vendredi 30 novembre 2012

Intercalaires

Rude novembre. — Message de Léandra : « Voilà, c'est le dernier jour de novembre. Et ça a été le plus dur pour moi depuis longtemps. » Que répondre ? Il n'y avait aucun deus ex machina à attendre de ces paroles prononcées le 23 septembre dernier, seulement une inspiration : il fallait que le changement vienne d'elle, voire de nous tous. L'étincelle n'a pas eu lieu. Quant à moi, comme d'habitude, j'aurais mieux fait de fermer ma grande gueule.

Menace déguisée. — À la sortie de l'école, Gaëlle m'explique qu'elle a oublié son doudou chez sa maman. Elle me dit que si nous n'allons pas le chercher, elle ne pourra pas dormir cette nuit. Elle me prévient en ces termes : « Tu ne veux pas aller le chercher, Papa ? D'accord, ce n'est pas grave, mais alors il faut que tu saches que je ferai une nuit blanche. C'est comme ça... » — Oh comme elle est maligne ! Mais que croit-elle donc ? Que les humains, une fois devenus adultes, ont tout oublié des stratagèmes de leur enfance ?

Pokémon, 1. — J'offre à Gaëlle son cadeau de Saint-Nicolas à l'avance : à Namur, nous nous rendons dans un magasin de jeux vidéo et elle peut choisir le jeu Nintendo DS de son choix. Elle opte pour Pokémon version blanche 2 : « Je choisis "version blanche" parce que les blancs, c'est les gentils. »

Circulaires. — Dans la voiture vers la maison familiale, ma mère me déclare : « Fab a besoin de toi pour un examen qu'il doit passer en janvier. Je vais te déposer chez lui, ensuite il te reconduira... » Chez mon cousin, celui-ci m'expose son problème : il veut passer l'examen de chef d'atelier. Il me montre, consterné, les centaines de pages qu'il vient d'imprimer : une flopée de circulaires à connaître. « Quoi ? Tu dois étudier tout ça pour janvier ? », lui demandé-je. « Oh non ! Je peux les avoir à côté de moi durant l'examen. J'ai juste besoin de les organiser !... Et comme tu es archiviste... » « L'archiviste », lui réponds-je, « il prend chacune de ces circulaires et il les met dans une boîte... Cela fait, par circulaire, tout au plus trois lignes dans un inventaire... Et puis c'est tout ! » Mais je lui conseille de mettre chaque circulaire dans un classeur et de hiérarchiser chaque classeur à l'aide d'intercalaires et de sous-intercalaires... Que lui conseiller d'autre ? Il n'y a pas de solution miracle... Il me lance : « Et tu as fait six ans d'université pour me sortir un truc pareil ? Pour me dire que je dois acheter de bêtes intercalaires ? » (Oui, mais mon but dans la vie, au départ, c'était d'être marchand de crème.)

Pokémon, 2. — Gaëlle joue à son nouveau jeu toute la soirée. Rien n'a changé : j'ai l'impression de voir Hamilton, plus jeune de vingt-cinq ans, se lancer à corps perdu dans les quelques jeux qui existaient à son époque (Asteroids sur Amiga ; Lode Runner, Digger, SRAM sur PC)... Mes parents mettent des limites à ma fille. En ai-je eues, moi aussi ? Je ne m'en rappelle plus.

jeudi 29 novembre 2012

Petit lapin

Prétentieux. — Je relis mon texte d'hier et je le trouve très prétentieux (surtout le paragraphe intitulé « Îlot »). Ce n'était pourtant ni le but ni l'effet recherché, si tant est qu'il y ait jamais eu un but et un « effet recherché » dans tout ce bordel. Et en essayant aujourd'hui de me justifier a posteriori, j'aggrave encore mon cas : je m'enfonce un peu plus dans le sordide marécage de l'excuse boiteuse. Enfer et damnation !

Petit lapin. — Au travail, je dois, paraît-il, classer telle correspondance, reprendre contact avec telle personne, faire un peu de ci, faire un peu de ça, ne pas oublier ceci, regarder à cela, aider untel, jeter un œil sur ces métadonnées, réparer cet ordinateur, nettoyer cette base de données, archiver ce fonds... — À nouveau, le sens de ce que je fais se perd dans la plus horrible des routines. Ha, que je regrette amèrement ces temps si proches où le travail me faisait littéralement bondir, tel un petit lapin gambadant joyeusement dans l'herbe fraîche et humide éclairée par le soleil automnal !

L'idéal qui se perd. — Avec Yama dans le train du soir, cette question : pourquoi la plupart des organisations créées sur base d'un idéal finissent-elles par devenir au fil du temps des organes vides de sens et sans intérêt à destination de vieux ploucs qui ne savent même plus pourquoi ils y sont, si ce n'est pour lever un verre en leur propre honneur ? — Il faudrait presque inventer une science des corps desséchés : en tout temps et en tout lieu, celle-ci aurait de nombreux sujets d'étude.

« Pierre bourre Dieu » ? — Le soir, Léandra fait un crochet par mon appartement. Dans le divan rouge, nous créons de nouvelles devinettes visuelles pour ce Devinoscope qui vient de reprendre du service. « C'est facile », me dit-elle, « tu prends une photo de Guillaume Musso, l'écrivain, en train de lire un roman dont tu changes le titre pour "Ni" ! Ça fait "Mussolini" ! » Après un quart d'heure de recherche sur le Web, impossible de trouver une photo de ce type en train de lire : « C'est pas possible, il ne lit pas, il ne fait que dédicacer, ce couillon ! » ; « Et puis, c'est quoi tous ces titres complètement idiots ? "Sauve-moi", "Seras-tu là ?", "Parce que je t'aime"... M'enfin ! » Exit Mussolini donc. — « Et celle-là ? Tu prends un Pierre quelconque et tu le places en plein coït avec Dieu : ça fait "Pierre bourre Dieu" ! » (C'est définitivement hors de question !)

mercredi 28 novembre 2012

Et alors quoi ?

Annonce. — De nouvelles devinettes visuelles apparaîtront sur le Devinoscope du samedi 1er au mardi 25 décembre 2012 à raison d'une devinette à 12h30 et d'une autre à 20 heures. Plus d'information ICI et . Évidemment, étant donné que je suis à nouveau en retard dans « la rédaction », la présente annonce n'aura d'intérêt que pour les éventuels lecteurs qui ne me connaissent que via ce journal, et encore !

