Voyageur des espaces morts. — Dans un très lointain futur, un voyageur doté de pouvoirs extraordinaires prend la parole devant un million de mondes (l'humanité sortie de son berceau). Très las, il déclare d'un ton calme et résigné : « J'ai exploré méticuleusement chaque bras spiral, visité des centaines de milliards de systèmes solaires, sauté d'amas en amas, déjeuné sur chaque bout de roche, respiré l'air vicié d'innombrables géantes gazeuses, scanné la croûte de billions de planètes telluriques, récolté la poussière des comètes, sondé les nébuleuses, parcouru le vide à l'intérieur du vide ; j'ai traqué la vie avec l'acharnement du plus dément des chercheurs d'or des temps anciens ! Hélas, hélas, HÉLAS ! Jamais je n'y ai trouvé la moindre parcelle de vie : pas même un fossile, pas même l'équivalent d'une algue ou d'une fougère, pas même le lointain cousin du regretté trilobite, pas même le début d'un commencement de structure organique ! Partout, la même mécanique d'horloger des soleils et des mondes, tournant sans finalité jusqu'à l'immobilité la plus complète... » Et le voyageur fatigué de terminer son discours sur ce terrible constat : « Nous sommes irrémédiablement seuls, nous sommes l'exception... Peut-être après tout ne sommes-nous qu'une erreur ? Peut-être les corps célestes eussent-ils dû tracer leur course dans le vide sans conscience pour les observer ? » — L'annonce engendre des milliards de morts au sein de l'humanité dispersée. Le modérateur tempère : « Haut les cœurs ! Voyageur, tu n'as parcouru que la seule Voie lactée ! Cette vie que nous chérissons tant, peut-être existe-t-elle au sein d'autres galaxies ? » Et pendant le million d'années suivant cette parole d'espoir, des milliards de voyageurs semblables au premier sont envoyés jusqu'aux confins de l'Univers. Mais tous reviennent bredouilles, sans avoir jamais débusqué un signe du vivant. Alors, un gigantesque désespoir touche l'humanité sur le million de mondes qu'elle a colonisés. Et à peine cent cinquante ans plus tard, sur la colonie industrielle d'Epsilon Eridani VII, meurt le dernier représentant de l'espèce humaine (un vieillard qui n'a même plus de larme pour pleurer), débarrassant l'Univers de sa seule et unique conscience. — Et comme plus personne n'est là pour le voir exister, en l'absence de tout bruit mais aussi de tout silence, l'Univers disparaît.
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