dimanche 30 septembre 2012

Princesses & vampires

Princesses & vampires. — Gaëlle a un nouveau passe-temps : réaliser, en agrafant ensemble plusieurs pages, des mini-albums dessinés racontant chacun une histoire particulière. Les deux premiers sont consacrés aux princesses, le troisième aux vampires. (Elle déteste écrire lorsqu'elle fait ses devoirs mais dès qu'il s'agit d'un projet personnel, curieusement, elle s'en donne à cœur joie.)

Dans la première histoire, une petite princesse demande à sa maman si elle peut aller dehors. « Non », répond la mère qui montre du doigt la pluie qui tambourine à la fenêtre. Au retour du soleil, un oiseau transportant une enveloppe dans son bec lâche celle-ci dans un arbre. La princesse récupère l'enveloppe, qui contient une lettre de sa copine Aline lui expliquant qu'une vilaine sorcière volant sur un balai s'attaque à sa maison. Alors la jeune princesse se rend sur place et piège la sorcière à l'intérieur d'un bouclier destructeur.

Dans la deuxième histoire, il est toujours question d'un oiseau livrant une enveloppe dans un arbre. Cette fois-ci, il s'agit d'une lettre d'une autre copine de la princesse, une fée qui porte le nom d'Alane. Cette dernière lui écrit qu'elle va passer lui dire bonjour. La princesse montre son château à Alane puis l'invite à manger. « Où elle est ton amie ? », demande Alane, et la princesse de répondre : « Elle est dans mon pays. » Puis elles se disent au revoir et Alane retourne chez elle en s'envolant.

Dans la troisième histoire (celle des vampires), ma fille utilise un marqueur rouge pour dessiner le sang. Deux vampires discutent. L'un tend un verre à l'autre : « Tu veux un peu de sang ? », lui demande-t-il. À la page suivante, le même mord un petit enfant au cou en criant : « Hé ! J'en ai mordu un ! » puis, à la troisième page, lui dit : « Salut ! Maintenant, tu es un vampire ! »

Dîner. — Vers midi, Gaëlle accueille Léandra dans l'escalier de mon immeuble : « Papa m'a dit que tu avais un peu pleuré à cause de ton ami. Moi je fais des livres de princesses moi-même. Tu veux voir ? »

Léandra a « un peu pleuré » parce qu'elle s'est plus ou moins rendu compte que c'était vraiment fini avec Jonas. Mais elle reprend du poil de la bête, dirait-on.

Revenant. — Dans le tram, un revenant : Lyric. Rien n'a changé : il est toujours aussi grand. Une Jupiler à la main, il vient vers moi et me sort : « Et alors grand, comment ça va ? » Le reste de la discussion est en grande partie composé de « Ça va, ça va... Et toi, ça va ? » À un moment, il me lâche : « Ça fait un petit temps qu'on ne t'a plus vu à la coloc ! Qu'est-ce qui s'est passé ? Y a sans doute des trucs que j'ai pas compris ou que je ne veux pas comprendre... » — Je le rassure : il n'y a de toute façon pas grand-chose à comprendre.

Souper. — Première soirée que je passe dans le nouvel appartement d'Amy et Zapata depuis qu'ils y ont emménagé. Je suis le premier à arriver (à l'heure), comme souvent. Les autres débarquent au compte-gouttes : Yama, Flippo, Pietro et Ismerie...

« Et alors, le Canada ?
— Quoi ? Flippo ne vous a pas déjà un peu raconté ?
— Non. Il a juste parlé de l'Espagnole.
— Ha bon. »

Un nouveau petit chat (Coati) court partout dans l'appartement. Flippo n'est pas à l'aise. « Tu n'aimes pas les animaux ? », lui demande-t-on. Sa réponse : « Non. Ni les chats, ni les chiens... Ni les humains d'ailleurs. »

Schmilblick. — « Tout cela ne fait pas avancer le schmilblick ! » (dixit Andrew). — Mais faut-il forcément que le schmilblick avance ? (Un concept qu'il conviendrait de développer, une autre fois.)

samedi 29 septembre 2012

J'épargne, tu épargnes, il épargne...

« Pourquoi diantre », me demande-t-on parfois (sans le diantre), « refuses-tu catégoriquement de souscrire à une épargne-pension complémentaire ? » La première réponse, qui n'est cependant pas la principale, surprend souvent mon interlocuteur du moment : « Parce que de toute façon, je ne vivrai pas jusqu'à l'âge de ma retraite. » Il me demande alors comment je sais cela, ce qui me permet d'affirmer une telle chose, etc. — Je ne le sais pas mais tout me laisse à penser que je ne vivrai certainement pas jusque là... Et si le susdit interlocuteur continue sur sa lancée en me lâchant que mon raisonnement ne tient absolument pas la route et que je serais bien embêté si j'arrivais un jour à l'âge de la retraite avec ma « maigre pension légale ha-ha-ha-pauvre-fou-rétrograde », je clos le sujet par : « De toute façon, je suis incapable de tenir un agenda pour la semaine prochaine, alors ne me demande surtout pas de planifier ma vie pour quand je serai mort retraité ! »

La seconde réponse est la seule qui compte vraiment : « Parce que je déteste ce système égoïste, ou à tout le moins corporatiste, à l'intérieur duquel chacun est censé épargner pour sa pomme ou pour son petit groupe, en se contrefichant du reste de la population. »

Pour comprendre, il faut avant tout avoir en tête le fonctionnement des différents systèmes de retraite en usage en Belgique. Il est possible de les regrouper au sein de deux grandes familles : la répartition et la capitalisation. Dans un système par répartition, en résumé, les cotisations des travailleurs actifs sont directement utilisées pour payer la pension des retraités d'aujourd'hui (c'est ce qu'on appelle le premier pilier). Dans un système par capitalisation, les travailleurs actifs épargnent aujourd'hui en vue de leur retraite de demain, soit via une assurance-groupe (par exemple) conclue au sein d'un secteur ou d'une entreprise (deuxième pilier), soit individuellement (troisième pilier). À noter que certains parlent aussi d'un quatrième pilier, dans lequel l'épargnant constitue ses propres moyens « de survie » (hem !) via des achats immobiliers, des placements en bourse, etc.

Tandis que le premier pilier est basé sur la solidarité intergénérationnelle au sein d'une population, les deux autres fonctionnent grâce à une forme plus ou moins développée d'égoïsme. (On ne pense pas au bonheur de l'ensemble de la population aujourd'hui, on pense à son propre bonheur postposé.)

En Belgique, parallèlement au premier pilier de la retraite par répartition (légale et obligatoire), se développent les deux autres piliers, qui forment le socle de la retraite par capitalisation (facultative mais fortement encouragée par l'État au travers d'avantages fiscaux). L'idée — qui n'est pas conne, faut pas croire — est que face à la hausse importante des retraités en raison de divers facteurs principalement d'ordre démographique (comme l'augmentation de l'espérance de vie mais aussi la fin de la période active des enfants du baby boom de l'après-guerre), la retraite par répartition ne suffit plus et qu'à côté de celle-ci, il faut développer l'épargne privée.

Je comprends les personnes qui s'engagent dans ce type de système. Il faut dire que c'est tentant : tout est fait pour qu'on y souscrive. Cependant, à titre personnel, par principe, je ne peux m'y résigner... Je ne peux pas car il s'agit à mon sens d'une combine néfaste, contraire à l'idée que je me fais d'une société solidaire basée sur la répartition des richesses. Autrement dit : je préférerais être ponctionné beaucoup plus sur mon salaire mensuel pour financer la sécurité sociale comme il se doit, pour les besoins du moment, plutôt que de donner le moindre kopeck à des groupes privés pour mon propre éventuel futur bonheur personnel.

J'écris ceci parce que je suis de gauche, mais aussi sans doute parce que je ne crois pas à une organisation se proposant de tisser la toile d'un avenir qui n'existe qu'en tant que projection. — Je rejoins ici sans le vouloir ma première réponse : dans le futur, je serai mort ; nous serons tous morts.

