envie de reprendre mon souffle, comme si j'émergeais à la surface d'un océan après une longue balade sous-marine sans oxygène. Faire de l'apnée, alors que je ne sais même pas nager, quelle ironie !

Je suis déjà fatigué avant même de commencer la journée et j'ai le plus grand mal à décoller de mon lit. Il faut pourtant que je sorte, que je m'aère, que je quitte l'environnement vicié de ma chambre... Les météorologues ont — enfin ! — annoncé l'arrivée du soleil cet après-midi. Hamilton, bordel, lève-toi et va faire un tour !

À la Maison du Peuple, en début d'après-midi, je fais semblant d'être en forme, mais j'ai évidemment la triste impression de tricher sur toute la ligne. Je demande au nouveau serveur : « Alors, t'as bien fêté le 21 juillet ? », comme si cette question et sa réponse avaient la moindre importance à mes yeux. Il me répond : « Non, non, je ne suis pas Belge ! » Vu son accent, il est Français, mais il aurait tout de même pu faire la fête !

Une autre serveuse, nouvelle elle aussi, dira par contre un peu plus tard à l'une de ses collègues : « Moi, je n'ai pas dormi du tout cette nuit ! »

Je rédige sans conviction la journée d'hier avant de m'installer en terrasse, en compagnie de Tous à Zanzibar de John Brunner. Je relis les passages du roman où le sociologue de génie Chad Mulligan, un rien alcoolique tout de même, livre sa vision pessimiste et désabusée de l'humanité.

À ma droite, trois anglophones ; derrière moi, des anglophones ; partout, des anglophones. Je me rattache à l'une des seules conversations francophones à portée d'oreilles, tenue par deux jeunes femmes : « Il y avait un monde fou au feu d'artifice, hier... Et les gens couraient pour trouver une bonne place... C'était la folie ! »

Le Parvis de Saint-Gilles a la particularité d'être extrêmement bien positionné par rapport à l'ensoleillement. Le matin, le marché est plongé dans l'ombre rafraîchissante des bâtiments et ce n'est qu'en milieu d'après-midi que le soleil, pas trop éloigné du Zénith, fait sa flamboyante apparition sur le rebord de la façade du café « Le Louvre ». Ensuite, il suit lentement sa courbe descendante pour finir par se cacher derrière la tour de l'église Saint-Gilles et ne réapparaître que subrepticement. En soirée, par beau temps, le mélange d'ombre et de lumière est magique ! — Magique sauf qu'en l'occurrence, l'astre du jour me brûle les yeux... Je repars donc à l'intérieur du café pour quelques heures.

Andrew me rejoint en début de soirée. Il fait délicieusement bon et il y a, curieusement, de la place en terrasse. Nous buvons deux verres de rosé désaltérants. Un élément de discussion : l'émission Noms de dieux, présentée par Edmond Blattchen, dont Andrew regarde en ce moment des rediffusions. — Noms de dieux : une émission que je devais presque visionner en cachette la nuit quand j'étais adolescent, tellement papa et maman ne pouvaient pas la blairer. De nombreux illuminés sont passés par là et je crois que c'est ce qui énervait mes parents au plus haut point, en plus de l'aspect extrêmement formel de l'ensemble. Moi, au contraire, j'adorais ce genre de dialogue, parce que la plupart des invités proposaient une vision opposée ou très différente de la mienne, et aussi parce que le présentateur les laissait parler avec respect, sans aucune coupure intempestive. Blattchen est là pour mettre en valeur ses invités, et non l'inverse. (Regard méprisant vers Ruquier, son humour potache et sa clique de m’as-tu-vu.)

Nous rejoignons Léandra au bowling du Centre-ville vers 21 heures. Jonas n'est pas là : il a mal, il n'est pas bien, il se repose. Deux parties jouées de manière inconstante, une piste à problèmes (quilles coincées dans la rigole, caoutchouc qui pendouille...) et puis nous voilà déjà repartis vers nos domiciles respectifs.

J'ai envie de suivre des cours de bowling et également — mais alors rien à voir ! — de me mettre au dessin, avec pour objectif ultime de faire de l'animation (oui, oui, ne pas rigoler, merci...). Ça fait des années que je dis que je vais me lancer dans l'aventure (Léandra confirmera), en autodidacte évidemment. Et puis je postpose, je postpose... à l'infini. Car il faudrait, pour ce faire, que j'achète de bons bouquins d'apprentissage, du bon matériel de dessin (feuilles, crayons...) et surtout que je passe des centaines de soirées de travail à mon appartement, coupé du monde... Ça ne me refroidit nullement, mais je postpose quand même.

samedi 21 juillet 2012

Le Roi, la Loi, etc.

Maison du Peuple de Saint-Gilles. La playlist musicale de cet après-midi, composée en partie de tubes d'Annie Cordy (du genre « Tata Yoyo »), est des plus ridicules. Un grand drapeau noir-jaune-rouge décore l'arrière-salle et, au comptoir, un fanion aux mêmes couleurs, placé dans un verre puis planté dans une moitié d'orange, fait office de décoration. Cerise sur le gâteau : un client se balade dans le café avec trois bandes colorées peintes sur la joue. Aujourd'hui, on l'aura compris, c'est la fête nationale belge.

