samedi 30 juin 2012

« Ce n'est pas moi qui le dis, c'est la Bible ! »

1— Je me réveille un peu avant deux heures de l'après-midi. J'ouvre la porte de ma chambre en coup de vent. Léandra est encore là, dans la salle à manger, et sursaute : « Ha ! T'es enfin réveillé ! À un moment, j'ai cru que tu ne te réveillerais plus jamais ! Ensuite, je t'ai entendu ronfler et ça m'a rassurée ! » Elle est sur le point de rentrer chez elle et vient à l'instant de m'écrire un message dans lequel elle raconte avoir lu en entier ce matin ABC contre Poirot d'Agatha Christie. Ça se lit très vite, ces machins... et ça doit lui changer de Simone de Beauvoir !

Léandra semble un peu confuse. Elle me dit « À demain ! », alors que nous n'avons pas prévu de nous voir ce dimanche, puis s'en va... Peut-être a-t-elle cru pendant un instant qu'elle était réellement en train de parler à un mort ? (Métaphoriquement parlant, elle ne serait pas si loin de la vérité après tout.)

2— En gare de Charleroi, le train vers Namur accuse un très gros retard. Sur le même banc que moi, attendant le même train, un groupe de chrétiens (un jeune Noir et une dizaine de femmes âgées) revient d'une « conférence » et discute de la Résurrection. L'homme, tenant solennellement en main une petite Bible — en guise de preuve semble-t-il —, fait référence à Matthieu [28:1-2] : « Quand elles vont voir le tombeau, il y a un grand tremblement de terre et un ange apparaît ! Ce n'est pas moi qui le dis, c'est la Bible ! »

Mais les femmes commencent à émettre des hypothèses encore plus farfelues que les siennes, hypothèses qui seraient presque de l'ordre du blasphème aux yeux de Notre Sainte Mère l'Église Catholique Romaine : « Ouiiii, il paraît qu'il y avait beaucoup de tremblements de terre à l'époque dans cette région et que c'est pour ça que certains habitants ont cru voir des corps humains morts et enterrés s'élevant dans les airs ! » L'homme fait de grands yeux et feuillette rapidement son livre de référence : « Non, non, ça, c'est autre chose, c'est [Luc, 24:51] : "Comme il les bénissait, il se sépara d'eux et fut emporté au Ciel" ! Aucun rapport avec un tremblement de terre, non, non... » Une des femmes : « Ha bon ? Ha ben moi je croyais, hihihi ! »

3— Gaëlle reçoit son dernier bulletin avant les grandes vacances. À son évaluation de fin d'année, elle obtient 99% en français et 99% en mathématiques. Le niveau de la première a dû fameusement baisser pour qu'une institutrice donne 99% à une fillette de presque sept ans qui ne sait pas lire sans buter sur chaque syllabe... Mais passons ! Je lui dis, pince-sans-rire : « Mouais, c'est pas mal... N'empêche, tu aurais pu faire 100% ! » Je pourrais passer pour le pire des cyniques, mais c'est sans compter sur le fait que ma fille a fini par comprendre, après quelques années passées en ma compagnie, que c'était une forme d'humour noir... Enfin je crois... Euh... Tout compte fait,  je finis tout de même par la féliciter réellement, sans aucune ironie.

Afin de récompenser Gaëlle pour ses très bons résultats, mon père lui a acheté un gros « Zooble ». Celui-ci ne se replie pas sur lui-même mais contient néanmoins de nombreux artifices, comme des cheveux amovibles et un coffre à l'arrière de sa tête. — Un trésor d'ingénierie et de marketing, que je disais !

4— Cette nuit, je renverse une bouteille de Westmalle triple sur... le clavier externe qui me sert actuellement de clavier de substitution en attendant que je prenne le temps de remplacer le clavier interne du portable sur lequel j'ai — simple rappel — renversé du Caffè Latte Vanilla. Heureusement, celui-là est water resistant et donc, par extension, également beer resistant.

Il serait éminemment comique que je fasse un jour une liste non exhaustive de tous ces objets et personnes sur lesquels j'ai renversé une boisson : mon plus grand moment de solitude fut sans doute cet instant mémorable où j'ai balancé par inadvertance l'entièreté de mon verre de Leffe blonde sur un pote qui n'avait rien demandé... Heureusement, si l'on en croit Zénon d'Élée, tout mouvement est une illusion, donc cette bière n'a en fait jamais atteint le visage de sa cible. (Mais oui, mais oui...)

5Il semblerait que ce journal prenne un nouveau tournant... Car je pense en ce moment que plus une description est courte, meilleure elle est. Une idée : pour chaque article quotidien, ne plus écrire qu'un seul mot, choisi de manière extrêmement minutieuse, qui donnerait la couleur exacte de la journée. Des années plus tard, je relirais ce mot et, tout comme pour la fameuse madeleine, celui-ci remonterait à la surface de ma mémoire mon humeur passée... — Mais ce serait de la triche et d'aucuns percevraient cette façon d'écrire comme de la fainéantise pure et simple de ma part !

vendredi 29 juin 2012

« À travers la pluie noire des champs... »

Un rêve... Je me rends compte que le sommet de mon crâne, jusqu'à présent totalement épargné par la calvitie, s'est subitement transformé en un disque sans le moindre cheveu. J'essaie, paniqué, de cacher la chose en effectuant une sorte de mouvement centripète, ramenant les cheveux de la périphérie vers le centre. Et puis, je me souviens que je m'étais juré de ne pas procéder de la sorte ; que si je devenais chauve, je me raserais sur-le-champ le cuir chevelu. Je vais chercher ma tondeuse à barbe et l'utilise sur mon crâne... Mais l'afflux massif de cheveux paralyse le mécanisme et je me retrouve avec une coiffure ridicule... Je peste : « Pourquoi tant d'acharnement ? », et je me réveille !

(Le sommeil, cet endroit magique où les rêves sont plus faciles à supporter.)

Travail au dépôt d'archives ce matin. Lodewijk est un juke-box vivant. Il connaît par cœur le répertoire de Barbara, Brassens, Brel, Ferré, Le Forestier, Piaf, Reggiani... — J'ai l'air malin, moi, avec ma parfaite connaissance de Julien Clerc et de Starmania !

Nous nous emmêlons les pinceaux sur « Chanson pour l'Auvergnat »... « Il parle de "huche", à un moment, mais quand ? » — Ha ! C'est lorsqu'il mentionne l'Hôtesse : « Toi qui m'ouvris ta huche quand les croquantes et les croquants, etc. » (Le plus beau couplet est le dernier, celui de l'Étranger qui « d'un air malheureux m'a souri lorsque les gendarmes m'ont pris » : on rêve, dans l'adversité, de recevoir un tel réconfort anonyme !)

Citant Léandra dans les grandes lignes, je dis à Lodewijk : « Une autre vraiment très intéressante : "Supplique pour être enterré à la plage de Sète"... Elle dure un peu plus de sept minutes et possède la particularité de ne pas avoir de refrain... Et question "vocabulaire", c'est quelque chose ! » — « Trempe dans l'encre bleue du Golfe du Lion, trempe, trempe ta plume, ô mon vieux tabellion... »

« Le petit cheval » : « Cette chanson décrit une idée très précise mais je n'arrive pas à trouver le terme exact... » Plus tard, dans le calme relatif du wagon me ramenant à Bruxelles, le mot tant cherché m'apparaît d'un seul coup : l'abnégation. Le petit cheval se sacrifie pour les autres, sans qu'il y ait la moindre récompense à la clé... D'ailleurs, l'idée même de récompense lui est étrangère ! — C'est ce qui rend cette histoire à la fois triste, injuste et belle.

Quand je parle, je cherche constamment mes mots, je me trompe dans la grammaire et les expressions... Quand j'écris, au contraire, le phrasé coule de source. — Parler est un désert ; écrire un oasis.