Derrière l'épargne par capitalisation, il y a non pas une méthode qui marche (ou qui ne marche pas) mais une idéologie, tout simplement. « Épargnez pour vos vieux jours, braves gens, si vous ne voulez pas vous retrouver dans la misère à la fin de votre vie ! » — Et pour les pauvres (de plus en plus nombreux) qui n'ont pas la possibilité d'épargner ? — « Bah, on s'en fout, faites simplement en sorte de ne pas être pauvres ! »

vendredi 28 septembre 2012

Bougies

Rêve d'Australie. — Je suis à peine rentré du Québec que je repars pour l'Australie, du moins en rêve. Je suis sur le pont supérieur d'un bateau et j'aperçois au loin, sur le rivage, une tour qui ressemble à celle du stade olympique de Montréal. C'est là que je me dis, émerveillé : « Ha, j'arrive enfin à Sydney ! »

Néanmoins, une fois débarqué, je ne suis pas dans une grande ville mais à la périphérie d'un petit village encerclé par un désert rocailleux. Derrière les rochers oranges sur lesquels poussent quelques maigres buissons, le coucher de soleil est tellement rouge que je pense un instant avoir affaire à un gigantesque incendie. Je me balade dans ce désert de roches à la lisière des maisons. Je ne suis pas seul : d'autres personnes y flânent comme s'il s'agissait d'un parc (et dans une certaine mesure c'en est un, car des sentiers y sont aménagés pour les promeneurs). C'est à ce moment que je me rends compte que je n'ai pas un seul dollar australien sur moi, que je n'ai pas pensé à débloquer ma carte de débit pour pouvoir l'utiliser à l'étranger et que le solde de ma carte de crédit est presque à zéro ; en bref, que je suis en vacances en Australie sans moyen de paiement. Je stresse, puis je me dis que je trouverai bien une solution, car je comprends plus ou moins que je suis en train de rêver.

J'arrive à l'auberge où je suis censé loger — encore une auberge de jeunesse ! L'ambiance de la demeure est du genre « Spring break » : partout, des étudiants en short ou en maillot de bain, bouteille d'alcool en main, en train de s'amuser, de danser, de courir partout, de crier... En faisant la file au guichet d'accueil, je remarque à travers la fenêtre derrière le comptoir qu'un homme est en train de baisser son short hawaïen pendant qu'une femme s'accroupit devant lui afin, me semble-t-il, de lui pratiquer une fellation. Des gens se mettent à siffler dans la maisonnée. La dame au guichet voit mon regard étonné, se retourne un instant vers la fenêtre puis me lance : « Ha oui, c'est un endroit où l'on s'amuse, ici. C'est comme ça tout le temps... » Et je me réveille ! (Je suppose que l'idée de me retrouver dans un lieu pareil me stressait plus que le fait d'être au bout du monde sans le moindre sou.)

« Une idée, c'est mille bougies allumées dans la nuit. » — Oui, mais encore faut-il que l'idée soit lumineuse. Une idée, ça peut tout autant être mille bougies qui s'éteignent.

jeudi 27 septembre 2012

Indigestion postale

Septembre 2012, ce mois béni des dieux durant lequel ma boîte aux lettres engloutit les tracts politiques à la même vitesse que Gargantua la nourriture... « Parce que demain commence aujourd'hui... » (sans doute un lecteur caché de Kierkegaard), « De toutes nos forces, pour Forest ! », « Nous, c'est toujours VOUS », « La force pas tranquille » (celle-là — fallait oser — est de Marie Arena, la même qui m'a envoyé un sous-bock à son effigie il y a quelques mois)...

Peu importe le parti ou presque : sur le papier calandré, sont inscrits les mêmes mots-clés vides de sens dont des conseillers en communication ont dressé la liste... Un peu comme ces paris que l'on se faisait entre potes, à l'athénée, pour voir si le professeur lisait attentivement la feuille de contrôle qu'on lui rendait : « Chiche que t'es pas cap de mettre cinq fois le mot "lapin" dans ton texte ! » (J'étais trop sérieux à l'époque pour avoir jamais tenté le coup, et aujourd'hui je le regrette amèrement, mais je le vis bien, merci.)

Ici, le lapin a été troqué contre d'autres termes fourre-tout. Ils se répètent à l'envi, à gauche comme à droite de l'échiquier politique, et ils sont en gras, s'il vous plaît, histoire que l'électeur potentiel ne les loupe surtout pas : « sécurité », « mobilité », « emploi », « propreté »...

J'avais déjà écrit quelque part dans ce journal que si un discours était partagé par tous, il ne valait pas tripette et que par conséquent l'exprimer ne servait à rien. Écrire que l'on veut plus de sécurité, une meilleure mobilité, des emplois pour tous et une ville plus propre équivaut à ne rien dire du tout. — Qui est contre de tels principes bateau ?

Je serais sans doute un peu moins défaitiste si je pouvais lire sur ces documents encombrant ma boîte aux lettres (du moins ceux émanant des partis de gauche, car c'est à l'un d'eux que je donnerai ma voix), que la sécurité n'est pas le problème central actuellement en Belgique et qu'il faut garder son sang-froid quant aux annonces catastrophiques de certains médias sur ce « Bruxelles coupe-gorge » fantasmé (voir à ce sujet l'étude de Christophe Mincke, Insécurité et sentiment d’insécurité à Bruxelles, 2010)... Ou si je pouvais y lire, tant qu'on y est, qu'en matière de mobilité, la viabilité d'une métropole moderne est à moyen terme d'y limiter fortement voire d'y interdire purement et simplement toute circulation automobile individuelle et d'y développer le réseau de transport public en conséquence. Ou encore qu'en matière d'emploi, dans notre monde, il n'y a actuellement strictement aucun moyen de résorber le chômage à grande échelle, à moins de mettre en place une tout autre forme de gestion du travail ou bien d'attendre une situation de « miracle économique » équivalente aux Trente Glorieuses (mais l'attente sera alors sans doute longue et douloureuse).

mercredi 26 septembre 2012

Faille textuelle

Intimité. — Ce journal, bien qu'en ligne, ressemble à une taverne intimiste : autour d'une petite table en chêne cachée dans un recoin faiblement éclairé de l'établissement, sous de basses poutres pluricentenaires, quelques ami(e)s m'écoutent sans rien dire : ils ne sont pas toujours d'accord avec ce que je raconte, me trouvent même parfois complètement idiot, péremptoire voire exaspérant, mais ils ne m'interrompent pas car il s'agit de ma table, qu'ils sont libres de quitter à tout moment. Tous sont les bienvenus, mais dans les faits ils ne sont que quelques uns ; ils appartiennent à un club totalement ouvert mais pourtant très fermé, par la force des choses. (Il m'arrive aussi, bien que ce soit rare, de m'asseoir à une table et d'écouter le monologue qui s'y tient sans émettre un son.)

Cette analogie permet de comprendre pourquoi je ne fais pas de publicité autour de mon blog. Ce n'est pas seulement parce que je déteste toute forme de prosélytisme, mais aussi (et surtout) parce que je ne voudrais pas que ce vieux café tranquille où l'on se sent en confiance se transforme en une cantine bruyante et impersonnelle.

« Archives », le jeu.Toi aussi, tu veux connaître les arcanes du métier d'archiviste ? Alors procure-toi au plus vite « Archives », le nouveau jeu de société inventé par Charlotte Charbonneau au cours d'un dîner au travail ! Plus vrai que nature, avec ses cartes (Mal)chance comme au Monopoly : « Le degré d'hygrométrie trop élevé de votre dépôt entraîne l'apparition de moisissures sur de vieux registres comptables. Payez 5000 crédits pour l'assainissement ! », « Votre logiciel d'inventaire a été supprimé. Retournez à la case "Départ" sans recevoir d'argent de la banque ! », « Vous recevez la visite surprise d'un archiviste du Royaume. Rendez-vous directement à la case "Prison" ! », « Votre subvention annuelle a été réduite de moitié. Licenciez un archiviste ! »...

