« This is Stratego: not a place, not a time but a battle of wit and skill and strategy! »
Aujourd'hui, je n'ai pas grand chose à faire ni à raconter. Je suis chez mes parents avec ma fille. Celle-ci est toujours malade et reste couchée dans le divan presque toute la journée. Elle regarde l'innommable Dora l'exploratrice et le plus-subtil-qu'on-ne-le-croit Bob l'éponge. De temps à autre, sa fièvre retombée, Gaëlle réalise de petits films avec son appareil photo rose bonbon : elle veut que ma maman imite une sorcière enfourchant son balai. La vidéo se trouve dans le recoin d'un disque dur, mais jamais je n'oserais la poster sur le Web, car j'aime ma maman (hé oui !).
Pour passer le temps, ma mère et moi jouons au Stratego, le vieux jeu de société (créé par le néerlandais Jacques Johan Mogendorff) qui était déjà dans les armoires familiales avant que je ne naisse. Il s'agit de la vieille version, avec les tours crénelées rouges et bleues en plastique sur lesquelles le grade de l'unité est directement gravé. (Version dont un aperçu est visible sur ce site en allemand).
Nous jouons six parties, que je gagne. Je demande à Gaëlle : "Que faut-il que je fasse pour que Nanou [ma maman donc] me batte au moins une fois ?". Gaëlle répond tout haut quelque chose du genre : "Il faut que tu mettes ton drapeau en première ligne, au milieu." Elle montre même l'endroit sur le plateau (une case qui n'est même pas abritée par un lac — un éclaireur et c'est fini). Je m'exécute, tout en posant mon maréchal à droite du drapeau (faut pas déconner non plus). Malgré mes efforts pour perdre, je gagne cette septième et dernière partie. Ma maman est passée au moins trois fois devant mon drapeau en fin de partie sans jamais le toucher, car elle pensait que — je cite — "c'était une simple bombe". Tssss...
La passion du Stratego
Lu sur un site Web (le blog d'un ours en peluche bruxellois d'une vingtaine d'années du nom de Barnabé) : "Ce jeu, c'est pas le jeu de société le plus passionnant. Mais c'est un
jeu auquel on va jouer de temps en temps. S'il ne déchaîne pas les
passions, il est néanmoins très agréable à jouer." Je m'insurge contre cette idée car ce jeu est diaboliquement passionnant. — "Pourquoi ?", me rétorquera-t-on, "C'est un jeu tout bête avec des pièces qui se bouffent en fonction de leur hiérarchie, sauf en de rares exceptions !" — Ha, mais mon bon Monsieur/Madame/mutant/Zéta-Réticulien (biffer la/les mention[s] inutile[s]), c'est là mal cerner les nombreuses composantes stratégiques du Stratego, qui à elles seules rendent ce jeu passionnant ! Celles-ci prennent pour champ d'action la prise de risque, le bluff, la psychologie, la mémoire, le repérage intelligent, la mobilité, la reconnaissance de modèles ennemis en matière d'attaque et de défense et j'en passe ! Quelques exemples, à de simples fins d'illustration :
1) Le bluff : dans la mesure où, contrairement au jeu d'échecs, l'information du Stratego est incomplète — le joueur A ne sait a priori comment sont disposées les pièces du joueur B —, il est possible d'induire l'adversaire en erreur en utilisant diverses techniques psychologiques, parmi lesquelles figure en bonne place le bluff (comme au poker !)... Par exemple en ayant l'air faussement tracassé quand une pièce adverse s'avance sur une partie du plateau ou, au contraire, de paraître faussement confiant alors que tout va mal. Il est ainsi possible de faire fuir un haut gradé (un colonel par exemple) en faisant croire à l'adversaire qu'on le poursuit avec un général ou un maréchal (alors qu'il ne s'agit que d'un éclaireur ou d'un sergent)... Ou encore de feinter le désintérêt total alors qu'une pièce ennemie est située à une case de distance du drapeau. Pour ma part, comme je n'arrive pas à feinter avec talent, je garde constamment une attitude neutre (ceux qui me connaissent doivent être très surpris — ou pas).
