vendredi 31 août 2012

Chère L.,

Je t'écris ce message affalé dans un des divans de la jolie Auberge alternative du Vieux-Montréal. Après un lever à quatre heures du matin, une longue attente à l'Aéroport de Bruxelles, un voyage en avion d'une durée de 7 heures et 42 minutes — ils sont précis, les pilotes de cette compagnie ! —, une autre attente à la douane de l'Aéroport Pierre Elliott Trudeau (« Où allez-vous ? », « Quand partez-vous ? », « Quel métier exercez-vous en Belgique ? », « Où logerez-vous ? ») et enfin un voyage en bus jusqu'au centre-ville, Flippo et moi avons enfin pu déposer nos valises à ladite Auberge. Nous y avons été accueillis avec le sourire — ça se passe toujours comme ça, ici — et avec quelques explications : nous dormirons dans un dortoir assez confortable pour vingt personnes (« la salle bleue », qu'ils l'appellent) et avons libre accès à une salle commune bien sympathique. Le café y est gratuit et à volonté, le Wi-Fi ouvert et la cuisine à notre disposition. Décalage horaire oblige, je ne suis pas assez en forme pour lier connaissance avec qui que ce soit. Faut dire aussi qu'ils sont tous penchés sur leur ordinateur ! — Sauf un anglophone qui s'essaie à la guitare, mais même lui a un PC portable ouvert devant lui !

Je te laisse car il est presque 22 heures, soit 4 heures du matin en Belgique ! On se retrouvera à l'Auberge dans environ douze jours...

H.

jeudi 30 août 2012

Les bagages de l'écriture

Un conseil de Léandra, alors que nous mangeons à la Porteuse d'Eau : « Si tu veux être tranquille durant ton voyage au Québec et ne pas courir après le retard de publication sur ton blog, tu n'as qu'à écrire un ou deux haïkus pour les quelques jours restants. De cette manière, tu seras tranquille demain pour le départ !
— Mais c'est céder à la facilité, ça, non ?
— Bah ! Personne ne t'en tiendra rigueur ! »
(C'est vrai que ce serait encore pire si je n'écrivais qu'un seul petit paragraphe sous forme de discussion... — Mais je ne peux décemment pas être aussi je-m'en-foutiste dans mon journal !)

mercredi 29 août 2012

Vert, bleu et blanc

Forêt du Québec
Se reflète dans les eaux claires.
L'érable en été.

* * *

Le béluga suit
Les sillages du traversier
Dans le bleu du fjord.

mardi 28 août 2012

Au gré de l'éthanol

« Je sais
Tout comme toi
M'émouvoir au souffle du vent
Lorsqu'il caresse mes joues,
Mais je ne peux
Être pleinement heureuse
De ce moment fugace qui disparaît 
Comme le soleil sous l'horizon. »

* * *

Mon esprit
Est fait de liens
Qui se font et se défont
Au gré de l'éthanol.
Ce qu'hier je trouvais bon
Est insipide aujourd'hui. —
Sans les vapeurs d'alcool,
Ma conscience ne vaut rien.

* * *

Est-il écrit quelque part
— Ou ai-je seulement rêvé —
Que le grand cinéaste
Était décédé ?
Comment peut-on périr
Quand on connaît le Temps ?
Comment peut-on mourir
À nonante-et-un ans ?

lundi 27 août 2012

Les bouches de ciment

« Nous autres, Ami, 
Mangeons au râtelier du progrès !
Nous brûlons les relais !
Nous ne nous arrêtons jamais dans les gîtes d'étape ! —
Vois-tu cette vieille masure recouverte de lierre ?
Demain, elle n'existera plus !
Nous la dynamiterons
Comme nous avons dynamité toutes les autres avant elle. —
L'ancienne pensée est moribonde.
Adieu Emmanuel ! Adieu Friedrich ! Adieu Ludwig !
Sur les ruines de l'ancien monde,
Nous en bâtirons un nouveau. —
Tu n'y auras pas ta place.
(Et c'est tant mieux.)

J'ai gardé pour toi, Ami,

Une belle cellule
Dont les contours sont si spartiates
Que les briques rêches empêcheront ton sang de couler. —
Imaginée par nos meilleurs techniciens,
Elle sera à l'image d'une vision
Où l'espace n'a pas lieu d'être,
Du moins pour des gens comme toi. —
Tu n'existes pas.
Tu n'as jamais existé.
Et tu n'existeras jamais.
Pour nous, tu es déjà mort. —

Tu n'es pas le bienvenu ici.
(Et je ne donne pas cher de ta peau.)

Vois-tu, Ami,
Ces incendies périphériques ?
Ces remparts qui s'écroulent ?

Ces humains qui tombent sous nos balles ? —
Tes libertaires de pacotille,
Tes gauchistes dépassés,
Nous n'en ferons qu'une bouchée.
D'ailleurs, nous les avons déjà dévorés ! —
Ils gisent, sans doute morts
Mais peut-être encore vivants, qui sait ? 
Sur les champs idéologiques
Que nous avons nous-mêmes semés. —
Nous gagnons de l'argent.
(Et c'est tout ce qui compte.)

Je voulais te dire, Ami,
À quel point je te hais !
Mais ta vie, je la pardonne  
Car nous la contrôlons. —
Nous écraserons vos os
Jusqu'à l'élimination complète de votre engeance,
Et sur vos restes fumants,
Nous entamerons une danse ! —
Nous broierons vos cœurs
À l'aide d'un moulineur high-tech,
Dont les lames de titane
Seront colorées par vos tripes ! —
Je boirai ton sang.
(Et je m'en régalerai.)