Incises. — Pourquoi suis-je aussi obnubilé par les incises, et plus particulièrement par celles qui sont introduites par des tirets cadratins ? Je me posais déjà la question ICI et j'y donnais pour début de réponse que l'utilisation abondante de cette technique était caractéristique d'une certaine manière de penser. Paraphrase de ce que j'écrivais là-bas : un concept en amenant un autre, l'incise est un moyen en or pour mettre en avant des liens tacites entre différents « objets » de la réalité difficilement exprimables à l'aide d'une proposition subordonnée. En outre, l'incise est un très bon moyen pour ralentir la lecture (je tiens ça de L.W., bien que je n'aie pas attendu de le « rencontrer » pour en user et abuser). 

Quand je parle, j'ai constamment plein d'incises en tête. 
Mieux vaut donc, pour le confort de tous, que j'écrive ce que je pense.

Aujourd'hui, dans le train, j'ai repensé à cette histoire de tirets cadratins et je me suis dit qu'il y avait autre chose. Ça m'a littéralement sauté aux yeux à la relecture de mon récent article « Cadrage fatal », dans lequel j'utilise sans m'en rendre compte l'incise pour marquer une profonde déchirure dans le texte : « — J'aime la nuit. — ». Ces incises-là sont des brèches, des failles dans l'écran ou dans le papier... C'est un peu comme si le support du texte se fendait, au sens physique du terme, pour montrer la structure interne qui sous-tend toute une phrase voire tout un paragraphe ; la structure derrière la structure. Le premier tiret cadratin ouvre le texte à la manière d'un scalpel disséquant la chair quand le second le recoud. (À nouveau, je me trouve très lent à la compréhension dans la mesure où ce bête concept est clairement visible à la simple lecture du mot « inciser ».)

(Autre chose : c'est sans doute la raison pour laquelle je refuse catégoriquement qu'une incise soit réalisée « à la Léandra », c'est-à-dire à l'aide d'un simple trait d'union. Car l'entaille est alors tellement peu profonde qu'à peine ouverte elle se cicatrise déjà ! — Qui plus est, typographiquement parlant, c'est monstrueux, bien que je ne sache pas vraiment expliquer pourquoi.)

Alors que l'incise à base de tirets cadratins est aussi tranchante qu'une lame en acier inoxydable, celle à base de parenthèses possède au contraire un aspect beaucoup plus rond et sympathique. Le tiret cadratin est une guillotine ; la parenthèse un puits accueillant. Il faudrait que j'en tienne compte lorsque j'écris : réserver le tiret cadratin quand la rupture est forte et la parenthèse quand elle est soyeuse.

— L'incise est un acte sexuel. —

mardi 25 septembre 2012

Le chemin de la gare

Orientation. — Après une réunion matinale dans la cité du Doudou, je redescends à pied de la vieille ville jusqu'à la gare. Étant donné que je suis totalement incapable de m'orienter — rapport sans doute à mon aversion pour les mouvements de jeunesse —, j'emprunte la mauvaise ruelle et je me retrouve je ne sais où, dans ce qui ressemble à un quartier étudiant. Après quelques autres malencontreuses déviations, me voilà en périphérie de la ville, dans une banlieue résidentielle. Au loin, le beffroi. Évidemment, je ne suis pas du tout sur le chemin de la gare. Évidemment, hors de question de demander la route à quiconque... Je marche d'un pas assuré tout en me demandant : « Mais où est-ce que je suis ? »

Hier, au travail, une discussion tournait justement autour du fait que je refusais catégoriquement de demander ma route aux gens, dussé-je être poursuivi par des loups en plein milieu d'une forêt lugubre et inhospitalière (mais dans ce cas, me rétorquera-t-on à raison, je ne croiserais de toute façon sans doute personne). Lors de la même discussion, Wynka expliqua que son compagnon réagissait exactement de cette manière : « Il préfère se planter complètement que de demander son chemin. C'est une question de fierté personnelle et de contrôle : hors de question de s'avouer perdu ! », puis elle rajoute : « Je dis ça, je dis rien, mais vous êtes tous les deux des capricornes ! » (Il est même né le 10 janvier, comme moi... Si ça, ce n'est pas une preuve indubitable de l'incroyable pouvoir des forces astrales qui nous entourent, je veux bien manger mon pantalon ! — Euh...)

Tout compte fait, je n'étais pas si loin de la gare. J'ai fini par retomber sur une des rues qui y menaient... et sans rien demander à personne, s'il vous plaît !

Solitude & sentiment de solitude. — « Un enfant aveugle de naissance ne sait pas qu'il est aveugle tant qu'on ne le lui dit pas. Et même alors, il ne se fait qu'une idée très théorique de ce qu'est la cécité ; seul celui qui a perdu la vue en possède la notion. Ben Hanscom n'éprouvait aucun sentiment de solitude pour avoir toujours été seul. La chose n'étant ni nouvelle ni limitée, il ne pouvait pas se rendre compte que la solitude était toute sa vie, qu'elle était simplement là, comme les deux articulations de son pouce et la petite irrégularité marrante de l'une de ses dents de devant, sur laquelle il passait la langue chaque fois qu'il se sentait nerveux. » (Extrait de Ça de Stephen King.) — De tous les personnages du roman, Ben Hanscom est de loin mon préféré.

Pour se sentir seul, il faut avoir éprouvé au moins une fois le fait d'être accompagné : c'est, en résumé, ce qu'affirme ce paragraphe. Je ne sais pas si le principe s'applique à tous les cas de solitude (Léandra ne serait peut-être pas d'accord), mais je le trouve très pertinent en ce qui me concerne. Autrement dit : enfant (adolescent surtout), j'étais très seul, même si je ne m'en doutais pas. Aujourd'hui, je le suis tout autant mais, ayant connu pendant quelques années la vie à deux, l'idée de solitude est désormais plus ancrée dans mon esprit, bien que tout à fait supportable.

(En y réfléchissant à nouveau, je me dis qu'il y a quelque chose de faux dans ce que je viens d'écrire ci-dessus : même en couple, j'étais seul. J'ai toujours été seul.)

Rêve de pigeons morts. — Je travaille chez moi l'après-midi. J'en profite pour me reposer en début de soirée. Mary est au badminton ; l'appartement est tranquille. Je dors trois bonnes heures et me réveille alors que la nuit tombe. Je m'empresse alors de retenir un rêve étrange dont je viens de sortir et dont voici la teneur : je suis chez mes parents avec Gaëlle. Cette dernière a décidé d'élever des pigeons à l'intérieur de petites cages situées dans une des vieilles remises de la propriété familiale (là où, deux décennies plus tôt, mon grand-père maternel élevait des canaris). 

C'est le matin et j'accompagne ma fille dans la remise pour l'aider à nourrir les pigeons. Mais dès que nous ouvrons la porte, nous sommes tenaillés par une chaleur suffocante. De la vapeur brûlante s'échappe par l'ouverture nouvellement créée. Soudain, je comprends... Pour chauffer la remise durant la nuit, Gaëlle a eu la mauvaise idée d'installer un bac rempli de pierres comme on en trouve dans les saunas. Je me dirige avec difficulté vers deux cages. Dans la première, un pigeon est mort ; dans la seconde, l'oiseau n'arrête pas de tourner, affolé. Gaëlle dépose une grande assiette d'eau devant la cage et l'animal se met à laper rapidement le liquide à la manière d'un chat. Je lui explique que ce n'était pas une bonne idée de mettre ce système de chauffage dans la remise... et je me réveille !

lundi 24 septembre 2012

Cadrage fatal

Retour sur ∆. — Qu'ai-je écrit sur ma journée de samedi ? En résumé que je n'arrivais toujours pas à savoir, après trois écoutes consécutives, si An Awesome Wave, le premier album de , était terriblement mauvais ou terriblement bon. Il aura fallu un orage, beaucoup de Westmalle et une crise de noctambulisme pour trancher. Le verdict final est tombé alors que, dans le noir presque absolu de ma chambre, aux alentours de trois heures du matin, enfin prêt à m'endormir, « Taro », la dernière chanson de l'album, a traversé d'une traite la nuit orageuse ma nuit

Je me suis relevé un bref instant, j'ai rallumé la lumière pour tout de suite la rééteindre (ne surtout pas chercher un quelconque sens à la manœuvre) et, en fin de compte, réécouter l'album une nouvelle fois dans un sévère état de somnolence... Et là tout fut différent ! (Fiat Lux ?) Comme à chaque fois, je me suis alors demandé comment je n'avais pas réussi à entrevoir dès la première écoute que cet album était génial, plein de recoins sombres, de références secrètes, de laides et de belles histoires, de petites merveilles instrumentales et vocales, à découvrir et à redécouvrir. — Comme souvent, l'alcool (seule drogue pratiquée régulièrement sur moi-même) m'a permis d'apercevoir dans une certaine mesure ce qui était caché ; et la nuit d'écouter, d'observer, de réfléchir calmement, loin des contraintes temporelles de cette putain de journée.