Marche de ton pas énergique,
Marche de progrès en progrès !
Dieu, qui protège la Belgique,
Sourit à tes mâles succès !

Au bar, le serveur salue un client :
« Hé ! Ça va, toi ?
— Ça va, mais j'ai passé une curieuse nuit. Assez agitée....
— Tu vas voir Annie Cordy ce soir ?
(Mais de quel concert parle-t-il donc ?)
— Quoi ? Elle est encore en vie, celle-là ?
— Mais oui ! Annie Cordy est immortelle, fieu ! »

Hier, Alizé avait lancé une invitation générale pour « profiter des festivités de la fête nationale » et plus particulièrement du feu d'artifice qui sera tiré aujourd'hui à 23 heures depuis la place des Palais. Une vingtaine de personnes étaient invitées. Lors d'un coup de fil de Pat en ce début d'après-midi, j'apprends que je suis le seul à avoir répondu présent à l'appel. Qu'à cela ne tienne : nous nous donnons rendez-vous à trois, vers 20 heures, aux alentours de la Gare Centrale, pour aller manger un bout avant le feu d'artifice.

Je leur propose de nous rendre au délicieux Restobières, rue des Renards, dans les Marolles, mais une fois sur place le restaurant s'avère complet. Nous bifurquons alors vers La Grande Porte mais ce restaurant est, quant à lui, définitivement fermé ! Nous finirons par nous poser à la Fleur en Papier doré, tout simplement.

Pat travaille en ce moment, comme souvent, sur un chantier d'archéologie. Grâce aux ouvriers de chantier qu'il côtoie tous les jours, il a fait le plein de blagues d'une subtilité inouïe. Exemple : « La seule possibilité pour la Vierge d'avoir eu un enfant tout en restant vierge, c'est que Joseph soit passé par l'autre trou et qu'il y ait eu comme un problème de paroi... Du coup, ce n'est pas de l'Immaculée Conception qu'il faudrait parler, mais plutôt de l'Il m'a enculée Conception.
— Mais Pat, lui réponds-je choqué, tu n'y es pas du tout ! L'Immaculée Conception se réfère au fait que Marie fut conçue sans recevoir le péché originel ! Ça n'a rien à voir avec sa virginité lors de la naissance du Christ !
— Ouais, bon, je sais, mais c'est quand même marrant ! »

Stoemp saucisse pour eux, boulettes sauce tomate pour moi. Et avec ça, trois Orval pour chacun. « C'est toi qui conduis au retour, hein Alizé ? Hein ? » Au moment de partir vers la place des Palais, j'apprends que c'est Pat qui a tout réglé et qu'il a donc payé mon repas et toutes mes consommations...
« Ça me fait vraiment très plaisir de te revoir, Hamilton !
— Oui, moi aussi je vous aime. »

On se rappelle le bon vieux temps de l'université : je lui raconte des événements qu'il avait complètement oubliés (comme l'histoire de la serrure récalcitrante à mon ancien appartement) et il fait de même... Ha bon ? J'ai fait ça, moi ?

Lorsque nous arrivons place Royale, nous apprenons que la place des Palais est fermée à cause de l'afflux de monde. Ce n'est pas plus mal, dans la mesure où Pat est agoraphobe et moi... euh... un peu aussi, je suppose. Nous redescendons donc au niveau du Coudenberg et nous nous asseyons sur le rebord de l'Oreille tournoyante de Calder. Des centaines de personnes convergent alors vers le Palais royal. Pat est surexcité (il ne change pas) et n'arrête pas de saluer les gens qui passent (« Greg, c'est toi ? Greg ? Virginie ? T'es où ? »). Je fais une remarque : « C'est incroyable, tous ces gens... Dans chaque crâne, un cerveau avec une vie propre, des souvenirs, une mémoire, une pensée particulière... » Alizé, philosophe de formation, me regarde avec de grands yeux étonnés : « Oulala... »

Et puis : BADABOUM, BABOUM ! Le feu d'artifice commence à 23 heures tapantes, mais nous ne le voyons pas depuis notre fontaine ! Alors les gens se mettent tous à courir pour essayer de trouver un bon point d'observation. Nous remontons en vitesse les escaliers de la rue Horta, traversons la rue et observons le joli feu d'artifice depuis le Parc royal. C'est à ce moment que je me rends compte que j'aurais dû emporter mon appareil photo. (Heureusement, Léandra, que je ne verrai pas de la soirée, est aussi sur place et s'occupe de photographier le spectacle depuis un point plus central.)

Après l'apothéose, nous quittons rapidement le parc pour aller boire un dernier verre. Pat aurait aimé se rendre à La Bécasse, mais ce bête estaminet est déjà fermé ! Ce sera le Bon Vieux Temps. J'offre à Pat une Westvleteren 12. Ça faisait des années que je voulais goûter la plus rare des bières trappistes... Voilà qui est fait : c'est une très bonne bière brune, qui coûte la peau du cul (du moins là-bas) mais ça reste une bière, quoi... Et je la trouve bien plus banale que l'Orval quant à l'arôme qu'elle dégage.

Tu vivras toujours grande et belle
Et ton invincible unité
Aura pour devise immortelle :
Le Roi, la Loi, la Liberté !