Regarde, Ami,
Comme ce téléphone est joli !
J'en avais réservé un pour toi,
Mais tu l'as refusé par mépris. —
Vois comme cette émission est belle !
Écoute comme la vérité
Coule des bouches de ciment
Que nous avons nous-mêmes modelées ! —
Je sais que tu n'y crois pas,
Mais tu ne comptes pas.
Tu n'as jamais compté.
Et tu ne compteras jamais. —
Je te regarderai brûler.
(Et l'odeur âcre de ta peau incinérée alimentera mon bonheur, pour l'éternité !) »

dimanche 26 août 2012

Déferlante

La déferlante du temps mange les jours, 
Avale les heures, 
Dévore les secondes. —
Elle laisse dans son sillage sans cesse renouvelé 
Quelques écrits exsangues,
Quelques phrases hirsutes, 
Quelques paragraphes faisandés ;
Une ponctuation chancelante,
Des formes mouvantes et sans relief ! —
Des critiques, du cynisme, de la haine,
De la rancœur, du sang, des larmes et des cris ! 
De la peur. 
— De la peur surtout ! —
Peur d'être avalé par l'inertie
Ou par le changement
Justement. — 
De temps à autre, quelques espoirs,
Quelques rares amours incomplètes,  
Des amitiés fugaces
Et des déceptions en cascade.
« Diantre ! Ils sont tous si décevants ! »
Je voudrais tant ne pas leur ressembler
Mais je n'y arrive pas. —
Du rationalisme à ne plus savoir qu'en faire,
Mangé par les charognards qui occupent mon esprit.
(L'oiseau d'or qui jadis trônait fièrement 
Aux plus hautes cimes de ma tour de guet
Se décompose à la vitesse de l'aigle fondant sur sa proie.)
« Ce nuage a-t-il besoin d'être décrit ? »
« Cette souris doit-elle être disséquée ? »
« Pourquoi tiens-tu ce globe terrestre entre tes mains ? » —
Où est-elle passée, cette confiance dans l'avenir ?
Avalée, elle aussi, par l'impitoyable déferlante !
Étais-je aveugle ?
Ou bien le suis-je maintenant ? —
Ni la nostalgie des temps anciens,
Ni la poursuite de ceux à venir
Ne rendront leurs couleurs à ces heures 
Qui n'existent pas
Et n'ont jamais existé.

samedi 25 août 2012

La fée de Vitruve

« (...) Quand, du haut du vaisseau qui m’emportait loin d’elles, 
J’ai jeté mes regards sur tes rives si belles, 
Ô mon beau Saint-Laurent, qu’ai-je aperçu, grand Dieu ! 
Toi, ma patrie, aux mains d’une bande sordide, 
Haletante d’effroi, vierge pure et candide 
Qu’on traîne dans un mauvais lieu. (...) » 
(Louis Fréchette [poète canadien, 1839-1908], La Voix d'un exilé.] 


Ce samedi, sur la terrasse du jardin familial balayée par la froide bise, ma tante explique qu'elle a eu l'occasion de se faire ausculter, en présence d'une traductrice, par un médecin bouddhiste originaire du Népal. Lui palpant... hem... l'avant-bras, il lui a pris non pas « son » mais « ses » pouls, expliquant que chacun de ceux-ci permettaient de connaître l'état d'un des organes du corps. Mon père et moi sommes hilares, évidemment : « Il te palpe le poignet et il connaît l'état de ton rein gauche ? Ben merde alors... Finis les rayons X et les échographies, on va pouvoir engager des palpeurs bouddhistes dans les hôpitaux ! »

Lu sur un site Web : « Au moyen de l'examen du pouls et selon la force ou la faiblesse des pulsations, le spécialiste détermine non seulement le type de constitution physique et l'organe atteint, mais aussi, et cela est véritablement stupéfiant, la durée de la vie, l'état de santé des membres de la famille du patient, sa richesse, les amis et ennemis qui l'entourent, et les probabilités de réussite ou d'échec pour chaque action entreprise. » — On croirait lire une publicité pour Madame Irma !

En examinant l'extérieur, on peut connaître une partie de l'intérieur, mais faut quand même pas déconner !
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Tous les Schtroumpfs ont environ cent ans, sauf le Grand Schtroumpf, qui en a 542. — Comment est-ce possible ? Qui a créé le Grand Schtroumpf et qui a créé les petits Schtroumpfs ? Le Grand Schtroumpf est-il resté seul pendant 442 ans ? Avait-il seulement des parents ? Toute cette histoire ne tient absolument pas la route. 

Une tentative d'explication : à l'instar de la Schtroumpfette, créée par Gargamel à base d'argile et d'autres ingrédients pour le moins inquiétants (telle « une solide couche de parti pris »), les Schtroumpfs seraient tous des golems de la seconde génération créés par le Grand Schtroumpf... Ce dernier aurait lui aussi été fabriqué il y a très longtemps par un puissant alchimiste, dans le but de l'aider à préparer potions et autres élixirs (ceci expliquerait le savoir du vieux lutin barbu en matière de magie). Puis le vieil alchimiste serait mort et le (jeune) Grand Schtroumpf se serait retrouvé à errer pendant des siècles, d'abord à l'intérieur des frontières du Pays maudit, puis ailleurs dans le grand Monde, où il aurait notamment appris à parler le langage des humains... Jusqu'au jour où il aurait décidé de devenir lui-même un créateur et de fabriquer d'autres Schtroumpfs/golems, grâce au savoir ancestral de son défunt maître. D'ailleurs, n'est-ce pas lui qui, cent ans plus tard, arrivera à transformer la Schtroumpfette en jolie blonde nunuche ? Le Grand Schtroumpf est fort. Très fort.
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Gaëlle se plante devant moi et me montre un dessin : une petite fée dont les ailes et les bras sont compris à l'intérieur d'un triangle et d'un rectangle superposés. « Tu te souviens, Papa, du monsieur nu qui est à la fois dans un cercle et un carré, que tu m'avais montré ? Le dessin de Léonard...
— L'homme de Vitruve ?
— Oui. Eh bien moi, j'ai fait une fée dans un triangle et un rectangle !
— Et pourquoi pas dans un cercle et un carré ? 
— Parce que moi, je ne copie jamais ! Moi, j'invente ! »

Vu dans Les Pingouins de Madagascar (épisode « Pop-corn Panique ») :
« Donne-moi un chiffre, Kowalski !
— 42 ! » 
(J'ai toujours dit que cette série était particulièrement bien scénarisée.)

vendredi 24 août 2012

« I saw the light from heaven »

« À nous les bois et leurs mystères,
Qui pour nous n'ont plus de secrets !
À nous le fleuve aux ondes claires
Où se reflète la forêt,
À nous l'existence sauvage
Pleine d'attraits et de douleurs !
À nous les sapins dont l'ombrage
Nous rafraîchit dans nos labeurs.
Dans la forêt et sur la cage,
Nous sommes trente voyageurs. (...) »
(Octave Crémazie [poète québécois, 1827-1879], Le Chant des voyageurs.)