— J'aime la nuit. —

Je ne m'étais pas aperçu, de prime abord, à quel point les trois interludes, malgré l'apparente simplicité de leur structure, étaient si beaux ; ni à quel point chacun des morceaux de ce premier album était précis, méticuleux et travaillé.

Depuis cette nuit, je ne cesse d'écouter « Taro ». Et ce n'est qu'aujourd'hui soir, soit presque vingt heures après « l'écoute décisive », que je me suis rendu compte — ai-je déjà mentionné que j'étais lent ? Je pense que oui — que cet air final faisait référence à Gerda Taro, la photographe et militante antifasciste écrasée par un char républicain lors de la guerre d'Espagne peu de temps avant ses 27 ans... Ou plus précisément : que cette chanson faisait référence à la mort de Robert Capa, dont la jambe gauche fut réduite en charpie par une mine terrestre en 1957 lors de la guerre d'Indochine, alors qu'il s'éloignait du convoi militaire afin de trouver le bon cadrage, qui lui fut fatal. « Mine is a watery pit. Painless with immense distance. From medic. From colleague, friend, enemy, foe, him five yards from his leg. From you Taro... » (Un peu comme si le grand photographe de guerre, à l'article de la mort, repensait à sa collègue et amante, décédée à des milliers de kilomètres et à dix-sept années de son propre corps en lambeaux.)

Taro by alt-J on Grooveshark

Mon appartement est un hôtel. — Une nouveauté : Mary travaillant dans une agence de titres-services, nous avons droit au passage d'une « aide ménagère » trois heures par semaine (!). Dans la mesure où mon appartement n'est pas bien grand et que je l'entretiens du mieux que je peux, elle n'a pas grand-chose à faire... Alors Mary lui a demandé de jeter un œil aux détails, quitte à nettoyer l'intérieur des tiroirs.

Aujourd'hui, de retour chez moi après une tranquille soirée en solitaire à la Maison du Peuple, j'ai l'impression de rentrer dans une chambre d'hôtel : mon lit est refait à la perfection, avec des oreillers supplémentaires (trouvés je ne sais où !), mes vêtements forment une jolie pile bien droite, les fenêtres sont lavées, ma collection de films porno est reclassée par ordre alphabétique et j'ai même eu droit à un petit bonbon de bienvenue. — Hem. Tout cela n'est absolument pas nécessaire mais je ne m'en plaindrai pas.

dimanche 23 septembre 2012

Attendre novembre et sourire

Échecs. — Gaëlle interrompt les jeux et les dessins animés plusieurs fois par jour pour se consacrer aux échecs. À ce jeu, elle préfère être confrontée à son grand-père (qui ne se rappelle même plus que les pions ne peuvent pas reculer sur l'échiquier) ou sa grand-mère (qui n'a plus joué depuis près de vingt ans — la dernière fois, ce devait être avec moi) qu'à son paternel. Ma fille est maligne : elle sait qu'elle a ses chances contre le premier (d'ailleurs, elle le met échec et mat, je ne sais trop comment, à l'aide d'une combinaison tour-reine), qu'elle en a déjà moins contre la deuxième et qu'elle n'en a aucune contre moi (faut pas déconner, non plus). Et comme elle n'aime pas perdre, le choix est vite fait. Elle est maligne.

Nous pourrions la laisser gagner à chaque fois, mais ce serait un très mauvais service que de la considérer comme un enfant et de rabaisser le niveau. — Souvenirs vagues (et donc sans doute partiellement faux) de l'apprentissage de ce jeu avec ma mère, qui ne m'a jamais laissé gagner une seule fois pour me faire plaisir. Je perdais sans rien dire, sans la moindre larme, et je réessayais encore et encore. Puis est arrivé le jour où j'ai remporté une partie, puis d'autres... jusqu'à toutes les remporter. Gaëlle n'a pas ce caractère-là : quand elle perd, elle est très énervée, se sent blessée et se met à pleurer à chaudes larmes. Il faut sans cesse la consoler et lui expliquer que gagner contre un adversaire handicapé (au sens ludique du terme) n'a strictement aucun intérêt.

Fléchette. — Gaëlle lance une fléchette en plastique qui tombe malencontreusement à l'intérieur d'un des radiateurs muraux de la maison parentale.
« Tu pourrais récupérer la fléchette derrière le radiateur, Papa ?
— C'est impossible, Gaëlle. Elle est dedans... Et le radiateur est vissé au mur.
— Oh non !
— C'est embêtant car ça pourrait mettre le feu, un truc pareil...
— Tu rigoles, hein, Papa ? »
(Non, je ne rigole pas, mais je suppose que j'exagère.)
Ma mère arrive, interloquée. Je lui explique la situation.
« Ha non ! lance-t-elle. Il risque d'y avoir le feu au mur ! »

À ce moment, j'arrive presque à voir les pensées se matérialiser à l'intérieur du cerveau paniqué de ma fille, avant même que celle-ci ne lâche, à la limite de la crise de larmes : « Mais je l'aimais bien, moi, cette maison ! Et puis il y a doudou qui reste ici tout le temps et qui brûlerait aussi ! » (Désormais, nous percevons sans équivoque où se situent exactement ses priorités !)

Novembre. — En ce triste dimanche soir de septembre, Léandra et moi mangeons des frites dans son appartement. Nous parlons de l'automne qui est arrivé et de la vie qui n'avance pas. Nous discutons de la chanson « Octobre » de Francis Cabrel (une des préférées de ma maman) et faisons le constat qu'il n'existe pas beaucoup de chansons consacrées aux mois de l'année... — Du moins, c'est ce que nous pensons, mais sans doute est-ce parce que nous sommes tous les deux lamentablement mauvais dans ce domaine de recherche.

« En novembre, il va se passer quelque chose ! lui dis-je.
— Pourquoi ?
— Parce que c'est toujours en novembre que tout se passe.
— Je ne suis pas convaincue.
— Les meilleures choses se passent en automne, et en novembre tout particulièrement. Les gens s'ennuient, ils ont besoin de chaleur, ils vont se réchauffer dans les cafés, ils parlent plus, ils échangent plus...
— Bof !
— Tu verras : il va se passer quelque chose en novembre...
— Mais quoi ?
— Un truc bizarre. Un truc auquel on ne s'attend pas.
— Pour qui ?
— Pour tout le monde. Pour toi. Pour moi. Pour les amis.
— Mais de toute façon, c'est très loin. J'ai déjà du mal à passer le week-end, alors novembre...
— Patience ! lui dis-je avec le sourire. »
(Le pire, c'est que j'arriverais presque à m'autoconvaincre avec mes propres conneries !)