Veille. — Cette discussion avec Mary sur l'horoscope (!), l'amitié, l'amour, etc. s'est prolongée beaucoup trop loin dans la nuit, même pour un monstre comme moi. Par ailleurs, cette idée de prendre un bain bouillant à presque trois heures du matin en compagnie de Zarathoustra (non, ce n'est pas le nom de mon canard de bain*), lumineuse dans l'instant, s'est avérée désastreuse trois heures plus tard lorsque le réveil a sonné. C'est bien là tout le problème : lorsque je veille dans le silence nocturne, j'oppose à toute forme de conséquence (« Si tu ne vas pas dormir maintenant, alors tu seras fatigué demain ») un « ici et maintenant » bien plus confortable.

Îlot. — C'est durant la nuit que je déterre le plus de vérités sur moi-même. Exemple avec cette banalité, que je me suis tout de même empressé de noter dès qu'elle a surgi de je ne sais où : mes sept années de relation amoureuse avec Maïté n'ont été que l'exception qui confirme la règle ; l'arbre qui cache la forêt ; un îlot de couple dans un océan de solitude. Car c'est pure folie que de vouloir construire quelque chose avec moi, non pas parce que je ne veux pas construire, mais bien parce que je désire un édifice tellement différent et dont les plans n'ont jamais été établis auparavant ! L'amour rend aveugle et je suppose qu'elle a été assez aveugle pour me suivre, oui, mais pour me suivre où ?... Évidemment, je ne propose aucun chemin, je n'en ai jamais proposé et je n'en proposerai jamais. L'idée même d'en proposer un me répugne. Et alors quoi ? Et alors rien du tout !

Solitude heureuse.Tout (ou presque) dans cette putain de société de merde présente la solitude comme une imperfection, voire une tare, alors qu'elle peut être — tadam ! — merveille et création ! J'imagine — ou plutôt je sais que d'aucuns la considèrent comme pesante, cette solitude ! Et pourtant ! Combien de fois m'a-t-elle dégagé de ce bourbier dans lequel je stagnais ?  

Dans le divan. — Lorsque Mary revient de ses cours, je suis couché confortablement dans le petit divan rouge (pourtant inconfortable) qui décore notre « salon ». J'ai passé ma soirée devant mais-tu-vas-nous-en-parler-jusqu'à-la-fin-des-temps-c'est-pas-possible-zut la nouvelle traduction d'Ainsi parlait Zarathoustra (par Hans Hildenbrand) et les deux premiers tomes de commentaires (par Pierre Héber-Suffrin). Je passe du poème aux commentaires et je trouve ces derniers très éclairants : voilà quelqu'un qui n'apporte pas une thèse mais qui tente d'expliquer, voire de simplement paraphraser, cette œuvre en apparence chaotique... C'est une soirée curieuse : je reste dans mon divan avec Zarathoustra ; je suis très fatigué mais je refuse d'aller dans ma chambre ; Mary me parle de temps à autre, je lui réponds de temps à autre ; lecture et réalité se mélangent...

________________________________
* Note pour plus tard (mais pas pour moi) : ce nom serait parfait pour un chat.

mardi 27 novembre 2012

L'homme qui suivait les rails

Chronologie d'une journée ordinaire. — Je croise Flippo, de bon matin, à l'intérieur de la gare de Liège. « Tiens ? Tu étais dans le train ? », lui demandé-je. « Ha mais pas du tout, me répond-il, je le suivais à pied ! » — À question stupide, réponse stupide.

Mes collègues me questionnent à la pause café : « Tout va bien, Hamilton ? Tu as une petite mine... Tu ne dis rien du tout. Pour tout dire, tu n'as pas l'air d'être parmi nous... » Lodewijk finit par trouver une des causes possibles de ce spleen de début de semaine : notre livre étant désormais sous presse, je suis victime d'un baby blues ! — Il y a du vrai dans ce diagnostic, même si le bébé n'est pas encore sorti du ventre de la bête (je veux parler des rotatives).

Sous presse ? Pas tout à fait ! Jipé, notre correspondant chez l'imprimeur, me téléphone, catastrophé : « Hamilton ! Bon dieu, qu'est-ce que c'est que ces deux lignes plus sombres, à droite sur la couverture ? Nous venons de lancer l'impression et ça se voit ! » Réponse : un problème dans cet aplat de gris qui n'en est pas vraiment un ; une grossière erreur de ma part qui nous coûtera quelques centaines d'euros... Le travail dans l'extrême urgence aura fini par avoir raison de ma vigilance maniaque ! (J'ai le moral dans les chaussettes : j'ai fait une faute.)

Dans le train de retour, avec Yama. « J'ai vu ton actuelle photo de profil, me dit-elle, celle de toi enfant devant un jeu vidéo [Prince of Persia]. Ta fille te ressemble, c'est incroyable ! Son visage a-t-il pris un seul trait de sa mère ? » — Réponse : « Non, pas que je sache, si ce n'est peut-être le nez en trompette, et encore ! »

Dans le tram vers le Parvis, un revenant de l'époque universitaire ! Je lui lance, assez fort : « Hé, Beber ! » et je le vois sursauter. « Désolé, je t'ai fait peur... », m'excusé-je. « Non, non, ce n'est pas grave. J'étais dans mes pensées... » Je le trouve encore plus fébrile que par le passé. Il m'explique qu'il n'a pas de travail pour l'instant ; alors, pour ne pas se laisser aller, il passe ses journées aux archives ! Il a écrit un livre aussi. Il m'explique, sourire aux lèvres : « Le tirage est directement proportionnel à l'hyperspécialisation du sujet. »

À la Maison du Peuple, une nouvelle édition de ces ridicules quiz... « Question numéro 2 : qui a écrit Le Meilleur des mondes ? Je répète : qui a écrit Le Meilleur des mondes ? » — Milton Friedman ! À moins que je ne confonde ?

À la table d'à côté, une jeune femme est vraiment remontée contre son ami/compagnon/époux/ex (?). En quelques minutes, celui-ci entre dans un cycle infernal : il se fait engueuler (« Casse-toi, mais casse-toi, connard ! »), se lève, s'en va faire un petit tour rapide, revient comme si de rien n'était, se rassied, se fait engueuler à nouveau (« Casse-toi, mais casse-toi ! Merde ! »), se lève, s'en va faire un petit tour rapide, revient, etc. (Compter encore trois cycles avant que les deux ne disparaissent, mais pas en même temps.)

Mary me dit ne pas croire en l'horoscope mais le lire quand même : « Quand je rencontre une nouvelle personne, je regarde ce qui est lié à son signe et je découvre souvent au moins 10 % de traits qui lui correspondent et que je n'aurais pas remarqués sans cela. » Quand je lui demande pourquoi elle ne lit pas directement des ouvrages de psychologie, elle me répond que c'est par manque de temps. Et quand je lui déclare que tout ça — astrologie et, jusqu'à un certain point, psychologie —, c'est enfermer un être humain aux pensées complexes dans un canevas plus ou moins grossier (créer un faux mythe personnel pour mieux le comprendre), elle me rétorque que, de toute façon, je ne change que très rarement d'avis. — Les capricornes sont bornés, à ce qu'il paraît.