Soudain, je me suis dit que ce journal était une façon de passer le temps en attendant le retour de Christelle, retour qui — faut-il encore le préciser ? — n'adviendra jamais. Je suis donc condamné à écrire jusqu'à la fin de mon temps. C'est d'un joyeux !
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Presque plus aucune musique n'a traversé ce blog ces dernières semaines. La raison est toute simple : un soir de distraction, j'ai oublié mon baladeur MP3 sur le quai de la gare des Guillemins ; difficile de vivre sans chanson, je m'en suis donc racheté un. Un véritable objet en toc que cet « Archos 20d Vision » : sa légèreté de plastique me donne l'impression qu'il va craquer à chaque instant ; l'esthétique de son écran tactile me rappelle les CGA des premiers temps. Son ergonomie se rapproche des arches du premier pont de Tacoma ; enfin bon, j'ai de la musique, c'est déjà ça !

Une découverte : sur son site Web officiel, le groupe texan Okkervil River propose gratuitement un mini-album intitulé Golden Opportunities 2 (suite de Golden Opportunities Mixtape), dans lequel le chanteur Will Sheff reprend cinq morceaux du registre folk. Cinq morceaux, cinq petites perles (pour ceux qui aiment le genre, évidemment)... Parmi celles-ci, « Dry Bones », chanson folk traditionnelle chrétienne, et « U.F.O. » de Jim Sullivan. L'histoire de ce dernier est pour le moins étrange : auteur d'un unique album paru en 1969, il disparaît mystérieusement environ six ans plus tard à proximité de Santa Rosa, au Nouveau Mexique. Seuls vestiges de sa présence à cet endroit : sa Coccinelle abandonnée ainsi qu'une chambre louée (mais non utilisée) dans un motel du coin. Certains disent qu'il s'est perdu dans le désert ; d'autres qu'il s'est fait enlever par des extraterrestres... Toujours est-il qu'on n'entendra jamais plus parler de lui !

Dry Bones by Okkervil River on Grooveshark

U.F.O. by Okkervil River on Grooveshark

Un constat : malgré mon athéisme, j'ai toujours eu un faible non pas pour la religion (Dieu m'en préserve, haha !), mais pour la culture héritée de la religion. Cela vaut tant pour mes préférences musicales (blues, folk, country...) que pour ma période historique de prédilection (le Moyen Âge, baigné de toute part par un christianisme omniprésent), ou encore mes auteurs préférés (le roman Dune est saturé de religion ; quant à L.W., n'en parlons même pas !). Dans tous les cas, c'est l'étrangeté de cette culture, de cette pensée, comparée à celle que j'ai reçue pendant mon éducation, qui m'attire plus que certainement.

D'un côté, je suis imprégné de l'éducation de mes parents (la volonté d'honnêteté poursuivie presque compulsivement par ma mère ; le radicalisme de mon père), de l'autre je n'ai jamais cessé de m'en éloigner. La science-fiction, l'anarchisme, l'histoire médiévale, la philosophie, l'astronomie... J'ai découvert tous ces sujets « tout seul comme un grand », comme si je voulais me démarquer de cet enseignement — enrichissant mais trop terre à terre  par un excès d'« ailleurs »... (Je suis comme ça depuis très longtemps mais je ne m'en rends compte que depuis peu.)
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En tant qu'historien, l'anecdote n'aurait pas dû me faire rire, mais rien à faire : à chaque fois que je vois cette « restauration » ratée — c'est le moins qu'on puisse dire — de la vieille peinture du Christ de la petite église de Borja, je ne peux m'empêcher de tomber dans un fou rire dévastateur. Je pense que c'est le surréalisme de la situation qui fait rire la Toile entière... Bigre, même le bas du rouleau du parchemin est peint à l'envers ! C'est tellement ridiculement mal foutu que ça en devient presque génial...


jeudi 23 août 2012

La dissectrice de l'Institut

« Mon pays, ce n'est pas un pays : c'est l'hiver. »
(Gilles Vigneault, conteur, poète et chanteur québécois né en 1928.)


Chaque congrès d'histoire auquel je participe me paraît avant tout une occasion pour tous ces universitaires qui se connaissent de se voir et de discuter « en connaissance de cause ». Et puis, il y a les autres : ceux qui errent seuls dans le grand hall, un café à la main...

« Comment 
vas-tu, cher confrère ?
Je ne sais pas si tu le sais, mais 
j'ai la maladie de ceux qui boivent et qui 
mangent beaucoup ! J'ai limité l'alcool fort car j'ai la 
goutte, n'est-ce pas... Mes amis boivent sans moi, désormais... »

« Eh bien, 
nous allons reprendre 
la session ! Je vais de ce pas
rappeler à l'ordre les nombreux congressistes
égarés, mouha-ha-ha-ha-ha-ha ! [rire gras et sonore] »

« Personnellement, je n'ai
pas trouvé qu'il était mal à l'aise... 
Mais il est vrai que ce type de conférence 
inaugurale magistrale est particulièrement anxiogène... »

« C'est ici 
qu'habitait la dissectrice de
l'Institut. Celle qui était chargée de
recevoir les corps... On leur coupait d'abord la
tête et on l'envoyait Gand, pour ne pas que les étudiants 
liégeois qui s'occupaient des organes pussent reconnaître le mort... »

« Hamilton Evenvel... 
Nous ne nous connaissons pas. 
Qui donc êtes-vous, cher Monsieur ? » 
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L'après-midi, dans la section « patrimoine immatériel », le public est restreint, la table en « » et l'ambiance décontractée. J'y croise même mon ancien directeur de mémoire de licence, Monsieur Vedusquol, qui ne me reconnaît pas — ou bien fait semblant de ne pas me reconnaître. Il est venu écouter une communication sur les chansons populaires durant les deux grandes guerres, pour disparaître par la suite sans laisser de trace.

(Intéressante, d'ailleurs, cette communication... J'y apprends notamment que, durant la Seconde Guerre mondiale, les poètes évitaient subtilement la censure en utilisant des acrostiches. Par exemple, ils débutaient leurs premiers vers par les lettres « V », « R », « A » et « F », pour « Vive la Royal Air Force » !)  

À la traditionnelle pause café de l'après-midi qui ponctue tous les colloques de la Terre, mon chef Lodewijk, secrétaire de la section « d'à côté » — il y en a quatorze en tout, de l'histoire institutionnelle à l'héraldique , me demande si je ne suis pas trop stressé car il va falloir que je prenne la parole dans les cinq minutes qui viennent. Je lui réponds que « non, pas du tout » — et pour une fois, je ne mens pas !

