mardi 21 août 2012

On ne s'évade pas du Temps

« J'ai deux montagnes à traverser,
Deux rivières à boire.
J'ai six vieux lacs à déplacer,
Trois chutes neuves à mettre au lit,
Dix-huit savanes à nettoyer,
Une ville à faire avant la nuit.
»
(Félix Leclerc, chanteur et poète québecois, 1914-1988.)


Original : ce syndicaliste, contacté par mon chef hier par téléphone, dit avoir puisé une de ses stratégies dans L'Art de la guerre de Sun Tzu. Sur base du concept de « non-guerre » développé par le tacticien chinois (l'art de la guerre est aussi et avant tout celui de l'éviter), il a développé celui de « non-grève ». Exemple : continuer la production au sein d'une entreprise tout en bloquant les camions et donc la distribution. Un moyen de pression qui, dans certains cas, peut s'avérer gagnant : les stocks s'accumulent, les ventes se tarissent et le personnel continue à être payé.
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Débat sur Facebook, la journée. — Qu'est-ce que ça peut faire qu'elle ait un voile sur la tête, bordel ? — À jouer la carte de la laïcité là où il n'y a rien à défendre ni à combattre, on se retrouve à se faire des amis qui écrivent comme des éditorialistes de Minute !

Lu, à peu de chose près : « C'est communautariste de mettre ensemble quatre Arabes sur un tract. » — Ce ne sont pas des Arabes, ce sont des habitants qui s'impliquent dans la politique de leur commune (Molenbeek) au travers d'un des quatre partis traditionnels (le PS). Si quatre noms flamands avaient été sur un même tract, aurait-on mis en avant la dérive communautariste ?
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Dans le train, le soir. — Yama m'informe de la mort de Chris Marker, qui a eu lieu le 29 juillet 2012, à l'âge de 91 ans. Sans journal ni télévision pour m'informer de ce genre d'événement, je me retrouve à découvrir l'information avec un putain de décalage.

« Une fois sur la grande jetée d'Orly, dans ce chaud dimanche d'avant-guerre où il allait pouvoir demeurer, il pensa avec un peu de vertige que l'enfant qu'il avait été devait se trouver là aussi, à regarder les avions. Mais il chercha d'abord le visage d'une femme, au bout de la jetée. Il courut vers elle. Et lorsqu'il reconnut l'homme qui l'avait suivi depuis le camp souterrain, il comprit qu'on ne s'évadait pas du Temps. Et que cet instant qu'il lui avait été donné de voir enfant, et qui n'avait pas cessé de l'obséder, c'était celui de sa propre mort. » (La Jetée, 1962.)

Nostromo, Sulaco, Narcissus... Tous ces noms de vaisseaux appartenant au monde angoissant de la série Alien sont issus de l'univers de Joseph Conrad. D'aucuns ont essayé d'y trouver une signification particulière : ce serait en rapport avec le pessimisme radical qui transparaît tant dans Alien (?) que dans le roman Nostromo ; ou bien encore avec l'échec cuisant d'une quête effrénée de richesse et de pouvoir... — Mais il s'agit sans doute avant tout d'un clin d'œil au film précédent de Ridley Scott, The Duellists (1977), dont le scénario est tiré d'une nouvelle de... Joseph Conrad.

Ils sont en train de transposer Ender's Game, le chef-d'œuvre d'Orson Scott Card, au cinéma, avec Harrison Ford dans le rôle du colonel Graff et Ben Kingsley dans celui du grand Mazer Rackham, le vieux sauveur de l'humanité. Et dans le rôle d'Andrew « Ender » Wiggin ? Asa Butterfield ! Regard intelligent, sourire espiègle... Je dois avouer que le choix de l'acteur n'est vraiment pas mal. — Une crainte cependant : que cette fabuleuse histoire d'enfant brillant et tacticien de génie, dernier espoir de la Terre face à une probable troisième invasion d'extraterrestres du nom de Doryphores, ne devienne un mélange raté de Harry Potter et d'Avatar.

« Ce livre est extrêmement difficile à transposer en film. Du début à la fin, il est question d'entraînements en école militaire de plus en plus poussés... Jusqu'au final époustouflant où l'on se rend compte que... Ha, oui, c'est vrai, tu ne veux pas connaître la fin des histoires ! » Jusqu'au moment où Ender se rend compte que son entraînement final n'en était pas un et qu'il a mené et gagné une vraie guerre offensive et destructrice contre les Doryphores à l'intérieur de leurs propres systèmes solaires !

Wittgenstein aurait-il pu écrire ce qu'il a écrit s'il n'avait pas été un tyran égocentrique, une sorte d'enfant-adulte ? Ou plutôt : quelqu'un d'autre aurait-il pu développer la même pensée en étant globalement plus sympathique (plus « normal ») que lui, avec ses amis notamment ? Je pense que non (sans ce comportement perfectionniste et totalement monomaniaque, il n'aurait pas écrit ce qu'il a écrit). Yama, plongée actuellement dans sa biographie, pense au contraire que oui (cette pensée est possible et répond à des questions que nous nous posons ; elle aurait donc pu être développée par une toute autre personnalité).
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Léandra me rejoint vers 21 heures à la Maison du Peuple. Deux sujets occupent la discussion. En premier lieu, elle en a vraiment marre de Jonas et a vraiment décidé de ne plus entrer dans son jeu. Je suis d'accord avec le principe. Cette histoire devient éreintante pour tout le monde, d'abord pour Léandra évidemment, mais aussi pour son entourage immédiat. Il faudrait pouvoir secouer ce type une bonne fois pour toute et lui dire : « Prends une décision ! » et « Sois plus souple ! » (Et c'est moi qui dis ça ! Oui, oui, je sais : je ne manque pas d'air !)

Le second sujet concerne cette fameuse discussion sur Facebook, dans laquelle Léandra, tout en restant très calme, s'est pas mal impliquée, à l'inverse de moi. Elle m'explique : « Au début, je n'ai pas vu où était le problème. J'ai cru qu'il y avait sur le tract électoral une phrase du genre : "Dieu est avec nous" (ça s'est déjà vu)... Puis je me suis rendu compte que le problème pour lui, c'était que la dame était voilée et aussi, peut-être, qu'ils avaient tous les quatre des noms à consonance arabe. »

« Franchement, il se dit socialiste simplement parce qu'il se présente à Charleroi. Mais il pourrait tout aussi bien très vite passer à droite. Ça arrivera un jour, sans doute, tu verras, Hamil'. »

Léandra et moi sommes parfaitement d'accord sur le sujet, à savoir que ce genre de discours présenté comme « laïque » sert surtout et avant tout de défouloir pour les fachos nostalgiques de la Belgique de Degrelle (« Au moins, à son époque, l'ordre régnait Monsieur, et nous étions chez nous ! »).

Mais, pourrait-on me rétorquer, « et alors ? De nombreux sujets de société sont récupérés par l'extrême droite ! Faut-il pour cela renoncer à des principes comme la défense de la laïcité ou la lutte contre l'incursion du religieux dans la politique et les services publics ? » — Je n'ai pas de réponse à cette question. Rien n'est simple, comme dirait l'autre.
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Andrew nous rejoint après une très longue journée de travail. Il a passé ces dernières semaines à la rédaction d'un texte de géostratégie (je ne suis pas certain que ce soit le bon terme) en anglais pour un commanditaire qui semble avoir une idée assez précise de ce à quoi le texte devrait ressembler. — Décidément, écrire l'histoire sans contrainte extérieure est toujours loin d'être évident, quel que soit le milieu dans lequel on évolue !

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