« À quoi cela me sert-il de parler à Untel ou à Unetelle ? Ils ne m'apprendront jamais rien !
— C'est là que tu te trompes, Hamil : tout le monde peut t'apprendre quelque chose !
— Non. Le temps est précieux : pourquoi le passer avec des gens qui ne m'apportent rien, alors que des amis sincères ou des livres me seront de bien meilleure compagnie ?
— Tu parles comme Fabien. Tu es beaucoup trop élitiste ! »
(Et encore une fois, je campe sur mes positions.)
 
Réflexions sans queue ni tête. — Ce qui est amusant quand je cite Amy et Zapata, c'est que je fais à chaque fois le tour de l'alphabet : A&Z, le début et la fin, l'alpha et l'omega.

Si l'on veut être changé par un livre, la nage ne suffit pas ; il faut pratiquer le plongeon. — Pour quelqu'un qui coule dès qu'on le met à l'eau, fallait oser !

La tendance à l'autoflagellation est inversement proportionnelle à sa nécessité.

Le « mariage pour tous » est un combat d'arrière-garde. Hé ! Il s'agit seulement de mariage, ce verrou social à l'aide duquel l'État cadenasse l'amour !

Je lis quelques éléments biographiques sur Nietzsche. À peine ai-je commencé à m'intéresser à sa vie que je décèle déjà deux des pires ironies qui aient jamais secoué une existence de génie, et ce, pour l'une d'entre elles, jusqu'à son lointain héritage : 1) avoir passé les dix dernières années de sa vie dans un état végétatif alors que, esprit particulièrement alerte et lucide, N. prônait la « libre mort » (autrement dit le suicide au bon moment) ; 2) avoir été, bien après son décès en 1900, récupéré par le régime nazi alors que son œuvre témoigne de la haine à la fois de l'État (qu'il nomme « nouvelle idole » dans Zarathoustra) et des croyances de la foule.

lundi 26 novembre 2012

« C'est une pulsion »

Conchita. — J'ai décidé de prendre un jour de congé ce lundi. Un lundi ? Pauvre de moi ! J'ai oublié, inconscient que je suis, que tous les lundis matin, la femme de ménage passe désormais trois heures dans mon (ou plutôt notre) appartement pour tout nettoyer ! — Elle aurait pu ouvrir la porte de ma chambre et ne pas voir que je dormais ; passer son doux plumeau sur les draps de lit cachant mon jeune (?) corps nu encore endormi et s'apercevoir, au mouvement occasionné par ma lente respiration, qu'un homme se cachait là ! Alors, elle aurait sursauté de surprise et se serait excusée : « Oh ! Señor Hamilton ! Je ne savais pas que vous étiez encore présent en votre demeure ! » Et je l'aurais alors rassurée de ma voix grave et suave : « Non, non, ne t'inquiète pas, ma brave Conchita, je ne suis pas fâché de ta présence, que du contraire ! » Enfin, je me serais levé et lui aurais demandé de lâcher son plumeau pour etc. — Sauf que nous ne sommes pas dans une stupide histoire machiste et paternaliste et qu'au moment où elle est arrivée, j'étais déjà dans le labyrinthe saint-gillois, cherchant avec difficulté un café ouvert pour prendre mon petit déjeuner. (Ce paragraphe me fut soufflé par Léandra et Andrew qui trouvèrent, je cite, « très amusant » que j'homard j'écrivisse cette obscénité dans mon journal.)

Lewis. — Je téléphone à Lewis, après de longs mois de silence : « Je ne sais pas pourquoi je ne t'ai plus appelé, lui dis-je tout de go, mais je ne sais pas non plus pourquoi je t'appelle aujourd'hui.
— Ça ne s'explique pas, me répond-il, c'est une pulsion. »
Lewis ne se vexe pas des vérités : c'est un monsieur intelligent. Quel dommage qu'il n'ait apparemment jamais pu s'empêcher d'utiliser son cerveau pour manipuler les autres ! Mais il est trop vieux pour changer désormais : la manipulation fait partie de son être. (Parfois, je me demande s'il est possible d'oublier l'art de manipuler si l'on traverse en sa compagnie, et avec succès, le cap de l'enfance.) Il m'explique qu'il ne va pas bien, ni physiquement (le cœur), ni psychologiquement (aucune femme pour tendrement partager avec lui un musée, un voyage, sa couette...). Toutes les rencontres qu'il fait en ce moment sont mornes et futiles : il ne peut rien échanger avec ces dames-là... À peine savent-elles qui est Michel-Ange ; tout au plus peuvent-elles lui apporter un peu de sexe, mais sans aucune attache... — Évidemment, cet échange téléphonique me touche ; il m'a d'ailleurs touché dès le moment où j'ai décidé de composer le numéro.

Nocturne. — À la nocturne, chez Filigranes, avec Léandra et Andrew. Au centre de la librairie, un cocktail mondain permanent où tout le monde s'accueille, vin rouge à la main, à grandes envolées de « Comment ça va, mon cher ? » Heureusement, au-delà du centre névralgique, c'est tranquille : le rayon Philo est désert (les quelques personnes qui s'y rendent cherchent en réalité le rayon Jardinage) et le rayon BD complètement abandonné. Léandra me montre une série de manuels pour apprendre à dessiner : « Ça pourrait t'intéresser ! », me lance-t-elle, mais tout compte fait non : chaque chose en son temps ; je reste dans mes montagnes !

dimanche 25 novembre 2012

Miaou miaou !

De nouveau chez Amy et Zapata, pour un brunch : c'est plus ou moins la même chose qu'un dîner (au sens belge du terme), sauf que c'est plus élastique quant à l'horaire et qu'il y a des viennoiseries, du café et du jus d'orange en plus des tartines, du fromage, de la charcuterie, des bouchées au chèvre et de la quiche aux légumes. Je n'ai pas assez dormi, j'ai beaucoup trop bu hier, je n'ai plus l'habitude des mélanges, j'ai la tête... dans le cul (oui, oui), mais je ne suis pas le seul. Comble de l'horreur : de temps en temps, les entêtants « Capitalism! » et « Money! » me reviennent en mémoire... « Get out of my mind! », comme dirait la Révérende Mère Gaius Helen Mohiam.