Ma communication se passe bien, du moins je pense (mais peut-être me prennent-ils tous pour un hurluberlu ?). Comme d'habitude, je suis démesurément enthousiaste et parle assez vite. Comme d'habitude, j'avais préparé un plan, mais je ne le suis quasiment pas car je ne le trouve pas assez vivant ; autrement dit : artificiel et mal foutu. Quand on a quelque chose à dire, on n'a pas besoin de plan, et cela est vrai tant pour l'oral que pour l'écrit, quoi qu'en disent... euh... tous les autres.

(Y a-t-il jamais eu un plan pour les articles de ce journal ? Hé non ! — « Comment donc, "Ça se voit" ? »)
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Léandra me rejoint en début de soirée à la Maison du Peuple. Alors qu'elle débarque, je viens à l'instant de découvrir une faute dans un de mes articles, celui du 4 avril 2012... J'avais écrit : « (...) le bête chemise à carreaux (...) ». Ces fautes vont me rendre fou. Je me relis sans cesse et découvre constamment de nouvelles erreurs... Je le dis à Léandra, qui me répond : « Peut-être qu'un nouveau lecteur le lira un jour, cet article, qui sait ? » Nous quittons assez vite le café pour aller manger un tartare à l'italienne à la Porteuse d'Eau.

Elle a vraiment du mal à rester seule. Elle semble en pleine lutte intérieure. Elle sait — du moins je suppose — qu'il vaut mieux ne pas du tout le contacter, mais elle l'a contacté quand même. Je ne comprends pas. J'ai beau modifier mon état d'esprit pour essayer de comprendre, je ne comprends pas. Si je me mets à sa place et que je réfléchis en termes de conséquences, je me dis qu'il vaut clairement mieux ne pas le recontacter (tout ce que cela apporterait, ce serait un retour à une situation identique) ; et si je réfléchis en termes d'amour-propre, idem (ce serait changer d'avis et perdre la face). Mais la sensation de manque semble dans ce cas-ci plus importante encore que les conséquences et l'amour-propre réunis. Donc je ne comprends pas ceci étant dit sans aucun jugement de valeur.

Il est question de Montréal, aussi. Il faut que Léandra se décide rapidement pour savoir si elle passe une semaine là-bas. Je lui raconte à quel point le Québec est joli (surtout Trois-Rivières) et ses habitants sympathiques (surtout les Trifluviens), même s'il ne faut pas compter de prime abord sur des relations en profondeur avec ces gens : « très vite potes, mais sans réelles attaches... » — c'est de l'amitié « à l'américaine »... Mais pour y passer une semaine, c'est parfait !

(La suite au prochain épisode...)

mercredi 22 août 2012

« Des deulx coustez du fleuve »

« Toute la terre des deulx coustez dudit fleuve jusques à Hochelaga et oultre 
est aussi belle et unye que jamais homme regarda. » 
(Jacques Cartier décrivant les rives du Saint-Laurent, 1536.)


Parmi les projets de vacances de Léandra pour septembre, cette idée de dernière minute que je lui avais proposée sans trop y croire : qu'elle se rende à Montréal durant une petite semaine et nous croise, Flippo et moi, à la fin de notre séjour, lors de notre retour dans la métropole québécoise. L'idée a fait son chemin et la seule chose qui ennuie Léandra est la question de son passeport, qui est périmé depuis un an. Wait and see!

Gondry et Jerry sont à la porte de mon immeuble vers 19h30. Ils apportent les premières babioles de Mary, qui s'installera dans mon appartement ce samedi, pour une durée d'environ un an normalement (voir ICI et pour plus de détails). Mary revient peu de temps après, accompagnée de Bob, pour une seconde fournée de caisses. Elle se gare n'importe comment sur un coin du trottoir pour décharger sa voiture. En trois voyages, le déménagement est déjà fini. Comparé à celui d'Amy et Zapata, c'est du petit lait, nom de Dieu ! 

« On va manger une pizza chez Mama Roma, place du Châtelain... Ça te dit ? 
— C'est gentil mais je tombe de fatigue... 
— D'accord.
 En plus, la place du Châtelain, un mercredi soir, après le marché, c'est plus que je ne puis en supporter. »
(Et c'est la stricte vérité !)

Je n'ai pas grand-chose d'autre à raconter sur cette journée. Faut-il que je décrive tous les détails inintéressants de cette soirée à domicile ? Je tiens à jour mon blog. Je prends un long bain. Et je termine avec le traditionnel Orval devant des parties de Colons de Catane en ligne.

J'ai découvert un aspect insoupçonné du jeu : la psychologie. Il est parfois très intéressant sur le plan stratégique de préserver une certaine forme de « capital sympathie » vis-à-vis de « l'ennemi ». Chez les vétérans, il arrive ainsi par exemple que toute une partie se déroule sans utiliser une seule fois le voleur. Par contre, les joueurs expérimentés usent (voire abusent) de stratégies particulièrement retorses. Dans ces parties, chaque détail compte.

mardi 21 août 2012

On ne s'évade pas du Temps

« J'ai deux montagnes à traverser,
Deux rivières à boire.
J'ai six vieux lacs à déplacer,
Trois chutes neuves à mettre au lit,
Dix-huit savanes à nettoyer,
Une ville à faire avant la nuit.
»
(Félix Leclerc, chanteur et poète québecois, 1914-1988.)


Original : ce syndicaliste, contacté par mon chef hier par téléphone, dit avoir puisé une de ses stratégies dans L'Art de la guerre de Sun Tzu. Sur base du concept de « non-guerre » développé par le tacticien chinois (l'art de la guerre est aussi et avant tout celui de l'éviter), il a développé celui de « non-grève ». Exemple : continuer la production au sein d'une entreprise tout en bloquant les camions et donc la distribution. Un moyen de pression qui, dans certains cas, peut s'avérer gagnant : les stocks s'accumulent, les ventes se tarissent et le personnel continue à être payé.
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Débat sur Facebook, la journée. — Qu'est-ce que ça peut faire qu'elle ait un voile sur la tête, bordel ? — À jouer la carte de la laïcité là où il n'y a rien à défendre ni à combattre, on se retrouve à se faire des amis qui écrivent comme des éditorialistes de Minute !

Lu, à peu de chose près : « C'est communautariste de mettre ensemble quatre Arabes sur un tract. » — Ce ne sont pas des Arabes, ce sont des habitants qui s'impliquent dans la politique de leur commune (Molenbeek) au travers d'un des quatre partis traditionnels (le PS). Si quatre noms flamands avaient été sur un même tract, aurait-on mis en avant la dérive communautariste ?
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Dans le train, le soir. — Yama m'informe de la mort de Chris Marker, qui a eu lieu le 29 juillet 2012, à l'âge de 91 ans. Sans journal ni télévision pour m'informer de ce genre d'événement, je me retrouve à découvrir l'information avec un putain de décalage.