Orage. — Mary est partie dormir vers minuit. De mon côté, je suis lancé : je m'installe au niveau du bureau improvisé dans le salon et je continue à écrire dans le noir, une Westmalle Triple à mes côtés. J'écoute en boucle The Antlers et Alt-J, histoire d'être imprégné de leur musique pendant que je rédige un petit texte sur eux. Et puis, aux alentours d'une heure du matin, l'orage éclate en sourdine dehors ! Au travers de la fenêtre qui donne sur le Nord de la capitale, j'observe les éclairs illuminer le ciel et éclairer les pièces centrales de mon appartement. Tout ce que j'aime : je suis seul, il fait noir, c'est la nuit, j'ai trop d'alcool dans le sang et l'orage gronde sans discontinuer. Que demander de plus ? (Il s'agit d'une question rhétorique, merci de ne pas répondre.)

samedi 22 septembre 2012

Ça commence et ça se termine par un rêve

Un rêve ! — Je ne me rappelle plus s'il s'est présenté cette nuit-ci ou la nuit précédente. C'est un rêve très flou, à la lisière de ma mémoire, faute de l'avoir noté directement lors de la courte phase de réveil nocturne qui lui est associée. Je suis avec ma fille Gaëlle et je suis censé réciter une histoire apprise par cœur... Était-ce sur une scène de théâtre ou simplement dans une des pièces de la maison de mes parents ? Je ne m'en rappelle plus... Quoi qu'il en soit, Gaëlle vient de déclamer ladite histoire à la perfection et c'est à mon tour de jouer. Cependant, chaque phrase qui sort de ma bouche est particulièrement mauvaise. Je m'en rends compte. Et Gaëlle de me reprendre constamment : « Non, ce n'est pas exact, Papa. Tu as inversé ce mot-ci... Et celui-là n'est pas bon... Tu as très mal mémorisé ton texte ! Tu as une très mauvaise mémoire ! »

C'est vrai que j'ai une très mauvaise mémoire. Mais il y a autre chose : depuis peu, je me pose des questions sur les facultés de mémorisation de ma fille. La semaine dernière, elle a été, à plusieurs reprises, capable de me ressortir des successions de chiffres (comme un mot de passe de session d'ordinateur, par exemple) qu'elle avait retenues des semaines auparavant. — Tous les parents espèrent que leurs enfants soient exceptionnels. En écrivant ce paragraphe, je suppose que je ne déroge pas à la règle. (De toute façon, les enfants sont souvent exceptionnels, beaucoup plus que les adultes en tout cas.) 

« Je te donne une série de chiffres et on va voir si tu les retiens, d'accord ?
— D'accord !
— 2-0-0-6-8.
— Euh... Attends, hein, Papa.
(Elle court s'enfermer une dizaine de secondes dans sa chambre puis revient.)
— Voilà ! C'est retenu !
Qu'est-ce que tu as été faire dans ta chambre ? Les noter sur une feuille ?
— Non, je suis allée les écrire dans ma tête ! »

Musique ! — Ça fait longtemps que je n'ai plus parlé de musique. Et pour cause : un jour, j'ai oublié mon baladeur MP3 sur le quai de la gare de Liège-Guillemins. Afin d'avoir quelque chose à me mettre dans les oreilles durant mon voyage au Québec en dehors des cotons-tiges (ha-ha, on est tous morts de rire), je m'en suis racheté un. Un Archos 20d Vision. Une vraie merde (comment est-il possible de fabriquer des machins pareils en 2012 ?) que j'ai selon toute vraisemblance oubliée dans l'avion à mon retour à Bruxelles (sans doute un acte manqué). Aujourd'hui, le petit dernier est un Philips GoGear ViBE — « Hé ! Vous avez vu les gars ? Le "i" de "ViBE" est une minuscule ! Ça en jette, hein ? » —, mais on s'en fout complètement, non ? Où en étais-je ? Que voulais-je dire ? Ha oui ! J'ai donc de nouveau l'occasion d'écouter de la musique. Sans son dans les oreilles, la vie ne vaut pas la peine d'être vécue... J'espère ne jamais être sourd, donc. — Mais qu'est-ce que c'est que ce foutu paragraphe qui ne ressemble à rien ?

Parmi les nouveautés, il y a ces deux groupes que Mary m'a fait découvrir en début de semaine :  (prononcer « Alt-J » — référence, paraît-il, à un curieux raccourci clavier sur Mac) et The Antlers (référence aux bois d'un cerf ?). En ce qui concerne le premier, c'est bizarre : je n'arrive toujours pas, après trois écoutes consécutives, à savoir si leur premier album (An Awesome Wave, 2012) est un chef-d'œuvre ou une daube pseudo-arty. C'est original, à coup sûr. Souvent, quand je n'arrive pas à me décider tout de suite, c'est plutôt bon signe. En ce qui concerne le second, c'est différent : j'ai immédiatement accroché à leur petit dernier (Burst Apart, 2011). Il va falloir que je le fasse tourner plusieurs fois pour savoir si j'accroche toujours après une dizaine d'écoutes, et aussi que je me renseigne sur celui d'avant, Hospice (2009).

Lu quelque part sur le Web, à propos de  : « Des incantations contemporaines psalmodiées dans des contrées incertaines où de subtiles beats hip hop se transforment en flux et reflux et accompagnent avec fougue l’épopée de ces romantiques aux fantasmes arty ». (C'est très bien écrit. FBsr n'aurait pas fait mieux. En tout cas, c'est hors de portée du style ramassé du pauvre petit Hamilton.) — Au départ, je voulais écrire un plus long texte à leur sujet, et puis, en lisant une telle prose, j'ai tout de suite pensé que toute description musicale était vaine. (Comment décrire une musique ? Mieux vaut laisser couler...)

Le clip officiel de « Fitzpleasure » de , tourné en collaboration avec Wim Delvoye (ha bon ?). La chanson se réfère à Last Exit to Brooklyn d'Hubert Selby Jr, le roman choc consacré aux bas-fonds de New York. (Une version haute définition ICI.)

Le clip officiel de « Tessellate », toujours de , signé Alex Southam. Mélanger L'École d'Athènes de Raphaël avec un univers « Gangsta », fallait oser ! (De nouveau une version HD ICI.)

« Parentheses » de The Antlers. (Retour à quelque chose de moins flippant... Quoique...) La voix haut perchée du chanteur est intéressante mais c'est surtout la rythmique lancinante et le riff de guitare impeccable en milieu de morceau qui me donnent envie de la réécouter, encore et encore.


« Every Night My Teeth Are Falling Out » de The Antlers, toujours. Cette chanson est magnifique, vraiment. (Déjà rien que le titre, bordel !) Pourquoi faut-il toujours que je tombe amoureux de chansons traitant à demi-mot de ruptures sentimentales ? « Try it, try it, try it, Try it, try it, try it, try it, Get your jaw off the floor. »

vendredi 21 septembre 2012

The maaaaarvelous « I6 » railroad car

Qui ne cesse de pester contre le manque de confort du matériel roulant des chemins de fer belges n'a sans doute jamais eu la chance de lier connaissance avec la merveilleuse, la magnifique, l'imposante, la splendide — que dis-je la splendide ? — la fastueuse voiture « I6 » de la SNCB. Lancée en 1977 afin de couvrir le trafic international vers les pays limitrophes (le Luxembourg, l'Allemagne) mais aussi vers l'Italie et la Suisse, elle est toujours en service et ne ressemble, pour autant que je sache, à aucune autre voiture actuellement en circulation sur le réseau ferroviaire belge.

À première vue, de l'extérieur, rien ne distingue ces voitures de toutes celles fabriquées en Belgique dans les années 1970 ou 1980... Une fois à l'intérieur, par contre, c'est le choc : on se croirait dans un de ces vieux trains à compartiments que l'on découvre, envieux, dans les aventures de Tintin ou dans celles d'Hercule Poirot. Et l'on en vient à s'imaginer, des décennies en arrière, en compagnie de gentlemen à chapeau et de bourgeoises à la coiffure « années trente »... Car il s'agit bel et bien, en deuxième comme en première classe, de voitures à compartiments, avec un couloir latéral grâce auquel on accède à de jolies petites cabines insonorisées de six places, munies d'un système d'air conditionné particulier, de sièges réglables avec de gros accoudoirs et un repose-tête (comme dans les avions !), de rideaux et de tout le confort d'un train moderne. (Manque plus que le Wi-Fi !)

Au départ, je me demande pourquoi un train à destination de Namur (où je me rends pour aller chercher ma fille à son école) est d'un si grand standing. Et puis je me rappelle qu'il continue sa route jusqu'à Luxembourg. C'est donc un train international, destiné aux longs trajets, et il est par définition plus confortable. Certains modèles sont même équipés de voitures-couchettes.