Rapidement, Fred Jr, Donna et leurs filles Anouchka et Mado arrivent. Ces dernières sont adorables, calmes comme peuvent l'être tous les enfants de leur âge, comiques, souriantes... Non, non, vraiment, il n'y a qu'un unique problème et il se résume en un seul mot : chat. Ce chaton (Coati pour ne pas le nommer) n'arrête pas de sauter là où il (ou plutôt elle) ne peut pas sauter, de manger là où elle ne peut pas manger, de miauler quand elle ne doit pas miauler. — Ce paragraphe ne s'adresse pas du tout à Amy et Zapata mais bien à tous ceux — et surtout à TOUTES CELLES — qui réfléchissent SÉRIEUSEMENT à prendre chez eux/ELLES un PUTAIN DE CHAT DE MES DEUX tellement énervant que dès que j'en vois un, j'ai envie de le prendre par la queue (celle de derrière quoique !) et de le lancer de toutes mes forces vers la fenêtre, qu'elle soit ouverte ou fermée, NOMDED'JEU JE M'EN VAIS T'EN DONNER MOI, DES MIAOU MIAOU !

Mais je m'égare.

Amy a une idée : créer une version « spécial Bruxelles » du jeu de société Les Aventuriers du Rail. Le « spécial Belgique » existe déjà (à imprimer chez soi), mais pas le « spécial Bruxelles », qui serait plutôt un Aventuriers du tram, du métro et du bus, voire du MOBIB. Mais j'entends déjà au loin l'ironie primesautière du voyageur mécontent : « Ha ! En effet ! Voyager dans Bruxelles est une véritable aventure ! » Mais je me fous pas mal du voyageur mécontent (seul compte le voyageur tout court, et encore !). — De mon côté, si je devais créer un jeu en ce moment, ce serait Philosophy!, une sorte de Destins-Jeu de la vie amélioré où l'on pourrait choisir différentes voies : l'idéalisme ou le matérialisme ; la phénoménologie ; l'existentialisme ; bref, ce genre de choses... Et l'on tomberait parfois sur des cartes ou des cases comme : « Pauvreté ! La lecture de Tolstoï vous a particulièrement marqué. Distribuez un milliard de couronnes à vos frères et sœurs ! » ou encore : « Montagne ! Cette montagne enneigée où souffle l'air vif de la science vous subjugue par sa majesté intemporelle. Abandonnez le tumulte du monde pour réfléchir dans la solitude ! » — Mazette, ça le ferait !

Le temps passe... — Mais c'est que nous arrivons à nous asseoir à la table, en cette fin de soirée ; la table fétiche d'Andrew au Verschueren ! Il a une révélation à nous faire — il doit nous faire une révélation, parce qu'il est assis à la table ! Et Andrew nous propose donc un énorme dilemme ce soir : que fera-t-il de Mao, de Tsé et de Tung, ses trois poissons-mascottes, pendant les vacances de Nouvel An à Chiny, dans la Gaume profonde ? Devra-t-il les emmener avec lui, avec tous les risques que cette aventure comporte ? Devra-t-il les laisser seuls ? Devra-t-il les déposer chez un ami ? Ou enfin devra-t-il les relâcher dans la rivière ? — Qui ose traverser les petits ruisseaux ne craint pas les aquariums. Oui, mais l'inverse est-il vrai ?

Ha que Léandra semble fatiguée ! Qu'elle a petite mine ! Ne le sommes-nous pas tous, fatigués, devant nos trois verveines du dimanche soir ? Qu'importe ! Cela n'empêchera pas la bonne humeur de poindre, car nous sommes au Verschueren, et nous sommes à la table, et surtout : nous sommes en novembre, pardi !

samedi 24 novembre 2012

Ce comédien croit-il en sa comédie ?

— Ce soir, Amy fête son anniversaire. —

De sept heures et demie du soir à deux heures du matin, en anglais dans le monologue original : « Répondez tous à ma question : "Pensez-vous que notre vie sera meilleure demain ?" Répondez à ma question : "Pensez-vous, et je dis bien pensez-vous, que notre vie sera meilleure demain ?" [...] Attends Zapa, ne réponds pas tout de suite ! Écoute ! Écoute ! Nous vivons un progrès sans précédent, grâce à la science, grâce à la technologie, grâce au capitalisme, grâce à l'argent ! L'argent, Zapa, l'argent ! Si nous sommes arrivés à un tel degré de société, de progrès continu, c'est grâce à l'argent ! [...] Depuis ses origines, l'humanité n'a jamais été aussi heureuse qu'aujourd'hui, globalement. [...] J'adore les jeux. J'ai joué deux ans à World of Warcraft... Ha ? Toi aussi, Hamilton ? Eh bien alors réponds franchement à cette question : "As-tu déjà gagné, même juste une fois, des pièces d'or grâce à l'hôtel des ventes ?" Comment ? Ha oui ? Tu utilisais les enchères et tu spéculais sur World of Warcraft, en achetant des objets et en les revendant plus chers ? Alors nous sommes d'accord ! Nous sommes parfaitement d'accord ! Moi, j'ai compris le pouvoir de la confiance en l'argent et j'en profite ! Ce que j'ai appris dans WoW, je l'ai transposé dans ma vie ! [...] Tu es né dans un pays où l'on ne connaît pas le pouvoir de l'or. Moi, je viens d'un pays où l'on a donné à l'or la place qui lui revenait ! [...] Non, Zapa, non ! Regarde-moi ! Écoute-moi ! L'argent fonctionne parce que tout le monde y croit. Y croit. Croyance. Dans la tête des gens, l'argent est aussi matériel que ce verre de bière que je tiens dans ma main. Et le système fonctionne parce qu'il y a des humains qui, comme moi, spéculent, investissent et jouent avec l'argent... Pour la science, la technologie, la compétitivité, le commerce, l'économie, le savoir ! [...] En fait, nous sommes d'accord, nous sommes presque entièrement d'accord sur tout, même si vous l'exprimez différemment... »

Ce soir, Amy fêtait son anniversaire. —

vendredi 23 novembre 2012

Métaphores maritimes à deux francs cinquante

Devinoscope. — Parce que ce blog n'est pas seulement un journal « intello élitiste neuneu » et parce je sais que quelques uns de mes lecteurs attendent une suite aux devinettes visuelles, j'ai décidé de relancer le Devinoscope, et ce à partir du mois de décembre, pour un temps limité. Ce sera mon calendrier de l'Avent, mon cadeau de Noël, mes trois bises de fin d'année ! — Et normalement aussi ceux de Léandra, dont le cerveau tordu de romaniste manie les mots avec la rapidité de l'aigle fondant sur sa proie !

Ciel bleu. — L'équipage a quitté le navire au zénith, dès le retour du joli ciel bleu que nous n'avions plus une seule fois observé depuis ces quatre longues semaines passées parmi les vagues tumultueuses du travail acharné. Tout est fini aujourd'hui et les matelots se sont séparés ; ils ont abandonné leur poste ; ils sont retournés sur leur île pour retrouver ces fleuves d'eau fraîche qui se jettent dans la petite mer par trop tranquille de la fin de semaine. Sur l'arche abandonnée, seul reste Hamilton le cartographe, espérant de tout son cœur recevoir les dernières nouvelles du port. Face au travail accompli, il se sent vide de tout sentiment : ni triste, ni joyeux ; vide, tout simplement ! Attendant le message qui lui permettra, à l'instar de ses compagnons de voile, de prendre le canot du retour à la maison, il range sa cabine et jette les dizaines d'esquisses, désormais superflues, qui jonchent son bureau. — Les semaines à venir seront sans doute une période d'espérance contenue durant laquelle, souvent, le cartographe se transformera en vigie.