« Une fois sur la grande jetée d'Orly, dans ce chaud dimanche d'avant-guerre où il allait pouvoir demeurer, il pensa avec un peu de vertige que l'enfant qu'il avait été devait se trouver là aussi, à regarder les avions. Mais il chercha d'abord le visage d'une femme, au bout de la jetée. Il courut vers elle. Et lorsqu'il reconnut l'homme qui l'avait suivi depuis le camp souterrain, il comprit qu'on ne s'évadait pas du Temps. Et que cet instant qu'il lui avait été donné de voir enfant, et qui n'avait pas cessé de l'obséder, c'était celui de sa propre mort. » (La Jetée, 1962.)

Nostromo, Sulaco, Narcissus... Tous ces noms de vaisseaux appartenant au monde angoissant de la série Alien sont issus de l'univers de Joseph Conrad. D'aucuns ont essayé d'y trouver une signification particulière : ce serait en rapport avec le pessimisme radical qui transparaît tant dans Alien (?) que dans le roman Nostromo ; ou bien encore avec l'échec cuisant d'une quête effrénée de richesse et de pouvoir... — Mais il s'agit sans doute avant tout d'un clin d'œil au film précédent de Ridley Scott, The Duellists (1977), dont le scénario est tiré d'une nouvelle de... Joseph Conrad.

Ils sont en train de transposer Ender's Game, le chef-d'œuvre d'Orson Scott Card, au cinéma, avec Harrison Ford dans le rôle du colonel Graff et Ben Kingsley dans celui du grand Mazer Rackham, le vieux sauveur de l'humanité. Et dans le rôle d'Andrew « Ender » Wiggin ? Asa Butterfield ! Regard intelligent, sourire espiègle... Je dois avouer que le choix de l'acteur n'est vraiment pas mal. — Une crainte cependant : que cette fabuleuse histoire d'enfant brillant et tacticien de génie, dernier espoir de la Terre face à une probable troisième invasion d'extraterrestres du nom de Doryphores, ne devienne un mélange raté de Harry Potter et d'Avatar.

« Ce livre est extrêmement difficile à transposer en film. Du début à la fin, il est question d'entraînements en école militaire de plus en plus poussés... Jusqu'au final époustouflant où l'on se rend compte que... Ha, oui, c'est vrai, tu ne veux pas connaître la fin des histoires ! » Jusqu'au moment où Ender se rend compte que son entraînement final n'en était pas un et qu'il a mené et gagné une vraie guerre offensive et destructrice contre les Doryphores à l'intérieur de leurs propres systèmes solaires !

Wittgenstein aurait-il pu écrire ce qu'il a écrit s'il n'avait pas été un tyran égocentrique, une sorte d'enfant-adulte ? Ou plutôt : quelqu'un d'autre aurait-il pu développer la même pensée en étant globalement plus sympathique (plus « normal ») que lui, avec ses amis notamment ? Je pense que non (sans ce comportement perfectionniste et totalement monomaniaque, il n'aurait pas écrit ce qu'il a écrit). Yama, plongée actuellement dans sa biographie, pense au contraire que oui (cette pensée est possible et répond à des questions que nous nous posons ; elle aurait donc pu être développée par une toute autre personnalité).
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Léandra me rejoint vers 21 heures à la Maison du Peuple. Deux sujets occupent la discussion. En premier lieu, elle en a vraiment marre de Jonas et a vraiment décidé de ne plus entrer dans son jeu. Je suis d'accord avec le principe. Cette histoire devient éreintante pour tout le monde, d'abord pour Léandra évidemment, mais aussi pour son entourage immédiat. Il faudrait pouvoir secouer ce type une bonne fois pour toute et lui dire : « Prends une décision ! » et « Sois plus souple ! » (Et c'est moi qui dis ça ! Oui, oui, je sais : je ne manque pas d'air !)

Le second sujet concerne cette fameuse discussion sur Facebook, dans laquelle Léandra, tout en restant très calme, s'est pas mal impliquée, à l'inverse de moi. Elle m'explique : « Au début, je n'ai pas vu où était le problème. J'ai cru qu'il y avait sur le tract électoral une phrase du genre : "Dieu est avec nous" (ça s'est déjà vu)... Puis je me suis rendu compte que le problème pour lui, c'était que la dame était voilée et aussi, peut-être, qu'ils avaient tous les quatre des noms à consonance arabe. »

« Franchement, il se dit socialiste simplement parce qu'il se présente à Charleroi. Mais il pourrait tout aussi bien très vite passer à droite. Ça arrivera un jour, sans doute, tu verras, Hamil'. »

Léandra et moi sommes parfaitement d'accord sur le sujet, à savoir que ce genre de discours présenté comme « laïque » sert surtout et avant tout de défouloir pour les fachos nostalgiques de la Belgique de Degrelle (« Au moins, à son époque, l'ordre régnait Monsieur, et nous étions chez nous ! »).

Mais, pourrait-on me rétorquer, « et alors ? De nombreux sujets de société sont récupérés par l'extrême droite ! Faut-il pour cela renoncer à des principes comme la défense de la laïcité ou la lutte contre l'incursion du religieux dans la politique et les services publics ? » — Je n'ai pas de réponse à cette question. Rien n'est simple, comme dirait l'autre.
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Andrew nous rejoint après une très longue journée de travail. Il a passé ces dernières semaines à la rédaction d'un texte de géostratégie (je ne suis pas certain que ce soit le bon terme) en anglais pour un commanditaire qui semble avoir une idée assez précise de ce à quoi le texte devrait ressembler. — Décidément, écrire l'histoire sans contrainte extérieure est toujours loin d'être évident, quel que soit le milieu dans lequel on évolue !

lundi 20 août 2012

« There ain't no sense in runnin' »

Trois heures du matin et des poussières. Je me réveille sous l'emprise de la chaleur. Pas d'air, juste la moiteur d'une nuit lourde et sans nuage... Impossible de me rendormir... Mes draps sont trempés et je respire difficilement... J'ai sommeil, pourtant ! Pour créer le courant d'air salutaire, je relève mes trois stores et ouvre grand la fenêtre de ma chambre. Une pensée morbide : et si, dans une crise de somnambulisme, je me jetais par la fenêtre, du haut de mon quatrième étage ? — Qu'à cela ne tienne : grâce au stratagème de la fenêtre béante et au courant d'air ainsi créé, j'arrive à me rendormir pour quelques heures.
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Au boulot, l'après-midi. — Alors que le continent américain se réveille en douceur, je reçois l'une après l'autre les réponses (positives) à mes demandes d'hébergement en auberge de jeunesse. Auberge alternative de Montréal : OK. Auberge internationale de Trois-Rivières (là où les magnifiques courbes du Saint-Maurice rejoignent le puissant Saint-Laurent, devant lequel le Grand Amazone lui-même s'avoue vaincu) : OK. Auberge internationale de Québec : OK. Auberge de jeunesse de Tadoussac : OK, mais les réservations ne se font que par téléphone. Auberge festive « Sea Shack » en Gaspésie : on s'en fout, on n'y va pas.

