lundi 2 juillet 2012

Univers imbriqués, réalités simulées

« Concentré, je répétais en moi-même : "Tout mouvement n'est qu'illusion."
Soudain il m'apparut qu'il existait un système de références dans lequel tout mouvement est une illusion : le simulateur lui-même ! Les unités subjectives s'imaginent agir dans un milieu physique. Mais elles ne vont littéralement nulle part. Lorsqu'une unité de réaction (...) "marche" d'un immeuble à un autre, la seule chose qui intervienne, en réalité, ce sont des courants simulectroniques qui "pompent", par l'intermédiaire d'une grille et de transducteurs, des "expériences" illusoires dans un tambour mémoriel. »

« L'illusion de la réalité était si complète. Les plus petits détails avaient été méticuleusement prévus. Là-haut, Il n'avait guère lésiné sur les enjolivements de Son simulateur. Il n'avait laissé échappé que quelques minuscules et imperceptibles contradictions.
En regardant mon ciel constellé, j'essayai d'apercevoir la réalité absolue au-delà de l'illusion universelle. Mais le Monde Réel n'était dans aucune direction précise par rapport au mien. Ils formaient deux univers différents, dont aucun n'était contenu dans l'autre. Et pourtant, ce Monde Réel était partout autour de moi, caché par un voile électronique. »
(Daniel F. Galouye, Simulacron  3, 1964.)

Et si l'Univers n'était qu'une réalité fabriquée par un simulateur total, un ordinateur démesurément complexe qui prendrait tout en compte, de l'infiniment petit à l'infiniment grand, y compris l'intelligence humaine, la douleur et les relations sociales, à tel point que les personnes simulées au sein de cet Univers ne pourraient se rendre compte que leur conscience n'est qu'une très longue série de bits (ceci étant dit sans aucune volonté de paraître vulgaire) ?

C'est l'objet du roman Simulacron 3, lu ce week-end. L'auteur, Daniel F. Galouye, avait une certaine longueur d'avance dans la mesure où il a écrit son histoire à l'aube de l'ère informatique moderne. Son récit constitue une mise en abyme dans laquelle le principal protagoniste et narrateur de l'histoire, Douglas Hall, supervisant un tel simulateur total sur ce qui s'avère être la Terre, se rend compte qu'il fait lui-même partie d'un univers créé de toutes pièces à un échelon supérieur...

Le livre décrit donc une réalité à plusieurs niveaux (au moins trois), dont seule l'ultime couche constituerait le « Monde matériel ». Pour faciliter la compréhension, supposons que Douglas Hall fasse partie de l'Univers B. Il gère un simulateur total, le Simulacron 3 (qui simule l'Univers C), mais il fait lui-même partie d'un simulateur du même genre qui se situe dans un Univers supérieur, l'Univers A. Question : ce dernier univers est-il le « vrai Monde », le « Monde physique » ou bien à nouveau un simulacre dont la mise en œuvre est effectuée à un niveau de réalité plus supérieur encore ? (On pense tout de suite à Philip K. Dick, évidemment.)

Encore un roman solipsiste donc ! L'auteur assume d'ailleurs sans complexe l'évidente parenté : son héros fait référence à George Berkeley, à l'idéalisme, cite Descartes : « [Je me demandai] si j'étais sur le point d'avoir la preuve finale que je n'existais pas. Puis je me révoltai contre la totale incongruité de cette pensée. J'existais. La philosophie cartésienne réfutait amplement mes doutes : Cogito ergo sum. Je pense donc je suis. »

Problème de ce genre de réflexion : en plus de n'être basée sur aucune preuve, elle repousse à l'infini la cause première... Si ce Monde-ci est simulé à l'intérieur d'une autre Monde, celui-ci n'est-il pas lui-même simulé ? (Si un Dieu nous a créés, qui a créé Dieu ?)
 
Pour compliquer l'intrigue, dans Simulacron 3, des échanges sont possibles entre deux niveaux de réalité... Ainsi un manipulateur de l'Univers B peut-il observer voire modifier l'Univers C sans que sa présence ne soit perçue par les habitants de ce dernier, mais aussi entrer en contact avec un habitant et même intervertir les rôles, autrement dit se retrouver piégé dans l'Univers inférieur pendant que l'autre « monte d'un niveau ». De manière identique, un manipulateur de l'Univers A peut effectuer le même genre d'opérations dans l'Univers B.

Somme toute, ce roman n'est rien d'autre que la variante technologique du christianisme... Le manipulateur, lorsqu'il observe/modifie l'Univers créé depuis l'échelon supérieur, ressemble au Dieu omniscient et omnipotent de l'Ancien Testament... Et lorsqu'il entre en contact direct avec un habitant du Monde qu'il a fabriqué, il s'incarne (il descend d'un niveau), à la manière du Christ dans le Nouveau Testament. (La Bible est un très vieux roman de science-fiction qui a réussi à convaincre beaucoup de monde.)

Si quelqu'un apparaissait d'un coup devant moi et se présentait en disant : « Je viens d'un autre degré de réalité, d'un Monde identique au tien mais supérieur. C'est nous, dans ce Monde, qui vous avons créés informatiquement. » Puis, pour me prouver qu'il ne triche pas, il soignerait un lépreux jouerait en direct sur les « variables » de mon Univers immédiat. Il éteindrait le soleil ou ferait disparaître un de mes bras... Quelle serait alors ma réaction ? — Je suppose que, voyant mes expériences de vie subitement remises en question et mon système de pensées abruptement s'effondrer, je serais complètement terrorisé. Et plutôt que de me dire que le monde extérieur a un sérieux problème, je finirais sans doute très vite par penser que je suis devenu fou. (Ces deux idées peuvent néanmoins se rejoindre beaucoup plus facilement qu'on ne le pense !)

En fin de compte, me ressaisissant, je lui poserais cette ultime question : « Quand bien même ce serait vrai, qu'est-ce qui te fait dire que tu n'es pas toi aussi le pion de manipulateurs plus élevés que toi ? » Et il me répondrait : « C'est impossible à savoir, mais je n'ai jamais observé un événement qui m'amènerait à penser que c'est le cas... » Nous voilà bien avancés !

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