Du bon et du mauvais italique. — J'ai déjà écrit précédemment tout le bien que je pensais de la police de caractères ITC Legacy® Sans, héritage lointain du graveur français Nicolas Jenson qui l'utilisa dès 1470 pour son édition de la Préparation évangélique d'Eusèbe de Césarée. Par contre, je n'avais pas encore mentionné ici la froide élégance de son italique. — Dans toute police de caractères digne de ce nom, la fonte italique n'est absolument pas la simple transposition oblique de la fonte romaine. Dans l'exemple qui suit, reprenant un extrait de Pantagruel de Rabelais (qui se prêtait particulièrement bien à l'exercice), la différence est frappante : l'écriture italique diminue l'espace occupé (car, inventée à une époque où le papier était cher, c'était son objectif premier) et les caractères y sont métamorphosés : « e », « f », « y » et surtout « a »... Cerise sur le gâteau : la modification de l'esperluette ! — Et c'est seulement maintenant que je me rends compte à quel point la fonte italique de la police de caractères que j'utilise sur ce blog (Verdana) est d'une pauvreté affligeante ! L'année prochaine, c'est décidé, j'en trouverai une autre.

jeudi 22 novembre 2012

Points de suspension

« Mais l'heure les presse : aussi te pressent-ils à leur tour. De toi aussi ils veulent entendre un "oui" ou un "non". Malheur à toi, tu veux placer ta chaise entre pour et contre ? (...) À cause de ces impatients retourne dans ton abri : ce n'est que sur la place publique qu'on est assailli par "oui ?" ou "non ?". » (Z.)

Le spectre du « Je m'en fous ! » — Après avoir corrigé un texte, corrigé la correction, corrigé la correction de la correction et corrigé la correction de la correction de la correction, arrive parfois cette situation un rien surréaliste où la correction que l'on a apportée en dernier lieu annule toutes les précédentes et rétablisse en fin de compte la version originale. — Cela arrive principalement parce que nous ne nous entendons pas sur des questions aussi primordiales que : « Des points de suspension entre crochets dans un titre en italique doivent-ils être eux aussi en italique ? » Charlotte pense que « non, bien sûr que non, car une règle pareille n'a jamais été d'application nulle part ! » ; mais Lodewijk estime au contraire que « peut-être que oui, car ces points remplacent une partie du titre en italique... » Et lorsque Charlotte se rend compte que nous avons re(rere)corrigé les notes en suivant la seconde idée plutôt que la première, elle finit par soupirer : « Laisse comme ça... Je m'en fous ! », puis, un peu plus tard : « De toute façon, je suis désormais dans une phase "Je m'en fous !"... Je ne dis plus que ça : "Je m'en fous !" » — Après le fantôme du perfectionnisme (paragraphe d'hier), le spectre du « Je m'en fous ! » fait son apparition. Il faut vraiment de toute urgence que les dés soient jetés ; que tous les cahiers soient sous presse et qu'on ne puisse plus du tout y toucher, malgré les nombreuses imperfections qui les criblent.

Au Verschueren avec Léandra, 1. — Je lui parle, sans vraiment développer (car elle n'a pas la tête à ça en ce moment — l'a-t-elle jamais eue ?), d'un des chapitres d'Ainsi parlait Zarathoustra qui m'a particulièrement marqué, celui intitulé « Des mouches de la place publique ». Nietzsche y mentionne, avec beaucoup de mépris, les « grands hommes » autour desquels gravitent « les petits ». Il appelle « grands hommes » ces « bouffons », « présentateurs » ou encore « comédiens des grandes causes » qui sont, aux yeux des petits, les « maîtres de l'heure » : les grands hommes font beaucoup de bruit autour de nous quand les petits couvrent notre corps de nombreuses et désagréables piqûres. — Il est évident, à la lecture de ce chapitre, que N. fait référence aux hommes politiques démagogues (attirés par la gloire du moment et non par la vérité) et à tous ceux qui gravitent autour d'eux : le plus grand nombre, le peuple... — J'explique à Léandra que j'ai parfois l'impression très bizarre que Zarathoustra, messie athée et immoraliste, me parle directement ; me donne des conseils ; me conforte dans certaines idées développées longtemps auparavant... des idées qui remontent au début de l'adolescence, bien avant donc d'avoir entendu parler de philosophie allemande. — Face aux nombreuses mouches qui polluent l'opinion au sein de l'espace public, son conseil est d'or : « Fuis, mon ami, fuis dans ta solitude, là où souffle un vent rude et fort. Ce n'est pas ton lot d'être un chasse-mouches. » [Une traduction française en ligne se trouve notamment ICI.]

Au Verschueren avec Léandra, 2. — « On croit trop souvent que le sexe permet d'oublier les problèmes du couple ; que le fait de se retrouver à poils met à niveau toutes les tensions. C'est faux ! Les mêmes problèmes se posent que l'on fasse ou pas l'amour ! » (Je ne peux qu'approuver.)

Au Verschueren avec Léandra, 3. — On parle de psychologie comportementale et cognitive. Peut-être, de son propre aveu, une thérapie ferait-elle le plus grand bien à mon amie ? Par contre, je ne suis absolument pas convaincu de son utilité en ce qui me concerne : comme d'habitude, je suis en train de trouver mes propres solutions. Et puis, je me pose déjà assez de questions comme ça, merci bien ! (« Peut-être pas les bonnes ? » — Oh, ta gueule !)

Divan. — Même si je reste assis sur ma chaise de bureau, j'aurai quand même droit, ce soir, à la séance du divan : « Qu'est-ce qui n'a pas été avec Maïté ? » me demande Mary. Puis : « À partir de quel moment ça n'a plus été ? », « Tu as toujours été amoureux d'elle ? », « Mmmmh... Es-tu certain de cela ? », etc. Je finis par m'asseoir à la table et à lui raconter quelques histoires parmi d'autres : « En sept ans de couple, il s'est passé pas mal de choses, tout de même, hein ? »

mercredi 21 novembre 2012

« Mon gars, faut que t'arrêtes le café ! »

Aux aurores. Train Bruxelles-Liège. Je vois Yama qui s'assied à un mètre de moi sans me voir... Évidemment, je comprends très bien : le matin, combien de fois suis-je passé devant telle ou telle personne sans me rendre compte qu'elle occupait le même espace ? — voire qu'un monde existait au-delà de moi ? (« C'est le matin ! Laissez-moi en paix avec mes pensées et le soleil qui se lève ! »)

Papier buvard. — Je suis très influencé par ce que je lis : si j'avais constamment devant les yeux des albums de Winnie l'Ourson, je finirais par parler comme un ours débile et affamé.