Pour être définitivement tranquille avec ces bêtes histoires de réservations, je prends mon courage à deux mains et téléphone outre-Atlantique, à la fameuse Auberge de Tadoussac, à l'aide de mon petit téléphone portable tout pourri. Lors du dernier voyage, je les avais joints depuis une des cabines téléphoniques de l'Auberge internationale de Québec et j'avais eu le plus grand mal à comprendre les questions que la demoiselle de l'accueil me posait. — C'était du français, mais les accents toniques étaient tellement déplacés par rapport au français de Belgique ou de France que l'ensemble était très difficile à suivre. (Je suppose que le même problème se posait à mon interlocutrice, à l'autre bout du fil.)

(Pour se rendre compte de la différence, une anecdote : lors de notre dernier voyage au Québec, plusieurs habitants n'ont pas fait la différence entre l'accent de Flippo, le mien et celui de deux Toulousains à la voix chantante rencontrés sur la route !)

Aujourd'hui, même problème... Un gars décroche avec un très fort accent québécois. Je sais qu'il vient de me dire quelque chose comme : « Auberge de Tadoussac, bonjour ! », mais je le devine plus que je ne le comprends. Je ne fais cependant pas la même erreur que la dernière fois et ne lance donc pas : « Allo ? Suis-je bien à l'Auberge de jeunesse de Tadoussac ? » mais plutôt : « Oui, bonjour, ce serait pour réserver deux lits dans votre auberge pour le mois de septembre... » Gros blanc puis : « Oui... » (Haha, je crois qu'il lui a fallu, tout comme moi, un certain temps pour comprendre la demande !) Il me dit de patienter et me met en attente. Dix bonnes minutes passent... Bonjour la facture de téléphone, mais je m'en fous ! Je poireaute, je poireaute et je finis par penser qu'il est parti rameuter tout le monde : « Hé ho, lo gars, v'nez donc écouter c'te drôle d'accint ! C't'in Belge ou in Frinçais, n'sais po trô ! », mais je me fais sans doute un film, comme d'habitude.

Il finit par reprendre le combiné et me demande mon prénom, mon nom et le numéro de ma carte de crédit. Il m'explique que si nous voulons aller observer les baleines, nous aurons un prix plus favorable en tant que clients de l'Auberge. Je lui réponds : « Oui, oui, on connaît ! Nous sommes déjà venus chez vous ! Nous avons même fait la balade aux castors avec Coco ! » Il raccroche, je raccroche. Je crois que nous avons réussi à communiquer et qu'il a bien réservé deux lits simples pour quatre jours. Je serai néanmoins beaucoup plus rassuré une fois sur place, en voyant mon nom sur le registre des arrivées.
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Ce ne sont plus les trompettes mais les grandes orgues que j'entends désormais ! — Diantre, je suis à l'avance sur mon blog ! Je suis à l'avance sur mon blog ! J'ai couru, couru pendant toutes ces années pour réaliser en fin de compte que l'origine de ma course était... moi-même ! Un homme doit faire ce qu'un homme doit faire et il n'y a aucune raison de courir sans cesse. Maintenant, je dois me retourner. Je dois me battre. Et surtout je dois marcher droit !

« Now wait there stranger! A man can run and run for year after year until he realizes that what he's running from is... hisself ! A man's gotta do what a man's gotta do, and there ain't no sense in runnin'. Now you gotta turn, and you gotta fight, and you gotta hold your head up high. Now you go back in, my son, and be a man: walk tall! » (Monty Python Flying Circus, « The Cowboy Interlude ».)

dimanche 19 août 2012

Ode à Trois-Rivières

« Trois-Rivières, ville algonquine presque quatre fois centenaire, berceau de l'implantation européenne en Amérique du Nord, capitale de la poésie, ville de science et de lettres !
» Trois-Rivières, dont les joyeux vallons, creusés par le vieux Saint-Maurice avant de se jeter dans le grand fleuve, laissent béat d'admiration le voyageur égaré !
» Trois-Rivières, dont les habitants — les "Trifluviens", le savais-tu ? — arborent en permanence un sourire qui n'a son pareil nulle part ailleurs dans la Belle Province !
» Trois-Rivières, bordée par le Saint-Laurent, voie navigable qui a servi de porte d'entrée triomphale à l'exploration sans limite du continent nord-américain ; cours d'eau impérial dont le débit dépasse de loin celui du Nil !
» Trois-Rivières... Écoute comme ce nom coule ! Écoute-le résonner à l'intérieur de ton esprit, tel le béluga nageant majestueusement au gré du courant et des marées !
» N'as-tu donc jamais observé, Hamilton, le soleil de septembre se coucher sur le lac Saint-Pierre ?
» N'as-tu jamais vu ces terrasses se remplir au premier rayon de soleil estival ?
» N'as-tu jamais entendu vibrer la ville lorsque, au gré des saisons, des groupes itinérants envahissent les rues, les esplanades et les terrasses pour jouer une musique qui, longtemps après son évaporation, bercera ton cœur ?
» N'as-tu jamais senti le souffle léger du vent du Sud-Ouest effleurer ta peau avec amour ; avec la même délicatesse que l'abeille butinant la rose au crépuscule ?
» N'as-tu jamais touché ces anciens murs de pierres préservés du grand incendie ? — Leurs aspérités sont aussi douces que la rosée glissant sur la feuille d'érable au petit matin...
» Tonnancour, Saint-Quentin, Laviolette, Attikameks, Capitanal... Ces mots qui aujourd'hui ne t'évoquent sans doute rien de connu seront pour toi comme une seconde nature après y avoir séjourné !
» Trois-Rivières est plus qu'une ville, c'est un pays à elle toute seule !
» Trois-Rivières est plus qu'un pays, c'est un...
— Ouais, ça va, c'est bon, t'as gagné, Flippo ! On va s'y arrêter quelques jours, à ton fameux Trois-Rivières ! »
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Après m'être fait convaincre, chez Flippo, de faire une escale de deux nuits à Trois-Rivières (on l'aura compris) pendant notre voyage au Québec en septembre prochain, je retrouve ma Maison du Peuple de Saint-Gilles pour y attendre Léandra, que je n'ai plus vue depuis des semaines. — Cela fait d'ailleurs des semaines que je n'ai plus vu grand monde...