Le lecteur régulier et attentif remarquera à quel point je fais tout mon possible pour alimenter ce blog et le rendre moins monotone. C'est un combat de tous les instants, qui en l'occurrence n'a sans doute pas vraiment l'effet escompté. Car je suppose que pour d'aucuns, la description détaillée d'un modèle de voiture ferroviaire de la SNCB ne fait pas partie des sujets de conversation les plus sexys du moment. Peut-être ceux-là préféreraient-ils que je traite de long en large du système bielle-manivelle en vigueur sur une locomotive à vapeur ? Ou encore des procédures d'entrée dans les tunnels sombres, chauds et humides qu'empruntent les puissants trains parcourant les paysages joliment vallonnés voire carrément montagneux de Suisse et d'Italie ? — Mais je ne mange pas de ce pain-là, non Madame ! Je tiens un journal sérieux, dans lequel la vulgarité n'a pas sa place, non Monsieur ! (Poils aux essieux !)

* * *

Accourant vers moi de l'intérieur de la cour de récréation, Gaëlle me crie, enthousiaste : « Papa ! Papa ! », puis elle me montre directement une ligne rouge à la gauche de son cou : « Regarde ! C'est Andrew qui m'a fait ça... Il a essayé de m'étrangler !
— De t'étrangler ? Mais pourquoi ?
— Pour me faire pleurer !
— M'enfin ! Et tu as appelé au secours ? Tu l'as dit à quelqu'un au moins ?
— Oui, Andrew est allé chez la directrice. Même qu'il est privé de récré pendant une semaine !
— Ha. Et tu n'as pas essayé de te défendre ?
— Non, car je suis contre la violence. Je suis une pacifiste.
— Bigre. »

En soirée, de retour à la maison de mes parents, j'ai enfin réussi à la faire jouer aux échecs en suivant les règles, autrement dit sans que l'échiquier ne se transforme en un conte de fées miniature. À son âge (presque sept ans), apprendre les règles (simples) du jeu d'échecs n'est plus du tout un problème. Le problème réside autre part : lui faire comprendre le but véritable du jeu (le principe d'échec et surtout d'échec et mat) ainsi que les stratégies de base, du genre : ne pas se faire bouffer sa reine pour gagner un pion. — On est encore loin des ouvertures « Capablanca » ! (Mais ça viendra...)

jeudi 20 septembre 2012

« Tout flotte, en bas... »

Pour une raison inconnue, dimanche dernier, j'ai emprunté à ma mère un des plus célèbres romans de Stephen King : ÇA (IT, 1986)... L'histoire de sept enfants très soudés (la « Bande des ratés ») qui, au cours de l'été 1958, découvrent avec horreur que leur ville (Derry) est hantée par une « chose » effroyable (« Ça ») qui se nourrit de ses habitants, et particulièrement des plus vulnérables d'entre eux : les enfants. Vivant sous la ville, dans le dédale souterrain des égouts abandonnés, le monstre réapparaît depuis des siècles selon un cycle de plus ou moins vingt-sept ans en prenant souvent la forme assez ridicule d'un clown... Un clown aux dents longues, qui arrache le bras des petits gamins, découpe ironiquement des bûcherons en morceaux (en 1879) ou enlève des êtres humains pour les amener dans les profondeurs de la cité et les dévorer. Les enfants luttent contre la chose, la blessent, mais ne l'achèvent pas... Et vingt-sept ans plus tard, « Ça » revient.

(J'ai toujours martelé qu'il ne fallait jamais faire confiance à un clown.)

Je connaissais l'histoire depuis longtemps. Dans ma jeunesse, j'avais en effet été assez marqué par l'adaptation de ce livre en téléfilm (« Il » est revenu, 1990). Les acteurs n'y sont pas toujours bons, les trucages sont souvent très grossiers, mais l'atmosphère qui s'en dégage laisse une certaine empreinte. Par contre, je n'avais jamais lu le roman, du moins pas en entier. J'ai toujours eu un certain mal à lire du Stephen King. D'une part parce que j'ai souvent tendance à le mesurer à l'aune de Dan Simmons, que je trouve bien meilleur et souvent plus profond (L'Échiquier du mal reste pour moi le plus grand livre d'épouvante tombé entre mes mains — celui du genre à faire vraiment peur, à laisser une marque bien des jours après l'avoir refermé). D'autre part parce que je me suis toujours un peu méfié des succès de librairie... Qu'un auteur soit trop bien vendu et mon alarme intérieure retentit à grand fracas : si un livre rencontre un énorme succès, sachant que la plupart des gens ont des goûts de chiottes, il y a beaucoup de chance pour que ce livre soit une daube. (Oui, je sais, c'est très con, mais je fonctionne comme ça.)

Avec un thème aussi éculé, voire grotesque (un monstre/clown/araignée venu des profondeurs du temps et de l'espace qui se nourrit des habitants d'une petite ville de province), Stephen King aurait pu se rétamer lamentablement la tronche, mais ce n'est pas le cas. Comme souvent dans ses longs romans (cette édition-ci fait 1121 pages), l'auteur développe avec aisance la biographie et la psychologie du moindre de ses personnages. La monstruosité de « Ça » n'est somme toute qu'un prétexte pour développer longuement d'autres thèmes, comme la déformation ou l'enfouissement des souvenirs, la mélancolie, la mémoire, la nostalgie de l'enfance, les terreurs récurrentes ou la répétition amoureuse (Beverly est mariée à un homme qui la bat et la rabaisse constamment, comme le faisait son père ; Eddie sort avec la copie conforme de sa mère)...

Autre constat : je ne m'étais jamais rendu compte — je suis très lent d'esprit — à quel point cette histoire (et l'œuvre de King en général, d'ailleurs) était tributaire de H.P. Lovecraft. C'est pourtant flagrant. Tout d'abord, la ville de Derry (dans le Maine) est la ville lovecraftienne par excellence : fictive et secrète, comme peut l'être Arkham ; pourrie et dégénérescente comme peut l'être Dunwich (Massachusetts) dans les nouvelles du reclus de Providence. Même constat pour l'opposition entre la ville du « haut », visible, proprette (trop proprette même), et la ville du bas, cachée, pourrie, souterraine, où « tout flotte ». Ensuite, il y a cette entité très ancienne, « Ça », qui ne vient pas de notre monde mais des confins de l'univers... Comment ne pas penser à La Couleur tombée du ciel, qui met en place une mythologie similaire (une abomination extraterrestre qui s'écrase sur Terre). Enfin, le vocabulaire du roman, dans lequel « Ça » n'est que très rarement décrit : King parle d'abomination, de pourriture, de décomposition ; il est une sorte de Lovecraft moderne. D'ailleurs, le début du roman contient une mise en abyme, avertissement de l'auteur au lecteur (si l'on prend pour acquis que Bill Denbrough, dont il est question dans ce paragraphe, est le reflet de King lui-même) :
« Bill Denbrough, entre-temps, a écrit une nouvelle policière (meurtre dans une pièce fermée de l'intérieur) et trois nouvelles de science-fiction, plus quelques histoires d'horreur qui doivent beaucoup à Edgar Poe, Lovecraft et Richard Matheson. (Il comparera plus tard ces "œuvres de jeunesse" à des corbillards XIXe équipés d'un moteur turbo et peints en couleurs phosphorescentes.) »
Pour terminer dans la bonne humeur, je ne peux m'empêcher de recopier ici l'opinion de Stephen King, du moins au travers de son narrateur, sur les notes de bas de page. C'est très bien vu. King, qui est passé par l'université, a l'air de pas mal s'y connaître ; en tout cas, je trouve l'avis qui suit extrêmement sensé... (Sus aux notes de bas de pages !)
« (...) les notes de bas de page sont une espèce étonnante, voyez-vous ; comme des sentiers serpentant dans un paysage sauvage et anarchique, elles se dédoublent, et se dédoublent encore ; à un moment donné, vous prenez la mauvaise direction et vous vous retrouvez dans un roncier inextricable ou dans un marécage aux sables mouvants. "Quand on en trouve une, avait dit un jour mon prof de bibliothéconomie, il faut l'écrabouiller avant qu'elle ne fasse des petits." »
(La suite au prochain épisode, car je n'ai pas encore tout lu...) 