BAT. — Le monsieur de l'imprimerie nous apporte l'épreuve contractuelle des neuf premiers cahiers. Il nous dit : « Dès que j'ai votre accord, je peux mettre tout ça sous presse ! » Mon chef lui répond : « Nous aurions encore quelques très petites corrections orthographiques à apporter à l'une ou l'autre page... » Et moi : « Un détail m'ennuie... Regardez, ici : il y a une césure en fin de page... Pour la récupérer, je devrais vous renvoyer les pages 73, 74 et peut-être même 75... » Il me regarde avec son air de chien battu puis déclare, péremptoire : « Mon gars, faut que t'arrêtes le café ! » (C'est un graphiste ; autrement dit un fin observateur.)

Le fantôme du perfectionnisme. — L'après-midi, travaillant avec Charlotte sur les dernières pages de l'ouvrage à paraître bientôt, je constate (à voix haute) que nous n'arrêtons pas de nous critiquer « en circuit fermé », d'une manière très étrange : chacun critique le perfectionnisme de l'autre. Elle me répond du tac au tac (comme si elle y avait déjà beaucoup réfléchi) que le fantôme du perfectionnisme nous hante et passe de collègue en collègue. — Ce drôle de spectre n'abandonne jamais, car au moindre signe de faiblesse de l'un d'entre nous, il s'en va posséder l'esprit voisin qui à son tour clame avec une vigueur nouvelle : « Il faut absolument remplacer cette virgule par un point ! »

Casser les murs. — Mary m'explique qu'il lui arrive très souvent de refuser par principe toute forme de concours extérieur. Exemple : alors qu'à son bureau elle change une ampoule, une collègue lui propose son aide ; « Non, ça ira ! », répond-elle sans même réfléchir. Mary réagit souvent de cette manière, m'affirme-t-elle, parce qu'elle a créé au fil des ans un mur autour de sa personne. Mais elle se remet en question : « Je devrais accepter ce genre d'aide, même si je n'en ai pas réellement besoin ! Je devrais donner à l'autre une place, une possibilité d'exister... » C'est là que je ne suis plus d'accord avec elle : « On n'est jamais si bien servi que par soi-même » devrait rester la règle, surtout lorsqu'il s'agit de rétablir un peu de lumière.

Encore une réflexion sur l'amour. — Elle me dit : « Le véritable amour, c'est quand on accepte l'autre malgré ses pires défauts. » Je lui réponds : « Non. Le véritable amour, c'est quand on ne les voit même pas ! »

mardi 20 novembre 2012

¡ p-o-n-c-T-U-A-t-i-o-n !

« Heureux les assoupis : car ils s'endormiront bientôt. — »
(... Zarathoustra, Des chaires de vertu, 34)


Sa Majesté des Virgules. — Ils scrutent chaque fragment de paragraphe à la recherche de la tournure exotique et ils la remettent sur le droit chemin : celui de la bonne ponctuation et du bon style ; de la règle et de l'uniformité. Taïaut, taïaut ! Sus à l'original ! Convoquons tirets, parenthèses et crochets ; enchaînons solidement chaque lettre pour que jamais elle ne s'envole ni ne dépasse ! À chaque « mais » sa virgule frontale, à chaque « par ailleurs » son état de siège ! — Que reste-t-il d'organique et de libre à l'intérieur de cette suite de mots ? Où est donc passée la liberté de plume ? Tout n'est plus que lois, normes et conventions ! — Connaître parfaitement une règle ne sert qu'à mieux la détruire ! Par tous les diables, a-t-on jamais reproché à Céline d'oublier l'espace insécable devant un point d'exclamation ?

Après Leuven. — Dans le train toujours aussi désert, à une heure encore plus tardive qu'hier... Le contrôleur aux dreadlocks s'arrête devant moi. Veut-il voir mon abonnement ? « J'ai déjà été contrôlé ! », lui dis-je. — Mais non ! Il me répond, avec un léger accent flamand et dans un français impeccable : « Je regardais votre livre... C'est Also sprach Zarathustra, c'est ça ? Un jour, j'en ai trouvé un exemplaire oublié dans le train... C'était la toute première édition néerlandaise... Un bouquin tout jauni, en vieux néerlandais ! Pas évident à lire mais lecture passionnante... » Puis il me souhaite une bonne soirée et s'en va.

Air frais. — Toutes ces captivantes circonvolutions (L.W.), ces lugubres mais intéressants détours (A.S.) et ces impasses (E.K.) pour en fin de compte respirer cette bouffée d'air frais qui se trouvait depuis très longtemps sous mes narines ! Je suppose qu'il fallait que je lise autre chose avant de vraiment me réjouir avec Nietzsche... Peut-être n'aurais-je pas goûté cette liberté à sa juste valeur si je m'y étais plongé plus tôt ? — D'ailleurs, je me souviens avoir ouvert ce Zarathoustra il y a une dizaine d'années et l'avoir rapidement refermé sans en avoir jamais rien retiré !

(Ha, comme il est dur envers Dieu et le socialisme !
Autant la première critique va presque de soi,
autant la seconde demande une sacrée remise en question.)

lundi 19 novembre 2012

Cendres

Dans le train désert et tranquille parcourant la Flandre nocturne, pleurant littéralement de bonheur à la lecture du Prologue de Zarathoustra — dès les premières pages, je comprends que ce livre me marquera comme rarement un livre m'a marqué, à tel point qu'il faudra bientôt que je m'en explique ! —, j'étais très loin de me douter que je serais confronté, quelques heures plus tard, aux larmes les plus amères qui soient.

Elle nous dit qu'elle ne sait même pas vraiment pourquoi elle pleure, mais il n'est pas très difficile, ni pour elle, ni pour nous, de remonter jusqu'au nœud du problème ; jusqu'à cette personne autour de laquelle se concentre tout ce chagrin, toute cette tristesse accumulée... Elle n'a pas envie de passer Noël avec ses parents, ni de partir en vacances avec nous durant la semaine du Nouvel An. Non. Tout ce qu'elle veut, c'est pouvoir se reposer chez lui, avec lui... — Elle a l'impression d'être abandonnée ; que personne ne prend de ses nouvelles : a-t-elle encore des amies ? « Mais oui, évidemment que oui ! », lui réponds-je.

