« Pourquoi diantre », me demande-t-on parfois (sans le diantre), « refuses-tu catégoriquement de souscrire à une épargne-pension complémentaire ? » La première réponse, qui n'est cependant pas la principale, surprend souvent mon interlocuteur du moment : « Parce que de toute façon, je ne vivrai pas jusqu'à l'âge de ma retraite. » Il me demande alors comment je sais cela, ce qui me permet d'affirmer une telle chose, etc. — Je ne le sais pas mais tout me laisse à penser que je ne vivrai certainement pas jusque là... Et si le susdit interlocuteur continue sur sa lancée en me lâchant que mon raisonnement ne tient absolument pas la route et que je serais bien embêté si j'arrivais un jour à l'âge de la retraite avec ma « maigre pension légale ha-ha-ha-pauvre-fou-rétrograde », je clos le sujet par : « De toute façon, je suis incapable de tenir un agenda pour la semaine prochaine, alors ne me demande surtout pas de planifier ma vie pour quand je serai mort retraité ! »
La seconde réponse est la seule qui compte vraiment : « Parce que je déteste ce système égoïste, ou à tout le moins corporatiste, à l'intérieur duquel chacun est censé épargner pour sa pomme ou pour son petit groupe, en se contrefichant du reste de la population. »
Pour comprendre, il faut avant tout avoir en tête le fonctionnement des différents systèmes de retraite en usage en Belgique. Il est possible de les regrouper au sein de deux grandes familles : la répartition et la capitalisation. Dans un système par répartition, en résumé, les cotisations des travailleurs actifs sont directement utilisées pour payer la pension des retraités d'aujourd'hui (c'est ce qu'on appelle le premier pilier). Dans un système par capitalisation, les travailleurs actifs épargnent aujourd'hui en vue de leur retraite de demain, soit via une assurance-groupe (par exemple) conclue au sein d'un secteur ou d'une entreprise (deuxième pilier), soit individuellement (troisième pilier). À noter que certains parlent aussi d'un quatrième pilier, dans lequel
l'épargnant constitue ses propres moyens « de survie » (hem !) via des achats
immobiliers, des placements en bourse, etc.
Tandis que le premier pilier est basé sur la solidarité intergénérationnelle au sein d'une population, les deux autres fonctionnent grâce à une forme plus ou moins développée d'égoïsme. (On ne pense pas au bonheur de l'ensemble de la population aujourd'hui, on pense à son propre bonheur postposé.)
En Belgique, parallèlement au premier pilier de la retraite par répartition (légale et obligatoire), se développent les deux autres piliers, qui forment le socle de la retraite par capitalisation (facultative mais fortement encouragée par l'État au travers d'avantages fiscaux). L'idée — qui n'est pas conne, faut pas croire — est que face à la hausse importante des retraités en raison de divers facteurs principalement d'ordre démographique (comme l'augmentation de l'espérance de vie mais aussi la fin de la période active des enfants du baby boom de l'après-guerre), la retraite par répartition ne suffit plus et qu'à côté de celle-ci, il faut développer l'épargne privée.
Je comprends les personnes qui s'engagent dans ce type de système. Il faut dire que c'est tentant : tout est fait pour qu'on y souscrive. Cependant, à titre personnel, par principe, je ne peux m'y résigner... Je ne peux pas car il s'agit à mon sens d'une combine néfaste, contraire à l'idée que je me fais d'une société solidaire basée sur la répartition des richesses. Autrement dit : je préférerais être ponctionné beaucoup plus sur mon salaire mensuel pour financer la sécurité sociale comme il se doit, pour les besoins du moment, plutôt que de donner le moindre kopeck à des groupes privés pour mon propre éventuel futur bonheur personnel.
J'écris ceci parce que je suis de gauche, mais aussi sans doute parce que je ne crois pas à une organisation se proposant de tisser la toile d'un avenir qui n'existe qu'en tant que projection. — Je rejoins ici sans le vouloir ma première réponse : dans le futur, je serai mort ; nous serons tous morts.
Derrière l'épargne par capitalisation, il y a non pas une méthode qui marche (ou qui ne marche pas) mais une idéologie, tout simplement. « Épargnez pour vos vieux jours, braves gens, si vous ne voulez pas vous retrouver dans la misère à la fin de votre vie ! » — Et pour les pauvres (de plus en plus nombreux) qui n'ont pas la possibilité d'épargner ? — « Bah, on s'en fout, faites simplement en sorte de ne pas être pauvres ! »
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