* * *

Que s'est-il passé ce jeudi dans ma vie ? (Après tout, il faut bien que j'alimente ce journal de détails inintéressants sur moi-même...) Après une longue journée de travail, je rejoins mon appartement où Mary est à nouveau en train de cuisiner le repas du soir : du poisson et du riz aux légumes (très bon). Après le repas, elle propose de regarder La Vie des autres (Das Leben der Anderen, 2006), ce long métrage allemand qui raconte la surveillance d'un couple d'artistes par la Stasi, en RDA. Un excellent film, mais nous n'en voyons que la première heure car Mary, fatiguée, s'en va dormir.

mercredi 19 septembre 2012

Puzzle

Au départ, comme c'est souvent le cas dans ce genre de situation, il est un peu inquiet : « Ces micros sont-ils vraiment nécessaires ? », « Allez-vous vraiment tout enregistrer ? », « Certaines choses ne devraient être dites qu'en off... » Et puis, très rapidement, l'atmosphère devient plus détendue : il comprend en quoi consiste l'entrevue, que nous ne lui voulons aucun mal, que nous sommes historiens (de gauche en plus, comme lui) et que nous cherchons simplement à savoir comment « ça » s'est déroulé.

De quoi je cause ? D'une interview historique. Celle du grand chef. Presque la dernière avant la clôture de nos textes et la mise en page du livre.

Pas question de dévoiler le contenu de ce témoignage. Je remarquerai simplement que j'ai été agréablement surpris, car l'entretien s'est déroulé dans la confiance et la franchise. (Tout historien, anthropologue ou sociologue ayant conduit des interviews dans le cadre de sa discipline sait que la chose ne se passe pas toujours aussi bien : certains enrobent leur discours dans une légende confortable, n'expriment que des semi-vérités, cachent les coups durs, les accrocs, pour ne garder que le mythe. Or, s'il peut parfois s'avérer intéressant pour le sociologue ou l'anthropologue, le mythe est une catastrophe pour l'historien. Il ne fait que mélanger les pièces du puzzle patiemment récoltées au fil des recherches.)

Les dernières pièces de mon puzzle mental étaient très mélangées, mais au cours de cette interview, je reçois enfin des réponses à mes questions et remets les évènements à leur juste place : ha, c'est donc comme ça que ça s'est passé ! Dans toute recherche historique, du moins chez moi, il y a toujours quelques rares moments où tout se met en place d'un seul coup et où je me dis : voilà ce qu'il faut dire, tel sera le squelette ! — Le dernier de ces instants est enfin arrivé et je vais pouvoir arrêter de me ronger les ongles (en tout cas jusqu'au sang).

* * *

Dans un restaurant italien, à midi, le vieux patron nous accueille, avec un air légèrement mafieux, en agitant les mains : « Comment ça va ? Ici, les églises sont désertes... Mais le syndicat, hé, il marche très bien... » (C'est dit sur le ton de l'humour, mais c'est curieux... et ça nous fait rire.)

* * *

Une satisfaction : elle me remet enfin LE registre. Quand je le vois, je suis émoustillé : « Non ? C'est le registre des entrées et sorties du personnel ? Oui ? Mon dieu, il remonte loin en plus !
— Oui, Jacques était très méticuleux... Il a tout noté... L'arrivée et le départ de chaque personne du service, leur changement de statut, les décès...
— Oh ! Mais il y a même la date exacte de l'arrivée de Bastien Durrée à Liège ! »
Lodewijk se fout gentiment de ma poire. Un peu plus tard, au restaurant italien susmentionné, entre deux interviews, il dira même à la petite tablée : « Hamilton est tout content car il a enfin eu accès au registre du personnel. Il a presque eu un orgasme tout à l'heure ! »

Je suis célibataire depuis si longtemps que je jouis devant un registre... Si ça, ce n'est pas de l'abnégation au travail ! (Je tiens à préciser que le verbe « jouir » est ici à prendre au sens figuré.)

mardi 18 septembre 2012

Bribes de souper

Mary est un peu malade mais elle mange tout de même avec nous. Au menu de ce soir : des pâtes au poulet et au parmesan. 

Une sacrée réminiscence de notre vol Montréal-Bruxelles : je suppose — c'est Léandra qui m'y a fait penser — que je ne voulais pas garder un si mauvais souvenir de ce plat en barquette made in Air Transat, alors je l'ai recréé... (La recette : mélanger des dés de poulet avec des échalotes finement coupées, quelques morceaux d'ail pilé, du vin blanc, de l'huile d'olive, un peu de jus de citron, du persil plat, du poivre et du sel. Faire revenir le tout dans du beurre. Ajouter de la crème fraîche lorsque le poulet est tendrement cuit ainsi qu'un soupçon d'huile à la truffe. Placer des copeaux de parmesan et du basilic frais après la cuisson. En option, verser un peu de crème de vinaigre balsamique pour faire joli.)

Léandra va mieux car elle a compris que Jonas n'allait pas bien. Qu'il soit en forme pendant qu'elle déprime est intolérable à ses yeux ; qu'il soit malheureux rend par contre sa douleur beaucoup plus supportable. Si je prends ces éléments sans le moins du monde les interpréter, je constate que pour l'instant, il faut qu'il aille mal pour qu'elle aille mieux. (C'est totalement surréaliste !)

Un peu comme si je me réjouissais que la relation que vit actuellement mon ex-compagne soit compromise et que (par exemple) elle pleure chaque soir : elle m'a fait souffrir, c'est normal qu'elle souffre à son tour. Bien sûr, ça m'a déjà effleuré l'esprit (souvent même, surtout au début), mais je pense qu'il faut lutter de toutes ses forces contre de pareilles pensées : à quoi cela sert-il de vouloir que les autres soient eux aussi malheureux ?

Je souhaite beaucoup de bonheur à tout le monde. Ce n'est pas parce que je ne suis pas très en forme qu'il faut que j'entraîne les autres — amis, « ennemis », inconnus — dans une spirale destructrice.

* * *

« Laisser vingt longs messages vocaux par jour à quelqu'un pour lui signifier qu'il est dans l'erreur n'est absolument pas du harcèlement. »
SI, C'EST DU HARCÈLEMENT, BORDEL !
(La majuscule et le caractère italique, utilisés avec modération, ont presque autant d'effet qu'un cri de rage dans la nuit.)

Si on m'envoyait une série de messages à n'en plus finir pour me signifier quelque chose (peu importe le contenu, la forme et le média), je couperais directement le contact... Mais on ne m'a jamais envoyé de tels messages. Lewis a peut-être essayé, à un moment. (Il s'est lamentablement planté, en fin de compte.)

Une conclusion : l'envoi de ces bouteilles procède d'une double dynamique... Il faut quelqu'un qui les lance et quelqu'un qui veuille bien les recevoir, du moins dans une certaine mesure. Il est inimaginable que le receveur n'y trouve jamais son compte. « Masochisme » me vient à l'esprit mais ce n'est sans doute pas le terme adéquat. (L'alcool éveille mais brouille, aussi.)

Si personne ne m'a jamais traité de la sorte, c'est sans doute parce que je n'ai jamais voulu jouer ce jeu-là, par trop malsain, dans un sens comme dans l'autre. 

* * *

Dans je ne sais quel contexte, je leur ai dit que j'avais vraiment du mal avec ce regard particulier qui signifie autre chose qu'un simple regard ; ce regard qui signifie « J'ai envie de toi ! »... Il est rare que je ne détourne pas la tête dans ce cas. « Putain, mais laisse tomber ! », me lance Mary, presque énervée... (Mais c'est justement ce que je fais !)

Même chose avec la danse.

* * *

« Toi non plus, tu ne tiens pas les promesses faites à toi-même : tu avais dis que tu arrêterais l'alcool et tu n'y es jamais arrivé... », me lâche Léandra en désignant mon verre d'Achel blonde.
Et pan dans la gueule ! —
Je ne réponds rien.
Je rentre dans un débat interne pendant environ dix longues secondes.
Je ne trouve pas de répartie.
Et je finis par me dire qu'elle a raison, sur ce point.

Entendu au Québec : « Il a arrêté de boire mais il est toujours alcoolique. Ce n'est pas parce qu'on a arrêté de boire qu'on n'est plus alcoolique. L'alcoolisme, c'est pour la vie. » (C'est foutrement vrai !)