Pourquoi tous ces « philosophes nouvelle génération » se font-ils photographier la tête inclinée ? — Un mystère que la légèreté de leur pensée ne suffit pas à expliquer.

Léandra : « Tu es très péremptoire dans ton blog en ce moment ! Tu ne laisses aucune place au doute ! » — Péremptoire, moi ? Jamais !

La même (en résumé) : « Un iPad, ce serait parfait pour toi ! Grâce aux applications, tu pourrais directement voir toutes les notifications quand elles apparaissent... » — Mais je ne veux justement pas voir toutes ces notifications ; être connecté en permanence ; savoir qu'untel a commenté mon statut ou m'a envoyé un message ! Pour tout dire, je recherche exactement l'inverse, à savoir un système où je ne suis informé de rien du tout !

Amusants, ces parallèles entre l'armée et l'entreprise moderne ! Les cadres : officiers ou sous-officiers dirigeant une troupe mais aussi membres de l'encadrement du personnel d'une société... Le mess : endroit où mangent les gradés de l'armée mais aussi, parfois, cantine des cadres supérieurs... Et ce n'est pas tout : campagne, capitaine (d'industrie), cible stratégique, conflit, conquête, ennemi/concurrent, espionnage, guerre (des prix), leadership, mobilisation des troupes, offensive, opération, QG, siège, etc.

Léandra : « Je suis d'un prévisible ! Évidemment que j'allais dormir ici ce soir... » (... dans la chambre bordélique de ma fille, remplie de nounours et de jouets éparpillés.)

Dormir la journée, veiller la nuit... Car la nuit, mère d'une tranquillité sans pareille, éveille les sens quand la journée les endort !

jeudi 28 juin 2012

Chavagnac

Au réveil, le souvenir vivace d'un rêve pornographique au cours duquel je sors avec une vieille connaissance d'école secondaire. En public, la femme est timide et effacée, jusqu'à regarder constamment le sol... Au lit par contre, elle devient à la fois vulgaire et dirigiste. Elle me repousse et me crie : « J'en ai rien à foutre de tes petits bisous et de tes caresses ! Je veux que tu mettes ta main là, et là, et puis ici ! » ou : « Je veux que tu me prennes comme ça ! » ou encore : « T'as pas oublié les préservatifs, au moins, couillon ? », etc. J'exécute tout ce qu'elle me demande, sans néanmoins prendre le moindre plaisir. Pendant l'acte, elle me lance une série de phrases comme : « T'aimes ça, hein, mon cochon ? » — Misère ! Pour une fois que je rêve de sexe, il faut que ma partenaire imaginaire soit dans l'incapacité d'être douce ! (Je ne veux même pas savoir ce que ce rêve cache au niveau symbolique.)

Librairie Filigranes. Je flâne aux rayons philosophie, science-fiction, littérature générale et poésie. Du côté de la science-fiction, j'opte pour Simulacron 3 de Daniel F. Galouye (1964), où il est question d'un simulateur d'environnement total, autrement dit d'un monde complet créé informatiquement (Matrix est en retard d'une guerre !)... Au rayon littérature, je cherche en particulier le texte de Goethe sur la botanique (La métamorphose des plantes) mais je ne le trouve pas... « Ha, désolé, nous ne l'avons pas en stock, me répond une vendeuse. Mais nous avons Faust, au rayon théâtre, et le très beau Divan d'Orient et d'Occident qui établit, comme son nom l'indique, le pont entre ces deux mondes. Je suis assez fière d'en avoir fait l'acquisition... » C'est un peu cher, alors je me rabats sur ses Maximes et réflexions (pour le moment).

Goethe : « Si Dieu avait été préoccupé de faire vivre et agir les hommes dans la vérité, il aurait dû s'y prendre autrement. » ; « Lorsque l'homme se met à réfléchir sur sa santé ou son moral, il se trouve généralement souffrant. » ; « Jeter un coup d'œil sur une horloge qui ne marche plus, par habitude, comme si elle marchait encore ; regarder le visage d'une beauté comme si elle aimait encore. »

Une réplique culte, et très drôle, du barman Moe Szyslak dans Les Simpson (Toute la vérité, rien que la vérité, 1991) : « Les gens riches ne sont pas heureux... Depuis leur naissance jusqu'à leur mort, ils s'imaginent qu'ils sont heureux, mais crois-moi : ils ne le sont pas ! »

Je suis au MicroMarché, dans le quartier de Sainte-Catherine, en compagnie de Léandra, de Perrette et du Docteur Nanash. Celui-ci et moi-même commandons à boire. Lui un mojito, moi une simple bière. La serveuse nous sert les deux boissons et souhaite encaisser de suite : « Ça fera six euros nonante, s'il vous plaît...
— Combien coûte le mojito ? demande Nanash.
— Sept euros.
— Et l'on vous doit ?
— Six euros nonante, s'il vous plaît.
— D'accord. »
Constat : soit la bière est au prix incroyable de -10 cents (si j'avais commandé 70 chopes au lieu d'une, la commande aurait entièrement payé le mojito), soit la serveuse est un peu... hem... limitée. La conclusion toute personnelle de Nanash : « Faut pas chercher à comprendre, c'est la sélection naturelle, un point c'est tout ! »

Un peu plus tard, Léandra et moi rejoignons Andrew au Domaine de Chavagnac, un restaurant gastronomique (très abordable) spécialisé dans la cuisine du Sud-Ouest... Ça sonne un peu comme « Champignac », dans les aventures de Spirou et Fantasio, c'est sympa !

J'offre à Andrew son cadeau d'anniversaire : un recueil de poésie japonaise intitulé De cent poètes, un poème, trouvé tout à l'heure chez Filigranes. Le connaissant, je me suis dit qu'il aimerait pareil recueil de poésie orientale — j'ai longtemps hésité entre l'arabe et la japonaise —, d'autant plus que chaque poème est accompagné, en pleine page, de sa propre calligraphie. (Apparemment, je ne me suis pas trompé.)

Je déguste une tranche de foie gras en entrée... « Le foie malade d'un animal torturé », disait en son temps Maïté... Mais c'est tellement bon ! En plat principal, un pavé de bœuf. De leur côté, Andrew et Léandra mangent du magret de canard au thym.

Est-il possible que je n'aie plus vu Andrew depuis le 22 avril 2012 (si l'on en croit sa dernière apparition de visu dans ce blog, mentionnée un jour plus tard, soit le 23 avril) ? Idem pour Emily : cela fait plus de deux mois que je ne l'ai plus croisée. C'est la vie !

C'est la folie dans le centre-ville... L'Italie a gagné, semble-t-il. Le boulevard Anspach est assailli par les bruits de klaxons et l'agitation des drapeaux... Une scène : une famille d'Asiatiques, dans un taxi, observant avec de grands yeux émerveillés cette démonstration de liesse populaire européenne. Une autre scène : deux supporters allemands, dans le tram, petit drapeau en main, essayant tant bien que mal de se consoler de la défaite de leur équipe. Ils ont vraiment l'air au bord des larmes, c'en est presque... inquiétant.

mercredi 27 juin 2012

« Mais je suis petit ! »

Mercredi matin, à l'Espress « Oh ! » Juice de la gare des Guillemins, à Liège. Alors qu'il prépare mon habituel petit café de la semaine à emporter, le patron est en pleine discussion avec un client (un avocat ?) : « Défendre tout le monde ? Je ne suis pas d'accord avec ce principe ! lance-t-il.
— C'est la procédure... Toute personne a le droit d'être défendue !
— Eh bien je trouve que ce n'est pas normal !
— Tu tiens un discours populiste ! Tu parles comme les petites gens !
— (Il écarte les bras en guise de constat...) Mais je suis petit ! Regarde : je ne fais qu'un mètre 55 ! »
Une réplique très marrante, je trouve, d'autant plus qu'il l'a sortie vraiment très rapidement.