Même si, pour le moment, ce n'est pas facile tous les jours — c'est le moins qu'on puisse dire ! — avec Jonas (avec qui elle sort/ne sort pas — biffer la mention inutile), Léandra n'est pas déprimée. Elle a profité à moitié de son pass pour le Brussels Summer Festival (BSF pour les intimes) et a vu (et adoré) Iggy Pop, le chanteur fou contorsionniste. Elle sera bientôt en vacances — encore ! — et ne sait toujours pas vraiment comment elle va en profiter.

Qu'écrire d'autre ?
Léandra n'essaie pas de me convaincre d'aller à Trois-Rivières.
Léandra s'en fout, des verts vallons creusés par le Saint-Maurice.
Léandra n'a pas d'atomes crochus avec le Canada, ni avec ses habitants.

Le prix des « antipasti » a augmenté. 
Ils ont tout « arrondi » vers le haut, les salauds !

Il fait chaud — étouffant même !

Et puis Jonas envoie un message pour demander à Léandra de le recontacter, et la soirée se termine vers dix heures du soir ! — Au vu de la chaleur et de mon épuisement, ce n'est sans doute pas plus mal...

samedi 18 août 2012

All clean, Sir!

20.0. J'envoie toute cette numérotation moribonde aux oubliettes... Elle s'avère beaucoup trop artificielle et n'apporte strictement rien à l'ensemble. — « De toute façon, ce ne sera pas la première fois que ton blog change de forme ! » En effet.

Aujourd'hui, samedi 18 août 2012, l'heure est au grand nettoyage, et à mon retour à Bruxelles. Maman et moi prenons le chemin de la capitale avec pour objectif principal de remettre à neuf mon appartement.

Sur le trajet, nous nous arrêtons au Lunch Garden de Waterloo. C'est le restaurant de prédilection de ma mère, va savoir pourquoi ! Personnellement, j'ai toujours eu le plus grand mal à comprendre ce qui pouvait l'attirer dans ce haut lieu de perdition gastronomique... Sont-ce les pommes de terre en bocal mal cuites ou bien les salades dures comme le roc ? À moins que ce ne soient les délicieuses semelles de viande noyées dans leur sauce ? (Point positif : c'est tout de même moins répugnant que les horribles boulettes scandinaves de chez IKEA.)

Un vieux monsieur dans les toilettes du restaurant : « Je venais manger ici tous les samedis avec ma femme, depuis des années... Mais elle est morte l'an dernier... Alors je continue à venir, seul, en sa mémoire. »

À mon appartement. — Mes amis savent que je peux être maniaque pour une broutille, mais s'ils connaissaient ma mère, ils se rendraient vite compte que me traiter de « maniaque » est pour le moins totalement disproportionné... Maman traque les poussières jusque dans leurs derniers retranchements et rétablit l'ordre et la symétrie partout où elle passe. — Tu verrais ma chambre après son passage ! Ce n'est plus une chambre, c'est un sanctuaire !

Que dire de cette journée si ce n'est que je range et que je trie ?... Je classe les centaines de bandes dessinées dans leur étagère, je remets en ordre ma bibliothèque, je fais le tri dans tous ces papiers accumulés au fil des mois. Avec toutes les conneries que j'ai entassées depuis des lustres, je pourrais allumer un immense feu de joie.

Au coucher du soleil, tout est en ordre. La moindre poussière est maîtrisée. Chaque livre est à sa place. Les pièces d'échecs sont bien au centre de leur case. La cuisine a repris ses couleurs d'antan. La salle de bain est si éclatante que s'y rendre est un véritable supplice pour les yeux. Ma mère reprend alors la route de la maison, me laissant seul dans cet appartement tellement propre que j'ai peur de le souiller par ma seule présence.

vendredi 17 août 2012

19bis. 17§

19bis.1. Hier, dans mon wagon, un jeune gars semblait captivé par un roman de Bernard Werber... Du moment qu'il lit, l'expérience ne peut être que positive et enrichissante !

19bis.2. Tout comme Isaac Asimov, Bernard Werber ne se démarque pas spécialement par la brillance de son style. Qui s'en soucie ? Car l'auteur (et c'est lui-même qui le dit) met d'abord en avant des idées.

19bis.3. Éric-Emmanuel Schmitt, Marc Levy et Bernard Werber ont indubitablement des points communs, et ceux-ci ne se résument pas uniquement à leurs succès littéraires respectifs. Non : ils placent tous les trois au centre de leurs textes l'humain, l'émotion et le mystère existentiel !

19bis.4. « Pourquoi ? Pourquoi faut-il que tu sois toujours si positif en tout ? » — C'est faux, c'est faux ! N'as-tu donc pas lu ce que j'ai écrit hier ? Tout, absolument tout, était broyé par le moulin du cynisme, de la critique et de l'élitisme !

19bis.5. N'as-tu donc jamais lu, à d'autres endroits de ce journal, ce que j'ai écrit sur les personnages formatés des films d'animation en provenance des grands studios américains ?... Et cette horreur que j'ai rédigée sur le pessimisme, il y a une quinzaine de jours ?... Et ces écrits dans lesquels j'explique que je suis moralement abattu et ne fais rien d'autre que regarder Les Pingouins de Madagascar en sirotant des bières ?... (Si je suis positif vis-à-vis de la lecture en général, c'est parce que j'ai moi-même beaucoup lu et que je connais tous les bienfaits que cette pratique peut apporter au quotidien.)

19bis.6. Lu dans les toilettes d'un train : « You are in a metal snake, on a rock floating through space. » — Une description concise et réaliste de la présente situation.

19bis.7. Pendant que je travaillais, une candidate du FDF (Fédéralistes démocrates francophones) s'est présentée à la maison pour exposer son programme en vue des élections communales à venir. Paraîtrait qu'elle a été reçue par mon père. — Mon papa a ses idées (marxistes), mais il sait accueillir les gens.

