L'aurore ! — L'astre du jour darde ses premiers rayons sur le saint édifice. Quelle importance ? Ce n'est ni le ciel ni la hauteur que nous vénérons, mais bien la terre, la sombre profondeur de la roche jurassique !
Le Grand Marcassin ouvre la voie ; il enfonce son pouce dans l'œil droit du Christ et libère le passage vers les souterrains qui s'étendent en dessous de la chapelle Notre-Dame et au-delà. « À partir de maintenant, tu avanceras les yeux bandés jusqu'à la salle de préparation, où tu attendras qu'on vienne te chercher pour l'épreuve », m'annonce-t-il. Je ne suis pas surpris : je sais déjà tout cela car depuis hier, je suis le nouveau messie serpentant à travers le temps et l'espace. Ils ne m'ont rien dit mais je connais déjà la suite des événements, à l'exception d'un point précis : ce nœud dans les fils de l'avenir qui m'empêche de dénouer complètement la trame de mon futur le plus immédiat.
Je sais que bientôt, je tuerai le Grand Marcassin de mes propres mains. Je sais que je prendrai la tête de la Confrérie par la force. Je sais que j'étendrai rapidement mon pouvoir à travers le vaste réseau des Omonoks. Tout cela, je le sais. Mais ce nouveau don de prescience me lâche à un endroit précis du temps où j'en aurais pourtant le plus besoin : je ne sais pas en quoi consistera l'épreuve qui m'attend, si ce n'est que le sang devra couler.
* * *
Trois heures que j'attends entre ces quatre murs de roche transpirant l'humidité. Il fait très sombre mais mes yeux accoutumés à l'obscurité s'arrêtent sur chaque détail de la pierre ancestrale. Ce lieu a connu l'amour et la torture ; la fusion et la mort : cela aussi, je le sais. Je suis patient : je sais que le Grand Marcassin parcourt en ce moment même le dédale sous la ville pour venir me délivrer de ma cellule suintant l'heur et le malheur des hommes.
La porte s'ouvre. Impassible, le Grand Marcassin me déclare :
« Hamilton, es-tu prêt à abandonner ton ancienne vie pour devenir Courlis Cendré, le vingt-deuxième membre de notre confrérie ?
— Je le suis.
— Es-tu prêt à satisfaire aux conditions de l'Épreuve, qui décidera de ton futur statut : celui de vivant parmi les vivants ou de renégat parmi les morts ?
— Je le suis. »
Il me remet mon bandeau sur les yeux, s'empare de mon poignet et me guide vers l'extérieur où je suis pris en charge, à travers les couloirs, par deux acolytes.
On finit par m'enlever le bandeau. Je me trouve au centre d'une grande salle circulaire, entouré par vingt Omonoks noirs de la tête aux pieds. À un mètre de nous environ, une femme est couchée sur un autel en bois, son corps entièrement couvert d'un linceul et sa tête d'une cagoule. Devant moi, se tient le Grand Marcassin, le premier des Omonoks de Chiny. Je saisis le long couteau de boucher dans la boîte en fer qu'il me tend. Il me dit :
« Elle est attachée et profondément endormie. Par conséquent, elle ne pourra te faire aucun mal. Pour être admis parmi nous, tu devras exécuter un simple geste : lui planter ce couteau directement dans le cœur. Ce sera ton unique épreuve. »
Le voilà donc, ce fameux point noir, cette zone d'ombre dans le cours du temps...
« Je le ferai, dis-je, confiant.
— Nous verrons.
— Je le ferai. Je le ferai. »
Le Grand Marcassin se déplace jusqu'à l'autel... — Je la tuerai, cette paysanne ! Je ne la connais pas, je ne la connais pas, je ne la connais pas. — ... enlève lentement la cagoule... — Ça n'a pas d'importance, ça n'a pas d'importance. Elle ne souffrira pas. Je ne la connais pas ! — pour enfin dévoiler le visage de...
Estomaqué, le couteau tremblant dans la main droite, j'ai le plus grand mal à prononcer son prénom : « Léandra ? »
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