Wynka : « Grrrr... Je croyais avoir cerné mon sujet et puis je tombe sur un document qui remet tout en cause ! » — C'est le risque de toute recherche ! Isaac Newton lui-même a dû se prendre un sacré coup au moral lorsqu'il a constaté, impuissant, le changement de paradigme initié par la Relativité générale... À moins que Newton ne fût déjà mort à ce moment ? C'était avant ou après cette ridicule histoire de pomme ? Si ce n'est pour la célèbre bataille de Marignan (le 6 juin 1944), j'avoue que je n'ai jamais été très bon en datation !

Le summum de la vulgarité et du machisme au Quick des Guillemins en cette fin d'après-midi. Rejetant son hamburger : « Ça fait trop longtemps qu'il est là, p'tain. Tu m'en fais un autre, maintenant ! » (Le s'il vous plaît est en option ?) « J'en ai rien à foutre que t'es étudiante. J'en veux pas, de ton hamburger pourri ! » La responsable arrive : « Il peut rester là pendant quinze minutes, Monsieur. C'est la règle. Et vous nous parlez sur un autre ton, s'il vous plaît... » « Tu me rembourses, maintenant ! », puis, se sentant dans son bon droit : « Je t'ai parlé gentiment, et tu m'agresses. C'est quoi ton problème, la meuf ? » — C'eût été tellement plus simple de demander un autre hamburger poliment, sans aucun rapport de force... Un quart d'heure plus tard, j'en tremble encore d'indignation.

La première classe au fond du train est déclassée ! L'occasion pour moi de tester le confort de ce compartiment traditionnellement et malheureusement ! réservé aux patriciens. Mais je ne me sens pas à l'aise... J'ai l'impression d'usurper un rôle et, lorsque je vois des navetteurs traverser le wagon désert, je crains qu'ils n'aient pas vu le changement de statut et qu'ils me prennent pour un horrible bourgeois acariâtre. — C'est incroyable, cette conscience de classe qui me poursuit : alors qu'au milieu d'un piquet de grève, je me lierais sans doute très rapidement d'amitié avec tout le monde, ici, j'ai l'impression de ne pas être à ma place.

(Il s'agit d'une simplification de la réalité car le problème est plutôt que je ne me sens à ma place nulle part.)

Pas question de sortir ce soir : les supporters sont, eux, de sortie. J'ai d'ailleurs croisé, en guise d'apéritif, quelques spécimens dans le train, au front marqué d'un « España » rouge sang. (De l'avantage d'avoir une première classe déclassée.)

Un petit tremblement de terre dans le monde de la musique expérimentale : la sortie, ce 18 juin, des Lost Tapes de CAN. Et, non, ce ne sont pas quelques rebuts inintéressants du plus grand groupe de rock de tous les temps mais bien un coffret de 3 CD remplis de perles, découvertes on croit rêver ! — lors du démantèlement de leur ancien studio à Weilerswist... On y retrouve le son caractéristique du groupe (dont la fantastique batterie métronomique du grand Jaki Liebezeit) ainsi que des variations, lives, jam sessions et autres improvisations qui rappellent entre autres la période Tago Mago. — Il faut m'imaginer, dans le train, les yeux grand ouverts (ça n'aide pourtant pas à mieux entendre), découvrant pour la première fois tous ces morceaux inconnus. (Je vais l'écouter en boucle pendant quelques semaines puis j'en ferai peut-être un compte rendu.)

Ce fut long, mais j'y suis arrivé : mon journal est à nouveau parfaitement à jour. — Un nouvel espace de liberté s'offre à moi... pendant quelques heures, tout au moins !

mardi 26 juin 2012

17§

Liège

Quand je vois les jeunes cadres dynamiques au sourire « Colgate » qui posent sur les brochures promotionnelles des centrales syndicales socialistes, j'ai envie de hurler aux responsables de ces abominations : « Arrêtez vos plans de communication foireux et revenez à l'essentiel ! »

L'essentiel : un modèle de société et non une image consensuelle.

« Mais tout cela est dépassé, mon vieux ! Sois "dans le vent" et change de disque ! » — Je changerai de disque lorsque toi-même, tu auras changé de disque ! (Le discours de la droite ne change pas... Pourquoi celui de la gauche devrait-il changer ?)

Quel dommage de dépenser tout son talent pour rentrer dans les rangs !

Si tout le monde est d'accord avec un discours donné, alors ce discours ne vaut rien. — Si tu ne rencontres pas de forte opposition, change de discours.

« Il faut se recentrer sur l'humain » : une écrasante majorité sera d'accord avec cette affirmation. C'est la raison pour laquelle dire cela, c'est ne pas dire grand-chose.

Un paradoxe : il est fichtrement possible que tout ce que j'ai écrit ci-dessus soit aussi de l'ordre du consensus.

Les propagandistes, de gauche comme de droite, ont très bien compris que pour rendre acceptable par le plus grand nombre un système idéologique, il faut éviter à tout prix d'aborder l'idéologie elle-même et la contourner à l'aide de maximes percutantes. « Vous êtes pour la liberté ? Alors vous ne pouvez pas être contre le capitalisme ! » : ça ne veut rien dire, mais ça passe mieux que de décrire, même simplement, tout le système sous-jacent.

J'ai écrit précédemment que je ne la reverrais plus jamais, mais elle réapparaît comme par enchantement dans mon bureau, « pour remettre en place les photos »... Elle me parle avec enthousiasme de sa fête de quartier dans les cantons de l'Est, de sa délibération, etc. Je suis sûr qu'extérieurement, je semble à l'aise, voire même carrément normal. (Intérieurement par contre...)

« Nous faisons un bowling après le travail la semaine prochaine... Veux-tu te joindre à nous ? »

A-t-on idée de mettre des tranches de concombre dans un hamburger ?

Bruxelles

Léandra : « Mon comportement ne semble pas coïncider avec mes objectifs. » Trois possibilités : A) les objectifs ne sont pas bons ; B) le comportement n'est pas bon ; C) tout est bon mais la chance n'est pas au rendez-vous. Changer les objectifs, c'est de la résignation. Changer le comportement, c'est la plus difficile des luttes. Penser que c'est une question de malchance, c'est être aussi fataliste que moi (et je REFUSE que mes meilleurs amis soient entraînés sur cette pente insensée). — Réponse B, et c'est mon dernier mot !

Dans une galerie, Jonas s'arrête par hasard devant un beau manteau. 170 euros. Il n'a jamais eu l'intention de l'acheter, mais le vendeur se montre aussi insistant que l'horripilant Stan de la série des Monkey Island : il descend le prix à 150, 120, 100, puis 50 euros ! Jonas refuse encore et toujours. — Moi : « C'est un comportement louable ! » Elle : « C'est un comportement ridicule, oui ! Il ne se laisse jamais surprendre par la vie ! »

« Il est bon que je ne me laisse pas influencer ! », écrivait l'autre. Léandra, comme d'habitude, ne serait pas d'accord avec un tel raisonnement.

Léandra : « Si je disparaissais, quelle serait ta réaction ? » — Je remuerais ciel et terre pour tenter de te retrouver ! Et j'essayerais aussi de garder tout mon sang-froid afin d'être le plus efficace possible dans la traque qui s'annonce.

Une belle idée : je disparais mystérieusement de la circulation. Cependant, amis et famille sont très vite rassurés car, bien que ne sachant pas le moins du monde où je me trouve, ils se rendent compte que mon blog continue d'être alimenté quotidiennement.

Léandra : « Tu écrirais que tu es enfin libre, débarrassé de toutes ces relations futiles ! » — De quelles relations parle-t-elle donc ?

lundi 25 juin 2012

17§

Être d'humeur triste et boire plus que de raison : un début de solution à mes problèmes d'écriture.

La mélancolie permet d'observer très précisément les bubons qui entachent la personnalité des autres. Mais elle donne par la même occasion un aperçu tout aussi saisissant de mes propres tumeurs.

Quand je suis mélancolique, je vois l'inanité de tout ce qui est entrepris, tant par les autres que par moi-même, et j'en suis triste. — Cette tristesse face à la vanité de toute entreprise constitue la seule opposition entre mes sursauts de mélancolie et mes fugaces instants de bonheur.