* * *

Cette histoire de pardon semble très compliquée quand ces deux-là en parlent, alors que ça me paraissait très simple de prime abord : comment peut-on demander pardon sans comprendre (et ressentir) pourquoi on le demande ? Mais il semble y avoir autre chose que je n'appréhende pas. — C'est terrible : nous parlons sur des chemins parallèles ; nos phrases ne se croisent jamais.

Ce qui ennuie Léandra dans ce type de livre de psychologie, c'est le jargon symbolique. Je trouve que ça pourrait être pire. Elle me répond : « C'est normal que tu dises cela. Tu es habitué. Tu lis pas mal de philosophie en ce moment. » C'est vrai, mais s'il y a bien une chose que j'ai appris de ma lecture de Ludwig, c'est bien celle-ci : nul besoin d'utiliser des mots extraits/subtilisés de leur usage courant pour philosopher ; au contraire, c'est dans l'étude et la pratique du langage de tous les jours qu'on trouve matière à réflexion. Le langage est un mur infranchissable. Mary n'est pas d'accord... Ou peut-être que si (j'ai oublié).

Dans la phrase qui suit, je n'arrive plus à faire le tri entre ce que j'ai vraiment dit et ce que j'ai seulement pensé : « Non, non, pas de transcendance, pas d'absolu, il faut revenir aux cas concrets, à la pratique, à la vie réelle ! » (En disant/pensant cette phrase, j'ai eu l'impression de réciter la pensée de quelqu'un d'autre.)

* * *

Évidemment, tu ne trouves rien de mieux à faire que d'écrire ces paragraphes jusqu'à deux heures du matin. Tu les relis et tu n'es pas certain de leur pertinence... Alors tu attends le lendemain pour les vérifier/corriger. (Et tu auras fini par boire les quatre Achel du frigo. — Rien ne va plus !)

lundi 17 septembre 2012

Retour à la normale

Nous sommes le 17 septembre, je suis de retour au travail et je crois avoir épuisé l'entièreté de mes congés payés. Jusqu'à la fin de l'année, ma vie n'aura plus qu'une seule couleur : celle, grise, du métro-boulot-dodo, ponctuée néanmoins par les noires pauses café et les blondes soirées houblonnées. Une fin d'année extrêmement remplie, avec un gros projet dont la phase finale se rapproche dangereusement et dont la deadline, contrairement aux autres deadlines, ne peut en aucun cas être dépassée.

Mes ongles sont particulièrement rongés pour l'instant.

Pour couronner le tout, je suis malade depuis près d'un mois. Mal de ventre d'origine inconnue avant de partir au Canada, qui s'est transformé en une « simple » gastro-entérite à Montréal et qui s'est éclipsé en faveur d'une trachéite à Québec, puis d'une sorte de bronchite à Tadoussac. Et maintenant, voilà-t-y pas qu'arrivent les symptômes d'un rhume, accompagnés d'un état grippal généralisé. Mais je fais semblant de rien. Si je vais chez le médecin, il va me dire de me reposer, me prescrire du Dafalgan et l'un ou l'autre sirop pour la toux... Peut-être voudra-t-il même m'envoyer à nouveau à l'hôpital pour une échographie de l'abdomen. Mais j'en ai marre d'être tout le temps malade... Donc je fais semblant de rien.

Point positif de cette morne journée : le soir, en rentrant chez moi, le repas avait été préparé par Mary — qui est devenue ma colocataire attitrée désormais, l'avais-je déjà mentionné ? Depuis combien de temps n'ai-je plus eu droit à un repas préparé chez moi à mon retour du boulot ? Depuis peu de temps, en fait, dans la mesure où j'ai passé la moitié des mois de juillet et août chez mes parents. Mais qu'importe !

Je n'ai strictement rien d'autre à raconter aujourd'hui.
(Une vraie merde, ce texte, mais c'était ça ou rien du tout...)

dimanche 16 septembre 2012

Aquarium

Elle est bouleversée car il l'a « déjà » remplacée. Sortaient-ils toujours ensemble ? Il semblerait que non — ou peut-être que oui, je ne sais plus. D'habitude champion des occurrences léandriennes, j'ai perdu ce compte depuis bien longtemps... Combien de fois se sont-ils quittés puis remis en couple ? Sept fois ? Huit fois ? Je suppose que le calcul dépend en grande partie de ce que l'on entend par « se quitter » et « se remettre en couple »... Combien de fois a-t-elle placé des échéances, lancé des ultimatums ? Là encore, le comptage s'avère des plus complexes.

De toute façon, il lui avait promis qu'il l'informerait de tout changement de situation. Il ne l'a pas fait : c'est un menteur, un sale menteur, un putain de menteur. Il faut qu'il paie, le salaud, qu'il ressente la douleur qu'il m'a causée... Car elle ne sera satisfaite que le jour où il percevra réellement, au plus profond de son être, tout le mal qu'il lui a fait. Mais est-ce seulement possible ?

Elle se sent seule, et surtout lésée : qui était aux petits soins lorsque tout allait de travers ? Et qui était aux abonnés absents quand tout allait bien ? Et maintenant cette fille, qui n'a rien fait, qui ne le connaît pas, va se balader en rue avec lui sans rien connaître de notre histoire commune ? Il faut qu'elle sache !

De mon côté, petit connard fataliste devant l'éternel, croyant dur comme fer qu'on ne change pas les gens — ne voulant de toute façon pas les changer — et qu'une relation, quelle qu'elle soit, ne se base pas sur ce genre de don de soi oblique (voire totalement vertical), combien de fois ne lui ai-je pas répété qu'il fallait tout laisser tomber et bâtir autre chose avec quelqu'un de plus stable ? Là encore, le compte se perd dans la brume... Mais je sais très bien — je ne suis pas complètement idiot — que je ne sers ici que de piètre béquille et que je ne suis absolument pas là pour donner des conseils, qui ne seront de toute façon jamais suivis. Mon amie est bornée : elle ne se fera une raison qu'après de nombreux mois de douleurs, vives, lancinantes puis enfin endormies, comme ce fut déjà le cas avec le docteur... et avec d'autres.

J'ai l'impression d'assister, encore et encore, à la même répétition théâtrale : celle des mêmes couacs au sein de la même représentation ; celle aussi des mêmes jeux entre des représentations différentes. Toujours cette tendance à accourir vers l'autre au moindre appel, à jouer les protectrices, dans un rapport qui se pratique principalement à sens unique : elle donne beaucoup, mais ne reçoit guère. Un peu comme ce parent qui, chaque matin, prépare les tartines de son gamin sans jamais rien demander en retour. Le parent est habitué, l'enfant aussi, et c'est ainsi que se déroule la pièce... Sauf que nous ne sommes plus des enfants.

(Dans mon aquarium, nagent les mêmes petits poissons aux grandes aspirations. Nous sommes des littéraires. Nous avons tous une idée très précise de ce que nous voulons. Les romans, les poèmes et les grandes biographies ont dessiné dans les circonvolutions de notre turbulent cerveau une vision impossible des grandes amours et des grands destins. Nous voulons quelque chose de magnifique, s'il vous plaît ! Et nous n'arrêtons pas de projeter, de projeter, de projeter, encore et toujours, putain de bordel de merde...)

Ce soir, Andrew et moi, un rien nostalgiques sans doute, avons discuté des paysages de World of Warcraft pendant que, silencieuse, elle cherchait le nom de la nouvelle élue sur mon/son ordinateur... Une recherche méticuleuse dont elle seule a le secret, mais qui ce soir n'a pas du tout abouti. Sa traque est obsessionnelle et je ne la comprendrai jamais. — Là où je m'effacerais dans le plus grand silence, elle cherche, fouine, envoie des messages, des messages, encore des messages...

Et puis, elle finit par s'en aller de la Maison du Peuple, sans dire grand-chose. Forcément, la suite de la discussion tournera autour du même sujet. Forcément, sa déprime aura un effet sur mon — notre ? — moral. Je voudrais un jour démolir cette carapace qui m'entoure depuis bien trop d'années, mais ce n'est sans doute pas le bon moment : il faudrait avant tout qu'il y ait beaucoup plus de bonheur autour de moi (et c'est apparemment très loin d'être gagné).