Les solutions qui marcheraient — qui marchent — chez moi n'auraient hélas aucune chance de fonctionner chez elle. Elle aimerait bien pouvoir se perdre dans une passion, « dans un objet plutôt qu'une personne », comme je peux le faire en ce moment. Mais dans mon cas, ce n'est pas qu'une passion, c'est presque un véritable sacerdoce ! Pour réponse, jnonce quelque chose comme : « Parfois, mieux vaut s'enfermer dans sa caverne pendant un temps, méditer et revenir parmi les hommes lorsqu'on a assez réfléchi sur soi-même... » C'est tellement bateau ! Et puis, ils ne sont pas d'accord, de toute façon... Alors ne restent plus que deux solutions : soit essayer de reprendre coûte que coûte cette relation bancale, soit l'abandonner complètement. (Cette discussion, j'ai la désagréable impression de l'avoir déjà eue il y a un an !) Dans tout autre cas, une situation d'entre-deux a engendré, engendre et engendrera cet horrible état de tristesse condensée que j'observe chez elle par intermittence depuis tellement longtemps !

Misère ! 
Et en plus, nous avons particulièrement mal joué au bowling ce soir.
Et à nouveau, Guy n'était point de la partie ! Il se cachait certainement dans sa tour d'ivoire, caressant sa boule de nacre à l'aide de son unique gant de soie blanche, drapé, tel Hugh Hefner, dans un peignoir écarlate en compagnie de ses bunny girls ! — Ha le salaud !

dimanche 18 novembre 2012

Brume de novembre

Début de soirée à la Maison du Peuple avec Léandra, Andrew, un sèche-cheveux, une pile de livres dont vous êtes le héros... et trois grands mojitos aussi... fois deux ! L'après-midi, avant qu'ils n'arrivent, j'ai passé de nombreuses heures à essayer de rattraper mon retard sur ce putain de journal. L'inspiration est toujours absente ! — Le terme « alimentaire » me vient à l'esprit, mais comme je n'ai jamais été payé pour rédiger toutes mes conneries, je ne peux même pas appliquer cet adjectif à ce que j'écris... C'est simplement sans queue ni tête ; sans inspiration ; sans intérêt. C'est la vie !

« Tu n'as même pas parlé de la secte ! constate Léandra.
— "La secte" ?
— Mais oui ! La discussion de vendredi sur tes disciples cachés... »
C'est vrai ! Vendredi donc, nous imaginions que des petits groupes de disciples disséminés à travers le monde recevaient chacun de mes articles comme un cadeau venu du ciel et s'en inspiraient pour guider leur propre vie. (Les pauvres, comme je les plains !)

Le jour où j'arrêterai ce journal, ils se lamenteront : « Hamilton, Hamilton, pourquoi nous as-tu abandonnés ? » (Une sorte de Marc 15:34 à l'échelle humaine.)

(Réflexion commune) L'horreur du mois de novembre est contenue toute entière dans l'idée de transition inachevée : entre le joli mois d'octobre durant lequel tombent les feuilles multicolores et le lumineux mois de décembre qui voit chaumières et tavernes se remplir de cadeaux et d'alcool. — En novembre par contre, la nuit hivernale a déjà recouvert les rues sans qu'il y ait quoi que ce soit de festif ou de joyeux à se mettre sous la dent !Novembre est l'incarnation de l'ennui. (Mais alors, pourquoi lui ai-je dit d'attendre novembre pour sourire ?)

(Destruction commune) C'est incroyable tout ce qu'on peut faire avec un sous-bock Vedett lorsqu'il est déchiré !

La brume s'évertue à tomber sur le Parvis. Lorsqu'un brouillard d'automne s'abat sur une ville, la lumière qui s'échappe des lampadaires n'est plus du tout diffusée de la même façon... J'aime cette atmosphère, mais Léandra a froid.

samedi 17 novembre 2012

Applaudissements & foules en colère

UGC Toison d'Or, vers sept heures du soir. Lorsque je les rejoins, Léandra et Andrew sont au milieu d'une gigantesque file qui se prolonge jusque sur l'avenue. Impossible d'obtenir une place pour la présente séance : nous décidons donc de prendre les tickets de la plage horaire suivante et d'aller patienter au Bar Parallèle, place Fernand Cocq. Je viens de manger, mais je ne peux m'empêcher de prendre une grosse portion de fromage et de salami que je n'arriverai pas à finir ; je ne « bois plus », mais j'opte quand même pour trois Orval qui me taperont sur la tête. — Pfff... Envie de décompresser.

Deux heures plus tard, nous sommes de retour à l'UGC afin de voir Argo, film réalisé par le morne Ben Affleck, mettant en scène un épisode particulier de la prise d'otages de l'ambassade américaine à Téhéran lors des débuts de la République islamique d'Iran : l'exfiltration de six diplomates américains réfugiés à l'intérieur de l'ambassade du Canada. L'évacuation réussit malgré un plan particulièrement osé : faire passer les six diplomates pour une équipe de cinéma canadienne en repérage à l'occasion du tournage d'un film de science-fiction.

La salle est comble et le public balance entre les rires et les « Oh ! » de surprise. À la toute fin du film, après que l'avion a quitté l'espace iranien, que tout le monde est sain et sauf et que les gentils reçoivent une jolie médaille, démarrent les applaudissements. Je hais les applaudissements, surtout au cinéma. Qu'importe ! J'ai passé un agréable moment, sans savoir si j'ai eu droit à un bon film ou à une daube — mais je m'en fous (ce n'est pas comme si j'allais au cinéma pour voir le dernier film avant-gardiste du moment).

À la sortie, je me retrouve, avec Andrew mais sans Léandra, au Trappiste d'à côté. Je fais une tête de déterré (les week-ends ne me réussissent pas). Discussion sur les foules en colère, comme celles vues dans le film. Toutes les foules en colère du monde se ressemblent, et elles font peur ; dans une foule en colère, l'individu s'efface : ce genre de réflexions-là... Est-ce vrai ? Toujours est-il que j'exprime mes deux vieilles terreurs : être confronté, en tant qu'individu, à une foule irraisonnée et — bien pire ! — me fondre moi-même dans une foule jusqu'à en perdre toute conscience individuelle.

Après une recherche de l'arrêt Noctis commun, qui n'existe sans doute pas dans ce quartier de la ville, nous attendons le bus chacun de notre côté. Apparemment, Andrew attendra aussi longtemps que moi !

vendredi 16 novembre 2012

Demi-mètre

De nouveau un long vendredi de travail... Dans le train de retour vers Bruxelles, je croise Yama. Elle m'apprend que Stefan Zweig, un de ses auteurs favoris d'adolescence, est à l'origine de nombreuses biographies : Marie Stuart, Érasme, Magellan, Émile Verhaeren, Balzac... Dans la même veine, Zweig réussit l'exploit de regrouper plusieurs grands auteurs à l'intérieur d'une même thématique, comme dans les biographies suivantes : Trois poètes de leur vie : Stendhal, Casanova, Tolstoï ; La guérison par l’esprit : Mesmer, Mary Baker-Eddy, Freud ; Le Combat avec le démon : Kleist, Hölderlin, Nietzsche... J'en commanderais bien une, mais à quoi bon ? Il faut d'abord que je termine ce que j'ai commencé !