Autrement dit : quand je suis heureux, j'aperçois tout aussi bien l'inanité de l'existence, mais plutôt que de m'en démonter, j'en ris de bon cœur.

Sur le chemin du boulot, une étudiante marche devant moi. Son sac à dos volutes rouges sur fond rouge contraste avec son long manteau volutes grises sur fond gris. En la doublant, je m'aperçois qu'elle lit un roman... d'Agatha Christie !

Pour atteindre mon clavier d'ordinateur, je dois d'abord repousser le tas informe de livres, revues, feuilles volantes et post-it qui recouvre mon bureau. — Rien à faire : c'est dans ce pitoyable bordel que je suis le plus efficace. (L'exact inverse d'Hercule Poirot !)

Efficacité : un mot à bannir du monde du travail ! (Voire du monde tout court.) Seule compte la création, mais va dire pareille chose à un chef d'entreprise ! (Voire à un chef tout court.)

Wynka : « Le dernier courriel qu'il m'a envoyé me laisse penser qu'il est en dépression : il critique tout et se dit très déçu par nos comportements. » Je lui réponds : « Se complaire dans la tristesse et la critique de son environnement peut être une manière de vivre très satisfaisante. C'est l'occasion de se démarquer... » Et je conclus, tout souriant, par : « J'en sais d'ailleurs quelque chose. »

Je déboule dans la salle de lecture : « Alors, où se trouve-t-il, son texte ? » — Eh bien, il ne se trouve nulle part ! Elle n'a fait que compiler des informations et n'a encore rien écrit. Et moi, que fais-je avec ces données disparates ? (Tu devrais être content : paraît que t'aimes bien ça, les « données disparates »...)

Je commande une pizza à livrer à l'avenue Montesquieu. À l'autre bout du fil, la dame formule son éternelle question : « Vous pourriez m'épeler "Montesquieu" ? » « "Monte" comme "Monte" puis S-Q-U-I-E-U... C'est un philosophe français du XVIIIe siècle... L'auteur de De l'esprit des lois... » Gros silence puis : « Votre pizza arrivera dans une demi-heure environ ! »

« Certaines personnes écrivent mieux que d'autres. » Wynka : « Tout cela est subjectif. » Moi : « Non, ce n'est pas le moins du monde subjectif. Certaines personnes écrivent mieux que d'autres. »

Yama compare le football au scoutisme : tous rassemblés autour d'un totem, qu'ils défendent bec et ongles. C'est bien vu : unis dans le football/le scoutisme, mais différents par l'appartenance à une équipe/un totem...

« De mon côté, j'aurais plutôt tendance à comparer un match de foot à un concert de U2 » : même émotion commune de la foule, grands élans fédérateurs... Scouts, supporters et fans de U2 partagent indubitablement un air de famille.

Arcade Fire : je pourrais pondre un article entier sur ce groupe. Mais je pourrais tout aussi bien résumer mon opinion en deux mots : monstruosité criarde.

« Il ne t'apprendra rien, si ce n'est à penser autrement ! » — Et tout bien réfléchi, c'est le plus grand des apprentissages.

C'est solide, c'est noir, c'est mat et ça refuse presque toute évolution en termes de design et de forme. C'est un ThinkPad.

L'idée que je puisse continuer à écrire le présent journal à raison d'un article par jour jusqu'à ce que je meure (ou à tout le moins jusqu'à ce que j'en aie la possibilité intellectuelle et physique) exerce sur moi une certaine fascination — et une terrible angoisse aussi !

dimanche 24 juin 2012

Les petits paragraphes dominicaux (7)

La falaise. — Sur le profil Twitter de Léandra, un lien vers une récente interview, réalisée à la veille du sommet Rio+20, du physicien Dennis Meadows, membre honoraire du Club de Rome et militant environnementaliste... Il y critique de façon cinglante la raison d'être d'un tel sommet mondial et, quarante ans après le rapport sur les limites de la croissance (1972) auquel il a participé, considère que l'humanité court vers la catastrophe : « On me parle souvent de l'image d'une voiture folle qui foncerait dans un mur. Du coup, les gens se demandent si nous allons appuyer sur la pédale de frein à temps. Pour moi, nous sommes à bord d’une voiture qui s'est déjà jetée de la falaise et je pense que, dans une telle situation, les freins sont inutiles. Le déclin est inévitable. » (Encore un joyeux !)

L'appartement. — « Pourquoi n'achètes-tu pas un appartement plutôt que d'en louer un qui ne t'appartient pas ? » Je ne comprends pas cette question. Car l'appartement dans lequel je vis actuellement m'appartient au même titre que si je l'avais acheté. C'est mon appartement, celui dans lequel je vis pour le moment. Quelle importance (bordel de merde) que dans un avenir plus ou moins proche, il ne sera plus mon appartement ? Quoi que je fasse, que je l'achète ou que je ne l'achète pas, il ne sera de toute façon plus mon appartement un jour ou l'autre. À quoi bon thésauriser, thésauriser, thésauriser ? Tout ce que je thésaurise ne me sera d'aucune utilité dans la tombe. (Il y a sans doute moyen de creuser cette idée, notamment sur la question de la propriété visuelle/sensorielle d'un bien ou d'un lieu à un moment donné de mon existence.)

Adelita. — « On a pendu tous les notaires, les curés et les propriétaires... Et pendant qu'ils agonisaient, nous autres on dansait, on chantait ! » Qui déballe cette joyeuse mélodie en l'honneur de Pancho Villa et de la révolution mexicaine ? Julien Clerc, pardi ! (Album Niagara, 1971.) Étienne Roda-Gil, son parolier d'alors, était du genre rêveur et anarchiste. Bon dieu, il faut réécouter les premiers albums de ce chanteur, qui font référence à la révolution, aux Républicains espagnols et à la liberté ! Ses autres chansons — « Yann et les Dauphins », « Ivanovitch », « Zucayan », « Sertao »... —, en plus de me rappeler mon enfance, sont des voyages en terre inconnue à elles seules ! « Tout seul, je suis resté parmi les Indiens bleus, les lianes enchevêtrées et les anciennes mines... » : en voilà de sacrées paroles ! (Non, non, je n'ai pas d'actions chez EMI...)

« Nous » suspect. — Les Belges raillent les mauvais résultats des Bleus au Championnat d'Europe de football et beaucoup de Français prennent assez mal la moquerie, répondant que les premiers, au vu de l'état lamentable de leur propre équipe nationale, feraient bien de la fermer. Dans les deux cas, Belges et Français se comportent comme si les gens étaient responsables des résultats des quelques joueurs qui composent l'équipe de leur pays. Et pourtant, cela sort complètement de leur domaine de compétence : un supporter (à l'exception peut-être de celui qui se trouve directement dans le stade, et encore !) ne peut adopter qu'une attitude passive et fataliste ; se dire qu'il n'a aucune prise sur le match qui est en train de se dérouler devant ses yeux. Dans pareil cas, c'est donc le « nous » qui me paraît suspect : « Nous vous avons battus à plate couture ce soir les gars ! » Mais non ! Personne n'a battu personne : cela ne concerne qu'une vingtaine d'humains sur un terrain. — Il y a là, je trouve, une nette ressemblance avec le patriotisme en temps de guerre.