19bis.8. Ladite candidate a parlé de son implication au sein d'une association dédiée à l'alphabétisation. — Elle n'est pas du même bord politique que nous et mes parents ne voteront certainement jamais pour elle, mais elle a le courage de venir frapper à toutes les portes... et le mérite de s'impliquer dans des projets communaux ! Et ça, c'est quand même très chouette !

19bis.9. Cette dame a bien raison de mettre l'alphabétisation sur le tapis. La lecture permet de comprendre le Monde, et comprendre le Monde est une condition sine qua non à toute démocratie !

19bis.10. Ses paroles s'inspirent de temps à autre des bruissements du discours populaire ? Et alors ? Peut-être est-ce simplement la preuve qu'elle est à l'écoute du peuple ?

19bis.11. À la question « C'est quoi le malheur ? » postée par mon père sur Facebook, un de ses amis a répondu : « Ces d'etres gouverné par des incapables!!!!! » — Il serait aisé de critiquer l'orthographe du commentaire, et aussi de railler la naïveté d'un tel discours... Mais c'est oublier que chaque individu a sa place dans notre société et qu'il convient d'être à l'écoute de tous, y compris de ceux qui n'ont pas appris à structurer leurs pensées. Plutôt que de prendre un tel message avec condescendance, pourquoi ne pas essayer d'accompagner le bonhomme dans la construction d'une plus grande conscience politique ?

19bis.12. Mon père approuve : « Ce gars, il ne sait pas écrire, mais tu lui montres une chaudière, il la répare en deux temps trois mouvements ! » — Un point commun avec Ludwig Wittgenstein, tiens ! (Pour la chaudière, hein, pas pour l'écriture...)
 
19bis.13. À quoi cela sert-il d'être élitiste ? Chaque être apporte sa pierre à l'édifice et puis c'est tout !

19bis.14. Mister H « n'écrira plus jamais parce que plus personne ne lit. » — Accroche-toi ! Continue à écrire coûte que coûte, Bertrand ! Même si tu n'es lu que par une seule personne, ce ne sera jamais une perte de temps !

19bis.15. Lorsque ma vieille grand-mère joue au Scrabble, elle perd. C'est parce qu'elle s'en fiche de gagner : elle joue pour le plaisir de jouer et elle a bien raison !

19bis.16. La voisine de mes parents ne connaît qu'un seul mode d'expression : le cri. — Quelle veine de pouvoir symboliser personnellement un célèbre tableau !

19bis.17. Les entends-tu, toi aussi, les trompettes de la victoire ? Elles marquent le début d'une vie nouvelle. Celle qui consiste à ne plus être esclave du temps et à prendre la vie telle qu'elle se présente comme seul horizon !

jeudi 16 août 2012

19. 17§

19.1. Un des grands mystères de la vie : le nombre important de personnes qui, dans le train, sont plongées dans un roman de Bernard Werber et — c'est là, fondamentalement, que réside le mystère — semblent apprécier ce qu'elles lisent.

19.2. Isaac Asimov non plus ne possédait aucun style, mais au moins il défrichait des territoires !

19.3. Éric-Emmanuel Schmitt, Marc Levy et Bernard Werber forment les trois angles d'un « Triangle des Bermudes » littéraire. Une fois à l'intérieur de cette zone infernale, l'esprit critique disparaît sans laisser de trace (au détriment d'une admiration béate).

19.4. « Pourquoi ? Pourquoi faut-il que tu sois toujours si négatif sur tout ? » — C'est faux, c'est faux ! N'as-tu donc pas lu ce que j'ai écrit récemment sur Les Pingouins de Madagascar ?...

19.5. Plus sérieusement, n'as-tu donc jamais lu ce que j'ai écrit sur les creux et les sillons parcourus par les Fremen de Dune ?... Et sur Enoch Wallace, le fermier du Wisconsin responsable d'une gare de triage pour « extraterrestres en transit » dans le génial Way Station de Simak ?... Et sur les contes du futur de Cordwainer Smith, traversés de part en part par la poésie et l'humanisme ?...  (Si je déteste Werber, ce n'est pas parce que je suis réfractaire à la science-fiction mais au contraire parce que j'en ai beaucoup trop lu pour apprécier cette daube.)

19.6. Lu dans les toilettes d'un train : « You are in a metal snake, on a rock floating through space. » — Énoncé de cette façon, c'est vrai que ça peut paraître totalement surréaliste.

19.7. Pendant que je travaillais, une candidate du FDF (Fédéralistes démocrates francophones) s'est présentée à la maison pour exposer son programme en vue des élections communales à venir. Paraîtrait qu'elle a été accueillie par mon père. — Mazette ! C'est une intrépide !

19.8. Elle a parlé de son implication au sein d'une association dédiée à l'alphabétisation, puis a subitement changé de sujet et s'est mise à critiquer vertement un projet d'accueil des « Gens du voyage » dans la commune. — Mauvaise idée : elle aurait mieux fait de continuer à parler d'alphabétisation.

19.9. J'imagine la feuille de route de cette dame : « Parler des Gens du voyage et, si l'électeur potentiel accroche au discours, continuer sur le thème de l'Islam radical ».

19.10. Comment faire confiance à des personnes qui, pour être élues, prennent pour base les bruissements du discours populaire ?

19.11. À la question « C'est quoi le malheur ? » postée par mon père sur un réseau social, un de ses amis a répondu : « Ces d'etres gouverné par des incapables!!!!! » — Une réponse pour le moins paradoxale.

19.12. « C'est facile de critiquer, Hamilton, mais ce gars, tu lui montres une chaudière, il la répare en deux temps trois mouvements ! » — Un point commun avec Ludwig Wittgenstein !
 
19.13. « Tu n'es qu'un élitiste, voilà ce que tu es ! » — Est-ce élitiste de pointer du doigt un flagrant problème d'orthographe ? — « Oui. » — Ha bon ! Misère !

19.14. Mister H « n'écrira plus jamais parce que plus personne ne lit. » — Quelle importance ? Faut-il être lu pour écrire ?

19.15. Lorsque ma vieille grand-mère joue au Scrabble, elle perd. C'est parce qu'elle refuse de savoir que ce jeu prend ses racines dans la logique et non dans le vocabulaire.

19.16. La voisine de mes parents ne connaît qu'un seul mode d'expression : le cri. Elle hurle sur tout ce qui bouge : son mari, ses enfants, son chien, sa main...

19.17. Les entends-tu, toi aussi, les trompettes de la victoire ? Elles marquent la fin de mon calvaire. Celui qui consistait à courir après ces journées qui toujours s'enfuyaient vers l'horizon du temps !