lundi 7 janvier 2013

Liturgie

Crématorium de Robermont. Je suis debout contre un des murs du fond, en compagnie de mes six collègues de bureau. À l’extérieur, dans le couloir séparé de la salle de cérémonie par une grande baie vitrée, trois personnes attendent : ces laïques radicaux ne veulent apparemment pas participer, même de loin, au mini-culte chrétien qui s’annonce.

Le prêtre, aube blanche traversée d’une longue bande violette, fait son entrée et prend place derrière un pupitre situé à gauche du cercueil. Il prend un air contrit et répète sans cesse entre chaque phrase prononcée : « Béni sois-tu, Seigneur. Seigneur, écoute-nous. Seigneur, exauce-nous... » — Une litanie un peu niaise ? Non, un véritable trouble obsessionnel compulsif ! À force de répétition des mêmes gestes et des mêmes paroles, la liturgie chrétienne est devenue au fil des millénaires un gigantesque TOC collectif : il faut se laver, se laver, se laver du mal, toujours, toujours, en répétant, répétant, répétant encore et encore les mêmes mots salvateurs !

Comme si un mort ne suffisait pas, ce prêtre veut tous nous enterrer. « À l'heure de dire un ultime au revoir à Louis-Antoine, déclare-t-il d'une voix lente et mielleuse, plaise à Dieu de se souvenir de lui dans Son amour... Seigneur, accueille Louis-Antoine à la table des enfants de Dieu. C'est avec foi que nous croyons en Toi. C'est avec espérance que nous croyons en la vie éternelle... Certes, notre enveloppe corporelle est destinée à disparaître, mais notre enveloppe spirituelle, elle, se perpétuera après notre mort. Nous sommes confiants, Seigneur. C'est donc confiants que nous marchons vers la mort, c'est donc confiants que nous mettons notre vie entre Tes mains pour qu'un jour, nous retrouvions Louis-Antoine assis auprès de Toi. Béni sois-tu, Seigneur. Seigneur, écoute-nous. Seigneur, exauce-nous. »Comme je la hais, cette philosophie de morts-vivants : « Ne vis pas. Attends la mort pour vivre ! », voilà ce que nous dit en substance le vieux prêtre. 
 
Il y a aussi cette curieuse sensation : ce décalage énorme entre l'image que j'ai de Louis-Antoine (un bon vivant de gauche radicale, qui semblait matérialiste jusqu'au bout des ongles) et cette cérémonie chrétienne très rigide en son honneur. Mais après tout, est-ce que je le connaissais vraiment, ce Louis-Antoine ? Il venait tous les jeudis à mon travail en tant que bénévole mais n'évoquait jamais ses convictions religieuses et très rarement sa vie personnelle. — Conclusion : toujours me méfier des boîtes dans lesquelles j'enferme malgré moi la vie et les pensées des autres.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.