Chuck Norris regarde passer les trains. — Tony, rencontré par hasard sur le quai de la gare de Charleroi-Sud : « Je suis très énervé », me lâche-t-il le plus calmement du monde. « Ha bon ? Ça ne se voit pas du tout », lui réponds-je. Et il me raconte : « Dans le train Couvin-Charleroi, j'ai vu un gars pointer une carabine sur le train. Un barakie du genre à vouloir faire justice lui-même... Chuck Norris mais en beaucoup plus large du bide... Je suis allé voir le contrôleur et tout ce qu'il m'a répliqué d'une voix indolente, c'est : "Ha bon ? Ce serait bien la première fois que ça arrive..." »

La politique vue par Tony. — Dans le train vers la capitale, il m'explique : « La politique aujourd'hui, c'est juste essayer de savoir ce que l'électorat a envie d'entendre et le restituer plus ou moins tel quel : "Allons bon, qu'est-ce qu'un électeur de gauche aimerait bien nous entendre dire ? Oh bah on va mettre le mot solidarité quelque part, ça sonne bien ça, solidarité... Et puis on va se prononcer pour l'euthanasie et le mariage homosexuel... Ce sont des thèmes de gauche et c'est une simple loi à changer, ça ne coûte pas beaucoup de pognon..." »

Le nouvel amour de Tony. — Dans la station de métro : « J'ai une nouvelle compagne, mon vieux, tout le contraire de l'autre ! En fait, ça faisait des mois que je la voyais en tant que simple copine, mais j'étais un peu mal à l'aise avec elle... Elle m'évitait... Chaque fois que je lui parlais, elle me disait : "Faut que j'y aille !" J'ai compris plus tard que c'était parce qu'il y avait quelque chose : on était tous les deux attirés l'un par l'autre... Un jour, elle sortait ses poubelles et je lui ai juste proposé d'aller manger au restaurant le lendemain... Et voilà, quoi... On s'est embrassés... Et puis, directement après la chose, elle m'a dit qu'elle devait rentrer chez elle, et je me suis demandé pendant une journée si c'était fini, si elle voulait simplement qu'on s'embrasse une fois comme ça... Mais non ! Voilà... »

Aphorismes.Pourquoi suis-je plus à l'aise devant ces courts paragraphes qu'en compagnie d'un long texte suivi ? Parce que j'ai l'impression, en écrivant de la sorte, d'être beaucoup moins artificiel que d'habitude... Je m'oblige à traiter d'un sujet en quelques lignes et c'est sans doute ce que je peux faire de mieux...  En philosophie, les aphorismes sont légion et je crois en comprendre la raison : ils constituent les meilleures armes pour décrire des pans du réel... Considérer la réalité comme un amalgame de petites pièces qui s'ajoutent et qui finissent par entrer en relation les unes avec les autres, cela peut avoir plus de gueule que les grandes synthèses globalisantes.

samedi 23 juin 2012

Les plus belles moustaches de Londres sont belges

« Dès que j'ai appris votre arrivée, je me suis dit : il va sûrement se passer quelque chose. Comme autrefois, nous allons faire ensemble la chasse au malfaiteur. Mais nous ne nous contenterons point d'un crime ordinaire. Il nous faut quelque chose de rare... de recherché... de fin... » (Hercule Poirot*)
Sur environ une planche et demie de la bibliothèque familiale, s'étale dans toute sa splendeur — à l'exception de quelques titres prêtés par ma mère à de rares amies disparues qui ne les ont jamais restitués — la collection complète de l'œuvre d'Agatha Christie... Et c'est presque devenu un pèlerinage pour moi, quand je suis de retour chez mes parents, de relire l'un ou l'autre roman parmi mes favoris... Ce que j'adore par-dessus tout chez cette auteur, ce n'est certes pas sa plume (assez banale), ni l'ambiance bourgeoise et distinguée qui se dégage de ses écrits, mais bien sa manière de surprendre le lecteur, autrement dit son art de la chute... On pourrait dire d'Agatha Christie — comparaison osée ! — qu'elle est l'Isaac Asimov du roman policier : peu importe le style ; ce qui compte, c'est le déroulement tarabiscoté mais néanmoins logique de l'histoire, jusqu'à la résolution finale, qui constitue une sorte d'éloge de la raison. Ceci étant dit, il serait plus sensé d'affirmer l'inverse, à savoir qu'Asimov est l'Agatha Christie de la science-fiction.**

Cet art de la chute, elle le travaille dans de nombreux romans, de façon sans cesse renouvelée. Elle pousse même parfois le vice jusqu'à manipuler le lecteur à l'aide de la narration elle-même, comme dans Le Meurtre de Roger Ackroyd (1926), une histoire dans laquelle l'assassin n'est autre que... le narrateur lui-même ! (Bougre d'idiot que je suis ! Je viens de laisser échapper un énorme spoiler... — Pas grave : on va dire que mon rare mais néanmoins fidèle [?] lectorat y est habitué désormais.)

Ce samedi, j'ai relu un de mes préférés : ABC contre Poirot (The A.B.C. Murders, 1936). Là encore, la machiavélique Agatha utilise la narration pour nous induire en erreur avec majesté. Elle intègre dans un récit à la première personne de courts chapitres décrivant, d'un point de vue extérieur (à la troisième personne donc), la vie d'un personnage au nom ridicule, Alexandre-Bonaparte Cust (ABC), qui possède la curieuse et récurrente manie de se retrouver à chaque fois « là où ça chauffe », pas loin de scènes de meurtre qui ont pour unique point commun un guide de chemin de fer ABC déposé à côté de la victime... Heureusement, Hercule Poirot et son esprit analytique sont là pour séparer la vérité du mensonge ; pour extirper, sans déformation aucune, les faits à partir des fausses pistes laissées sans vergogne par le meurtrier.

Hercule Poirot... Le détective qui passe sa retraite en Angleterre... Fier, orgueilleux, la moustache noire impeccablement lustrée... Extrêmement confiant envers ses capacités intellectuelles, qui sont exceptionnelles à tout point de vue il est vrai (au moins, il ne s'agit pas d'un faux modeste)... Poirot déteste parler d'intuition : tout, pour lui, est affaire d'analyse et d'expérience, qui ne sont possibles qu'au travers d'un esprit sain et rangé. Maniaque à l'extrême, il déteste tout ce qui est de travers, qui n'est pas parfaitement droit et aligné... Il classe ses dossiers et ses fiches avec une méticulosité qui frôle le trouble obsessionnel compulsif... Et mieux (ou pire ?) que tout il est Belge, et se montre extrêmement vexé quand on le confond avec un Français !

L'influence d'Agatha Christie est énorme aujourd'hui encore, jusque dans les séries policières (plus ou moins) actuelles. Par exemple, quand je regarde un épisode de Monk, je ne peux m'empêcher de voir à chaque instant un Hercule Poirot dont un malin génie aurait enlevé la confiance mais laissé l'esprit d'analyse. Dans un registre plus éloigné, je retrouve chez le lieutenant Columbo des caractéristiques du grand Hercule (oui, oui !), particulièrement celle qui consiste à prendre sa revanche sur ces vantards qui le prennent pour un sot. Un exemple ? Poirot : « Vous vous flattez de votre supériorité d'insulaire. Quant à moi, je considère que votre crime est indigne d'un Anglais, il est bas et n'a rien de sportif... » Columbo : « Affaire toute simple, je vous le répète. Je ne suis pas plus intelligent qu'un autre, Monsieur. Mais je peux dire que vous, en revanche, vous m'avez déçu par votre amateurisme, en laissant derrière vous des indices de toutes sortes, à la pelle : le mobile, l'opportunité... Et pour un homme de votre intelligence, Monsieur, vous vous êtes empêtré jusqu'au cou dans vos mensonges. Une vraie désolation ! » (Jeu de mots/How to Dial a Murder, 1978***).

À personnage extraordinaire, acteur extraordinaire... Comment ne pas mentionner ici celui qui a incarné à la perfection le plus grand des détectives belges de fiction ? Son nom : David Suchet, dans la récente série Agatha Christie's Poirot. Hercule Poirot, désormais, c'est lui, et lui seul ! Rarement un acteur de série a collé à ce point à un personnage de roman. La moustache, l'accent, la méticulosité, l'air précieux, le regard vif, l'humour acerbe, tout y est !

Il classe les livres, aligne les décorations et vérifie la 
verticalité d'un cadre... Et en plus, la scène est drôle !

