Retour sur ∆. — Qu'ai-je écrit sur ma journée de samedi ? En résumé que je n'arrivais toujours pas à savoir, après trois écoutes consécutives, si An Awesome Wave, le premier album de ∆, était terriblement mauvais ou terriblement bon. Il aura fallu un orage, beaucoup de Westmalle et une crise de noctambulisme pour trancher. Le verdict final est tombé alors que, dans le noir presque absolu de ma chambre, aux alentours de trois heures du matin, enfin prêt à m'endormir, « Taro », la dernière chanson de l'album, a traversé d'une traite la nuit orageuse — ma nuit.
Je me suis relevé un bref instant, j'ai rallumé la lumière pour tout de suite la rééteindre (ne surtout pas chercher un quelconque sens à la manœuvre) et, en fin de compte, réécouter l'album une nouvelle fois dans un sévère état de somnolence... Et là tout fut différent ! (Fiat Lux ?) Comme à chaque fois, je me suis alors demandé comment je n'avais pas réussi à entrevoir dès la première écoute que cet album était génial, plein de recoins sombres, de références secrètes, de laides et de belles histoires, de petites merveilles instrumentales et vocales, à découvrir et à redécouvrir. — Comme souvent, l'alcool (seule drogue pratiquée régulièrement sur moi-même) m'a permis d'apercevoir dans une certaine mesure ce qui était caché ; et la nuit d'écouter, d'observer, de réfléchir calmement, loin des contraintes temporelles de cette putain de journée.
— J'aime la nuit. —
Je ne m'étais pas aperçu, de prime abord, à quel point les trois interludes, malgré l'apparente simplicité de leur structure, étaient si beaux ; ni à quel point chacun des morceaux de ce premier album était précis, méticuleux et travaillé.
Depuis cette nuit, je ne cesse d'écouter « Taro ». Et ce n'est qu'aujourd'hui soir, soit presque vingt heures après « l'écoute décisive », que je me suis rendu compte — ai-je déjà mentionné que j'étais lent ? Je pense que oui — que cet air final faisait référence à Gerda Taro, la photographe et militante antifasciste écrasée par un char républicain lors de la guerre d'Espagne peu de temps avant ses 27 ans... Ou plus précisément : que cette chanson faisait référence à la mort de Robert Capa, dont la jambe gauche fut réduite en charpie par une mine terrestre en 1957 lors de la guerre d'Indochine, alors qu'il s'éloignait du convoi militaire afin de trouver le bon cadrage, qui lui fut fatal. « Mine is a watery pit. Painless with immense distance. From medic. From colleague, friend, enemy, foe, him five yards from his leg. From you Taro... » (Un peu comme si le grand photographe de guerre, à l'article de la mort, repensait à sa collègue et amante, décédée à des milliers de kilomètres et à dix-sept années de son propre corps en lambeaux.)
Mon appartement est un hôtel. — Une nouveauté : Mary travaillant dans une agence de titres-services, nous avons droit au passage d'une « aide ménagère » trois heures par semaine (!). Dans la mesure où mon appartement n'est pas bien grand et que je l'entretiens du mieux que je peux, elle n'a pas grand-chose à faire... Alors Mary lui a demandé de jeter un œil aux détails, quitte à nettoyer l'intérieur des tiroirs.
Aujourd'hui, de retour chez moi après une tranquille soirée en solitaire à la Maison du Peuple, j'ai l'impression de rentrer dans une chambre d'hôtel : mon lit est refait à la perfection, avec des oreillers supplémentaires (trouvés je ne sais où !), mes vêtements forment une jolie pile bien droite, les fenêtres sont lavées, ma collection de films porno est reclassée par ordre alphabétique et j'ai même eu droit à un petit bonbon de bienvenue. — Hem. Tout cela n'est absolument pas nécessaire mais je ne m'en plaindrai pas.
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