« Pour le moment, je lis surtout Schopenhauer et Nietzsche, en parallèle. C'est très bien car Nietzsche n'arrête pas de se référer à Schopenhauer, tout en le démolissant... Schopenhauer, c'était un très bon observateur, mais ses observations ont été ternies par sa métaphysique... C'est dommage... Je lis Kant aussi, mais ça ne mène nulle part. Il essaye de prouver coûte que coûte quelque chose qui n'existe pas...
— Et sinon, tu ne lis pas quelque chose de simple en ce moment ? »

Comment ? Je n'ai jamais ouvert Watchmen d'Alan Moore et Dave Gibbons ? Ni Black Hole de Charles Burns ? — Hé non ! À l'exception de quelques œuvres de Dash Shaw ou de Chris Ware, je n'ai lu que très peu de romans graphiques américains. Je suis un cancre en la matière, mais Yama me prêtera un volume de Watchmen, pour que je puisse combler un tant soit peu ces terrifiantes lacunes.

Lorsque j'arrive chez Léandra, en début de soirée, l'odeur du cannabis imprègne mes narines : se serait-elle mise à fumer de l'herbe ? Bien sûr, l'explication est tout autre : Zapata est passé par chez elle et vient de repartir. « C'est curieux que ça sente autant », me dit-elle, « car il n'a fumé qu'à la fenêtre... »

Nous attendons Andrew en grignotant plus que de raison (je n'ai rien mangé de la journée). Puis Léandra commande un mètre de pizza. Ce n'est pas vraiment un mètre, mais un demi-mètre. Heureusement d'ailleurs, car nous n'arrivons même pas à le terminer.

Je reste tard, trop tard... J'ai rarement été aussi fatigué ! Ce genre d'état où l'on est tellement assommé qu'on ne ressent plus vraiment la fatigue... Et évidemment, je ne m'endormirai pas avant trois heures du matin !

jeudi 15 novembre 2012

Communications

... Et en plus, comme si cela ne suffisait pas, je dois donner deux communications ce soir, à Bruxelles : l'une sur l'utilisation du Web par les partis politiques ; l'autre sur les liens entre Internet et la démocratie. Je n'ai pas eu le temps de préparer grand-chose ; je vais devoir improviser !

Lorsqu'il prend la parole, cet étudiant dans le public ne fonctionne que par recours au particulier, alors que je suis dans l'excès inverse, à savoir la généralisation à outrance. Cela donne lieu à des échanges assez comiques, car complètement déphasés... Moi : « Le problème de l'accès à l'information peut se poser de deux façons : soit par un trop grand silence, soit par un trop grand bruit. Dans le premier cas, le danger vient du manque flagrant de données ; dans le second, il vient au contraire d'une trop grande masse d'informations à digérer d'un seul coup. Il y a donc somme toute deux manières de censurer : en supprimant l'information ou au contraire en la noyant. » Lui : « Ouais, moi, j'ai le même problème sur ma tablette. Je choisis plein d'actualités que j'ai envie de suivre, mais même comme cela, il y a en que je n'ai pas le temps de lire... »

Un des membres du personnel de l'association organisatrice pose toujours de très bonnes questions. L'une d'elles : « A-t-on jamais eu, au cours de l'histoire de l'Occident, une organisation qui se soit rendue aussi nécessaire auprès de la population que Google ? » Je réfléchis un instant et je lui réponds : « Oh oui, j'en vois au moins une ! L'Église ! »

mercredi 14 novembre 2012

Aujourd'hui, la dernière ligne n'est pas droite

« Journée européenne d'action et de solidarité » : aucun train ne circule vers Liège et, de toute façon, nos bureaux sont fermés. Curieuse situation que celle d'être retardé dans la publication d'un livre sur le syndicalisme à cause du syndicalisme ! — Chez moi, sans mon ordinateur de bureau, sans mes logiciels, sans le climat de stress permanent, sans le contact avec mes collègues, sans le percolateur à portée de main, sans horaire déterminé, je suis beaucoup plus indécis dans le labeur et j'emprunte des chemins beaucoup plus sinueux... Ha, vivement que ce travail soit terminé !

mardi 13 novembre 2012

Et après ?

Phase ultime de la mise en page. Je suis en contact téléphonique journalier avec notre personne-ressource chez l'imprimeur : un gars compétent, entre le commercial et le technicien ; un rien paternaliste aussi, du genre : « T'inquiète, fils, on va le sortir coûte que coûte, ton livre ! »
 
« Mais au fait, me demande-t-il, quelle est ta formation d'origine ? Graphiste ou metteur au net ?
— Eh bien, ni l'un ni l'autre ! Je suis historien de formation...
— D'accord. »

Je crois qu'il a l'habitude ; qu'il comprend que, dans une petite association comme la nôtre, chaque travailleur est forcément amené à réaliser une série de tâches en dehors de ses compétences initiales. Cependant, je ressens aussi chez lui une certaine peur : « Damned », doit-il soudain se dire, « encore un amateur qui va me rendre un format final tout pourri ! »

De mon côté, j'ai toujours, après quelques années de pratique, cette crainte vivace d'être un imposteur : je connais presque chaque recoin de QuarkXPress (auquel je suis resté fidèle malgré l'avènement d'InDesign) tout comme je me documente, autant que faire se peut, sur ce qui se fait et ne se fait pas en matière de typographie et de mise en page... Il n'empêche : je ne suis pas passé par la case « formation » et je ne parle pas exactement la même langue que tous ces gens du monde de l'édition.

Constamment, je me pose la question : au-delà de l'école primaire, est-il nécessaire de passer par un apprentissage de type scolaire ? Ce que je sais, et surtout de ce que je sais faire, je le tiens principalement de l'autodidaxie ; de l'observation, des lectures et de la pratiqueautrement dit : il m'est plus facile de découvrir le bon exemple dans le monde réel ; de trouver mon maître dans un livre ; de m'améliorer par l'essai.Au diable, les enseignants !

De fait, au plus j'ai avancé dans ma scolarité, au moins j'ai appris. Mes années d'étude supérieure ne m'ont pas enseigné grand-chose, si ce n'est des bouts de méthodologie positiviste (en histoire) et l'art de fabriquer des schémas compliqués qui ne servent à rien (en sciences de l'information). — Ces études ont apposé sur mon front le sceau de l'acceptation sociale.Et après ? J'aurais été bien plus heureux si j'avais entretenu un jardin !