La série est devenue tellement culte que le non moins génial duo comique britannique Mitchell and Webb lui a consacré un pastiche haut en couleur... (Ils sont très forts aussi, ceux-là, en matière d'imitation !)

« My god, Poirot! She's doing the evil voice! »
________________________________
* Les quelques citations de Poirot reprises dans cet article sont toutes issues du même roman d'Agatha Christie, ABC contre Poirot, 1936.
** Il existe une kyrielle d'auteurs de S.-F. qui ont été, à un moment ou à un autre, comparés à des auteurs « classiques » : Frank Herbert/Léon Tolstoï, John Brunner/John Dos Passos, etc. 
*** La référence à Rosebud, c'est dans celui-là !

vendredi 22 juin 2012

Le pigeon magique, la licorne et le poney

Rêve coloré. — Je ne me souviens que d'un très court extrait, en rapport avec la couleur qu'un peintre aurait découverte : un bleu indigo (le bleu Klein ?) qui aurait une signification bien précise... Pour la comprendre, je lis la légende de l'œuvre et j'y découvre la mention suivante : « Adieu ! ». Rien de cauchemardesque dans ce rêve, et pourtant au réveil je suis dans un état de confusion qui me suivra toute la journée. (Mais sans doute cet état n'est-il pas spécialement lié à ce rêve-là en particulier.)

Prout-prout. — Avant ce vendredi midi, je n'avais jamais mis les pieds aux « Nourritures terrestres », pourtant situées en plein centre du Parvis de Saint-Gilles. Aujourd'hui, je me retrouve en compagnie de Léandra au comptoir de ce snack/restaurant, à parcourir un tableau presque entièrement rempli de plats végétariens. Trois femmes très « prout-prout » nous doublent pour commander, sans remarquer que nous étions avant elles dans la file (sans nous remarquer tout court, en fait) : « Euh... Voui, voui... Un instant... Je vais choisir mon plat... Mais qu'est-ce donc que cet étrange mot, "Falafel", sur votre carteuh ? » 

Je lance à Léandra : « Tu n'aurais pas une hache ? Ou alors une batte de baseball ? » Mon amie me répond tout haut (elle adore se comporter de cette manière, afin que les impolies l'entendent distinctement) : « Oui, je sais, elles sont passées DEVANT NOUS et en plus, elles prennent DU TEMPS pour commander... » Les trois sans-gênes reparties à leur table, nous commandons en vitesse deux couscous falafel, une eau pétillante et une Guldenberg. La dame au comptoir nous lâche un : « Ha, vous au moins vous savez ce que vous voulez ! »

Le couscous était froid mais néanmoins bon. Par contre, j'ai l'impression que la clientèle est encore plus « bobo végétarienne moralisatrice » que partout ailleurs dans le quartier... En m'embusquant dans un coin sans bouger, tel le chasseur à l'affût, je suis presque certain que je pourrais capter le discours suivant : « J'ai conscience de mes limites, moi, t'vois... Je ne mange pas de viande parce que ça a un effet néfaste sur mon empreinte écologique... En juillet, Ingrid et moi partons visiter l'Australie en 4x4, en dehors des sentiers battus... On va rencontrer des Aborigènes, de vrais humains en contact avec la nature, tout ça, t'vois, et ça va nous changer de l'Europe et de son monde de consommation factice, carrément ouais ! » — J'en serais presque à regretter ma petite Maison du Peuple et ses bobos old school !

Les monologues ferroviaires de Gaëlle. — (Ces trois monologues ont été enregistrés et donc retranscrits avec le moins de distorsion possible.)

« (Partiellement chanté) Un petit lutin faisait du caca... Et son caca était très bien... Mais le petit lutin avait une petite diarrhée. Il est allé chercher un sorcier, qui pouvait enlever la diarrhée. Et le sorcier lui a enlevé la diarrhée... Il était très heureux et il trouva une femme. Mais la femme ne voulait pas de lui... Il était très triste... Alors il a trouvé son cousin qui avait une femme lui aussi, mais qui n'avait pas encore adopté... Mais qui a un chat par contre. Et le chat, il a adopté une chatte. Mais alors, un chat, ça adopte une chatte comment ? Eh ben le petit lutin disa [sic] : "On n'a qu'à faire comme les chats... Les chats, ils adoptent les femmes, alors nous on va faire la même chose ! On va adopter la femme comme le chat le fait !" Mais, attends, si tu demandes la question : "Comment il peut adopter une chatte ?", mais alors comment on peut faire ce qu'eux ils disent ? Mais le truc, c'est ça : comment on peut adopter une chatte, c'est ça le truc... Ben alors, il dit : "On ne peut toujours pas adopter une chatte"... Mais les chats, pour adopter une fille, eh bien ça fait ça : ça fait semblant de rien et c'est la fille qui décide, c'est la fille qui tombe amoureuse de l'homme, et alors l'homme, enfin, il a sa fille... Et ils vécurent beaucoup d'enfants. »

« (Entièrement chanté) As-tu vu la vache, la vache aux yeux bleus ? Toujours à la tâche, elle faisait "Meuh ! Meuh !" Avec sa p'tite queue nature, elle euh... en faisait un plumet [sic]... Elle battait la mesure pendant que les oiseaux chantaient. Tous les bœufs, tous les bœufs, tous les bœufs aimaient la vache, mais la vache, mais la vache n'en aimait aucun d'eux. Elle aimait un taureau — Olé ! — qu'elle avait vu à Bilbao, à la foire aux bestiaux ! Qu'il était beau, qu'il était fort, c'était un vrai taureau costaud ! Mais elle pleurait, la vache, après son bien-aimé, qui était décédé... À la riri, à la dada, à la corrida — Olé ! »

« Pour inventer un dessin animé, moi, j'ai inventé un personnage... Je l'ai dessiné sur une feuille de méchants, avec plein de méchants. C'était un renard, un héros, qui lançait des flèches de feu. Il était vraiment courageux. Il y avait plein d'autres gens qui lui lançaient des flèches de feu, des filets pour l'attraper. Ils voulaient le faire mourir et le remplacer... Comme ça, c'est eux les héros. Eh ben, alors, pour ça, ils ont besoin d'aide, alors ils vont appeler l'oiseau, le pigeon magique, la licorne et le poney, mais ils croivent [sic] que quand on est plusieurs, on peut très bien gagner, mais ce n'est pas la vérité. Lui, il a gagné le combat tout seul... »

jeudi 21 juin 2012

Lames acérées

Un peu de rêve dans ce monde de brutes, bordel ! — J'imagine un joli gazon sur lequel gambadent gentiment de jeunes sportifs, poursuivant une sphère avec pour objectif ultime de la placer à l'intérieur d'un parallélépipède rectangle. (Somme toute, ce n'est pas plus con que de vouloir faire en sorte qu'un volant en plume touche un espace parfaitement délimité situé derrière un filet...)

Dans mon rêve éveillé, il y aurait des pâquerettes, des oiseaux gazouillant sous le soleil, mais aussi des concepteurs sadiques, spécialisés dans la réalisation de lames en acier extrêmement tranchantes qui s'actionneraient automatiquement au passage de toute personne courant sur le susdit gazon, grâce à un système composé de cellules photoélectriques très sensibles et de vérins hydrauliques dernier cri.

« Il reprend le ballon ! Quelle occasion ! Il peut marQUER ! IL SE RAPPROCHE DU BUT ! OH, mais il s'est lui aussi fait faucher par ces curieuses lames acérées sortant du sol !... Quel malheur ! Du sang gicle jusque dans les gradins... C'est incroyable ! Le match continue... L'arbitre ne siffle pas la faute... Le second attaquant récupère le ballon, il prend le dessus sur le défenseur... Une occasion rêvée se présENTE À NOUVEAU, IL TIRE et... Mon dieu, c'est incroyable ! Il est également déchiqueté par les piques meurtrières ! »

La dame de Haute-Savoie. — Au retour du boulot, à la gare du Midi, j'effectue une partie du trajet avec Epiphany. « Mais au fait, me demande-t-elle, tu fais quoi comme travail exactement ?
— Euh... Eh bien, on est une petite équipe, donc je fais beaucoup de choses...
— C'est-à-dire ?
(C'est toujours aussi difficile d'expliquer ce que je fais dans la vie, en grande partie parce que je considère que tout cela n'a pas beaucoup d'intérêt, à tout le moins pour les autres.)
— Là, je fais de la recherche, en quelque sorte, mais parfois, je suis dans l'archivistique... Et quand j'ai été engagé, je me suis occupé du site Web de l'institution...
— Ha oui, moi aussi, je me suis occupée du premier site Web à mon boulot... »
Epiphany m'explique qu'elle a fait ses études en France dans le domaine des sciences et technologies de l'information et de la communication. Je le savais déjà mais, dans un détestable accès de malhonnêteté, je fais semblant de le découvrir.

« Tu viens d'où en France ?
De Haute-Savoie.
— Et tu comptes rester en Belgique ?
— Non... Rien ne presse, mais je pense que je vais retourner dans ma région, un de ces jours... 
— C'est plus joli, la Haute-Savoie, hein ?
— Oui et en plus, ici, il n'arrête pas de pleuvoir ! Ça ne donne pas envie de rester...
— Il faut sans doute être né en Belgique pour supporter ce climat...
(Hamilton est en mode « J'énonce des banalités »...)
— Oui, sans doute ! Cela dit, trouver un boulot comme celui que j'ai actuellement à Liège, ce ne sera pas facile là-bas, à mon avis...
— Bah !
— C'est quand même vachement paumé, tu sais !
— Oui, mais aujourd'hui, le monde est information ! Tu pourras donc toujours trouver un travail dans ce domaine... »
(... et il continue en plus !)

Écran géant. Ils ont aussi installé un écran géant dans la salle principale du Potemkine ! Je suis maudit, maudit, maudit... Je m'installe avec le petit ordinateur (et son clavier de secours) en hauteur, dans les coursives. J'écris l'un ou l'autre paragraphe, sans vraiment arriver à me concentrer. La chaleur des spots est accablante, le public commence à remplir tout l'espace du café... Je me dis que l'horrible vision des supporters en rut est sur le point de (re)commencer et je préfère donc rentrer tranquillement chez moi. Tout au plus entendrai-je quelques klaxons à travers le double vitrage de ma chambre (rien de bien méchant donc).

mercredi 20 juin 2012

Campements de Nains scouts

Dans le train de retour vers Bruxelles, Flippo me propose de passer à son appartement : « Amy a prévu une petite soirée "Jeux de société"... » Il téléphone tout de même à Zapata pour s'assurer que ma présence ne pose pas de problème, qu'il y a assez de nourriture pour tout le monde... J'écoute Flippo répondre à Zapata : « Comment ça "Quel Hamilton ?"... Ben Hamilton Evenvel, tiens ! Tu croyais que j'allais inviter Hamilton McGian ? » Il raccroche : « J'ai pas tout pigé à ce qu'il me racontait... »

De retour chez lui, Flippo s'installe dans son fauteuil pour jouer à Assassin's Creed sur PS3. Zapata s'en va chez Pietro pour régler une sombre histoire de site Web. Pour patienter, je lis les règles de Small World, un jeu de société signé Days of Wonder... Bastien m'explique brièvement le concept : « Ce qui est marrant avec ce jeu, ce sont les nombreuses combinaisons possibles : un peuple se combine avec un pouvoir spécial, ce qui fait de chaque partie une partie différente...
— Punaise, tu le vends bien, ce jeu...
— C'est normal, c'est mon boulot... Je le vends à la boutique, à mon travail !
— Et ça fonctionne comment ?
— Ben par exemple, là, je prends au hasard une peuplade, celle des Nains en l'occurrence, et je l'associe à un pouvoir spécial... Euh... Ha ben ça, c'est amusant, tiens ! Un Nain scout ! Amy, t'as vu ? C'est dingue, j'explique le jeu à Hamilton, et par hasard on tombe sur un scout ! »
(Je suis mort de rire.)

Amy est en train de préparer une tarte aux trois tomates et à la ciboulette. Dans la cuisine suite logique de la conversation sur le Nain scout , elle me parle de sa détestation pour les mouvements de jeunesse et, de manière générale, pour tout ce qui ressemble de près ou de loin à une organisation hiérarchique, avec ses donneurs d'ordres et ceux qui doivent les suivre : « Mes parents ont essayé de m'y envoyer, un été. Dès le premier jour, à mon retour, ils ont compris que ce n'était pas une bonne idée, et je n'y suis plus jamais retournée... »

Nous jouons une partie de Small World... Un jeu bien sympathique mais au plateau fort confus, constitué de territoires aux frontières sinueuses : des montagnes, des collines, des champs, des forêts... Selon certaines modalités, ces territoires donnent un ou plusieurs points de victoire au joueur qui les détient. La progression territoriale ressemble un peu à celle du jeu Risk, sauf qu'ici les simples troupes sont remplacées par des peuplades possédant chacune des caractéristiques propres (par exemple, les scouts sont capables d'établir un campement pour augmenter la défense de leur territoire saloperie de scouts !). Autre mécanisme original : chaque joueur a la possibilité à chaque instant d'abandonner sa peuplade active (la « mettre en déclin ») lorsqu'il se rend compte qu'il a atteint l'apogée de sa puissance et qu'il ne peut plus en tirer grand chose...

Flippo ne parle presque pas durant la partie. Est-il fatigué ? Est-il concentré ? « Un peu des deux. » La concentration donne ses fruits : il sortira vainqueur du choc des civilisations. Au moment de sa victoire, il est pas loin de minuit. Le temps pour moi de rentrer au bercail... Demain, métro, boulot, etc.

mardi 19 juin 2012

Tagada tsoin tsoin !

Avignon, nous voilà ! — Un délire que je développe en ce moment avec ma collègue Sylvette, durant les pauses café et les temps de midi au boulot : compte tenu de ma capacité naturelle à faire rire les gens (souvent sans le vouloir, il est vrai), elle et moi irions participer au 66e Festival d'Avignon (fondé par Jean Vilar s'il vous plaît !). 

Je serais seul à l'avant de la scène, à balancer mes jeux de mots tellement drôles qu'ils font rire une fois sur quatre une personne et demie (soit 0,375 personne en moyenne tout de même). Sylvette se situerait un peu en retrait et s'occuperait du petit rythme de batterie qui accompagne chaque chute. Clou du spectacle : nous placerions notre ancien collègue Aurèle dans le public afin d'augmenter l'intensité des rires... Car Aurèle rigolait à chacune de mes blagues, voire même à chacune de mes phrases... Je n'ai jamais compris pourquoi... Peut-être, tout bien réfléchi, se foutait-il de ma gueule ?

Sur scène...
Hamilton : « L'étudiant a mal fait son travail de fin d'étude sur la houille. Lors de sa défense, il se dira sans doute : "Ouille !" »
Sylvette : « Tchic, tchic, tchic, boum ! Tagada tsoin tsoin ! »
Aurèle : « Hahahahaha ! »
(Un plan à devenir millionnaire, ça...)

Un adieu. Je n'ai jamais vu une personne aussi stressée avant sa défense de mémoire... Pourtant, à l'université, j'ai observé un jour Pat courir en rond dans les couloirs de la section d'histoire (le fameux cinquième étage qui se trouve en réalité au deuxième) avant ce bête examen de critique de textes médiévaux qu'il a pourtant réussi avec brio. (Avec qui ? Tchic, tchic, tchic, boum ! Tagada tsoin tsoin !Hahahahaha !)

Cette fille n'arrive pas à « gérer son stress » je hais cette expression !, à cacher quoi que ce soit... C'est justement cet aspect de sa personnalité qui la rend craquante... Son côté très naturel en quelque sorte...

Elle revient après sa défense, sautant dans tous les sens, exultant de bonheur. Elle a fait 85%. Elle enlace chaleureusement ma collègue Wynka et fait de même avec moi. Elle nous dit au revoir, « à la prochaine peut-être », avec son joli accent allemand...

Je ne la reverrai plus jamais !

lundi 18 juin 2012

Manteau à capuche

Radja River. — Lorsque je me lève ce matin, la pluie claque tellement fort aux carreaux que je prends la décision — paradoxale quand on connaît mes opinions à ce sujet — de tout de même me vêtir d'un manteau à capuche. Hé oui ! Encore un exemple flagrant de remise en cause de mes principes à des fins bassement pragmatiques !

Gare du Midi. L'escalator qui mène aux quais est couvert, mais il pleut tellement dehors qu'une cascade d'eau sale ruisselle depuis le toit. La dame devant moi ouvre un parapluie pour éviter de se prendre toute cette eau en pleine tronche... C'est comique à voir et j'ai l'impression d'être dans un parc d'attraction... (La SNCB, une longueur d'avance, encore et toujours !)

Interview. — « Entre le moment où vous quittez ce poste et le moment où vous prenez votre pension, il y a un intervalle d'environ six mois...
— Oui, en effet...
— Vous avez pris votre prépension à ce moment, c'est ça ? demande Wynka.
— Ma prépension ? Mais non !
— Vous avez occupé un autre poste ?
— Non, non...
— Mais vous faisiez quoi alors ? Vous formiez votre successeur ? renchéris-je.
— Non, non, je... Je ne faisais rien... Je restais chez moi... »
(Wynka me dira un peu plus tard que c'est beaucoup plus fréquent qu'on ne le croit, dans le monde professionnel.)

Carabistouilles. — Je profite de la temporaire accalmie pour m'installer à la terrasse de la Maison du Peuple avec une bière. Quand Léandra arrive, un quart d'heure plus tard environ, nous décidons de transhumer vers la place de Bethléem... Nous nous retrouvons à la terrasse d'un restaurant grec, devant un mezze pour deux personnes, un petit chien qui aboie et une serveuse qui hésite entre l'usage du français et de l'anglais.

Léandra m'explique qu'elle aimerait, durant le mois de juillet, partir coûte que coûte en vacances... Mais elle ne sait pas où, ni avec qui. C'est embêtant. Elle lorgne en ce moment sur un stage de photographie à Marseille (pourquoi pas ?) mais hésite tout de même un peu car l'organisation ressemble à une petite arnaque : plus de 400 euros pour quelques jours, avec un logement en chambre double (vraisemblablement en compagnie d'une inconnue), un stage assez libre et les moyens de transport pour arriver jusque là non compris dans le tarif de base... Elle réfléchit à voix haute. Ce qui est certain, c'est qu'elle veut partir !

Léandra m'invite à terminer la soirée chez elle. Elle en profite pour me montrer deux simples jeux de société qui peuvent s'avérer intéressants lorsque, comme elle, on fait de l'impro. Le premier, « Nonsense », anciennement « Carabistouille » (z'ont tous des tronches de cake sur cette photo, hein ?), consiste à inventer une histoire sur base d'un ou plusieurs mots et d'un contexte imposé par un autre joueur... Le second est un jeu de mimes tout con. Ces jeux doivent être terriblement marrants en larges équipes... Là, seul avec Léandra, c'est vraiment stressant...

Les supporters crient dans la rue... J'attends que le délire s'apaise avant de rentrer chez moi, dans le calme.

dimanche 17 juin 2012

Les petits paragraphes dominicaux (6)

Comportement. — En 1946, L.W. écrivait dans un carnet le commentaire suivant (Remarques mêlées, p. 118) : « Quand la vie devient difficilement supportable, on espère que la situation va changer. Mais le changement le plus important et le plus efficace, celui de notre propre comportement, c'est à peine s'il nous vient à l'esprit, et nous ne pouvons nous y résoudre qu'avec difficulté. » — La remarque tombe tel un couperet, tant elle semble en adéquation avec ce qui ne va pas chez moi mais aussi au sein d'une partie non négligeable de mon entourage immédiat.

Plaisir méchant. Un de mes plaisirs méchants dans la vie : écouter benoitement une personne qui, bien que se croyant très subtile, n'énonce que des banalités. (Mais c'est un comportement à double tranchant car on est toujours le banal de quelqu'un.)

Première classe. Comment cette aberration sociale a-t-elle pu traverser les âges et se montrer aujourd'hui encore au grand jour, dans tous les trains du pays ? On y croise des riches et des cadres supérieurs qui n'ont nullement envie de se mêler à la « plèbe » qui pullule dans cette deuxième classe si proche et pourtant si lointaine... Il faudrait supprimer cette horreur inégalitaire du monde ferroviaire. Ou plutôt : ne mettre dans les trains que des premières classes, au prix de l'actuel ticket standard ; loger tout le monde à la même enseigne ; obliger les patriciens à participer à la vie collective.

Le simple & le complexe. — Lu dans l'ouvrage de Murray Gell-Mann que Jonas m'a prêté : une belle réflexion sur la complexité... Prenons — simple exemple dix points que nous étalons au hasard sur une surface plane. Nous avons la possibilité de relier ou de ne pas relier deux de ces points à l'aide d'un segment, autrement dit de créer (ou de ne pas créer) des relations entre eux... Dans pareil exercice, où la complexité se situe-t-elle ? Sans réfléchir, nous pourrions penser que la figure la plus simple consiste à ne relier aucun point (0 segment) et la plus complexe à tous les relier (45 segments). Pourtant, ces deux cas sont les plus simples de tous. Car si nous devions les définir, nous pourrions y arriver en un seul mot (ou symbole) : « AUCUN » ou « TOUS ». Ainsi les figures sur lesquelles seulement certaines relations sont tissées sont-elles plus complexes que leurs équivalentes extrêmes. (Il serait intéressant et c'est peut-être d'ailleurs ce que fait Gell-Mann dans la suite de son livre, dont j'ai pour l'instant arrêté la lecture faute de temps — d'appliquer cette réflexion à divers domaines du savoir. Par exemple, sur le plan du langage, c'est la haute spécificité des agencements de lettres, de mots et de phrases qui rend une communication intelligible : nous sélectionnons des relations plutôt que d'autres pour établir un sens à ce que nous énonçons. Etc.)

Marc Levy. — Pourquoi ne puis-je me frayer un chemin en ce monde sans croiser quotidiennement des gens qui lisent des romans de Marc Levy ?

Grand désert. Chez Flippo et Bastien, Amy parle de la mer : « La mer, c'est un grand désert. » À chaque fois qu'elle prend le bateau, elle s'y sent prisonnière et n'attend qu'un seul événement : le retour de sa liberté que représente la sainte (?) délivrance de la terre ferme. — C'est amusant car un marin au long cours tiendrait sans aucun doute le raisonnement inverse : pour lui, la mer est la liberté, et la terre une prison...

Les Chevaliers de la Table Ronde. — Un jeu de société original dont l'objectif est de gagner contre le plateau ! Nous jouons les chevaliers assiégés par les forces du Mal et devons effectuer de nombreuses quêtes afin de juguler les démons (trouver le Graal, récupérer Excalibur, empêcher les Pictes et les Saxons de gagner les rives du royaume, etc.). La victoire peut être rendue plus difficile par l'éventuelle désignation d'un félon à l'intérieur du groupe. (Mais c'est là ma première partie... Dès lors mes camarades de jeu sont conciliants et n'intègrent pas ce vil individu dans la pile des cartes de personnage.)

Mozart & l'emmental. — Moi : « On dit que le silence qui suit une musique de Mozart est encore de Mozart... C'est un peu la même chose pour l'emmental : les trous qui le composent sont encore de l'emmental. » Zapata : « Ce qui est bien avec l'emmental, c'est qu'une personne qui n'a pas beaucoup d'argent peut s'en sortir à très bon compte à la fromagerie, en ne demandant que les trous... »