2) Mémoire et repérage : en ayant en mémoire les positions de l'adversaire, il est envisageable de repérer de manière plus ou moins floue l'emplacement des six bombes et du drapeau, car ces pièces ne bougent jamais. Comme souvent au Stratego, une contre-stratégie est également possible : sachant qu'un (bon) adversaire essayera forcément de deviner l'emplacement de ces sept pièces, il peut être intéressant de laisser immobiles en début de partie des pièces comme les démineurs ou les éclaireurs...
Par ailleurs, il existe d'autres configurations repérables chez l'ennemi, en dehors des bombes : le général (ou le colonel) se déplaçant en compagnie de l'espion, ou encore un groupe de quatre pièces d'attaque (c'est la stratégie récurrente de ma maman ! — De l'intérêt de ne pas avoir de stratégie récurrente), groupe qui sera composé, en l'occurrence, d'un éclaireur, d'une pièce "faible" (un sergent ou un lieutenant), d'une pièce médiane voire "forte" (un capitaine, un commandant, voire un colonel) et d'un démineur. Pour connaître la composition approximative d'un tel groupe de pièces, il est nécessaire d'avoir assimilé le mode de fonctionnement de l'adversaire (même si, en principe, un bon joueur ne se présentera jamais contre un même adversaire deux fois de suite de la même manière — sauf s'il est au courant que l'adversaire en question sait qu'il jouera sans doute différemment, auquel cas jouer exactement de la même manière peut être payant).
2) Mémoire et repérage : en ayant en mémoire les positions de l'adversaire, il est envisageable de repérer de manière plus ou moins floue l'emplacement des six bombes et du drapeau, car ces pièces ne bougent jamais. Comme souvent au Stratego, une contre-stratégie est également possible : sachant qu'un (bon) adversaire essayera forcément de deviner l'emplacement de ces sept pièces, il peut être intéressant de laisser immobiles en début de partie des pièces comme les démineurs ou les éclaireurs...
Par ailleurs, il existe d'autres configurations repérables chez l'ennemi, en dehors des bombes : le général (ou le colonel) se déplaçant en compagnie de l'espion, ou encore un groupe de quatre pièces d'attaque (c'est la stratégie récurrente de ma maman ! — De l'intérêt de ne pas avoir de stratégie récurrente), groupe qui sera composé, en l'occurrence, d'un éclaireur, d'une pièce "faible" (un sergent ou un lieutenant), d'une pièce médiane voire "forte" (un capitaine, un commandant, voire un colonel) et d'un démineur. Pour connaître la composition approximative d'un tel groupe de pièces, il est nécessaire d'avoir assimilé le mode de fonctionnement de l'adversaire (même si, en principe, un bon joueur ne se présentera jamais contre un même adversaire deux fois de suite de la même manière — sauf s'il est au courant que l'adversaire en question sait qu'il jouera sans doute différemment, auquel cas jouer exactement de la même manière peut être payant).
3) La mobilité : dans la mesure où chaque joueur a droit au déplacement d'une pièce d'une case par tour (sauf dans le cas de l'éclaireur qui peut se déplacer comme une tour aux échecs — il est parfois déconseillé de le faire, afin qu'il ne soit pas reconnu immédiatement), il est primordial d'effectuer ses déplacements de manière optimisée. La mobilité est donc une des clés de la victoire, mais aussi une arme à double tranchant : un joueur expérimenté, à moins d'y être obligé, préférera souvent mémoriser l'emplacement des bombes plutôt que de les déminer, ceci afin d'entraver le déplacement des pièces ennemies.
Ceci n'est qu'un tout petit extrait des raisons qui rendent ce jeu terriblement passionnant. Pour continuer la réflexion, il existe des sites Web beaucoup plus complets que le bref descriptif ci-dessus. J'ai retenu ce site Web (en anglais). Si j'avais le temps, je créerais un blog uniquement dédié à l'histoire et aux stratégies des jeux de plateau... Mais je n'ai pas le temps : faut que j'écrive tous les jours — merde — et je suis déjà en retard ! — Cela n'arriverait peut-être pas, cher Hamilton, si tu n'écrivais pas des tartines sur des jeux dont tout le monde se fout !
Images du Stratego
Un autre aspect intéressant du Stratego est son image évolutive. Quand je joue au Stratego familial (acheté dans les années 1970), me vient directement à l'esprit l'image d'une bataille rangée, typique du XIXe siècle, où les opposants s'affrontent sur un terrain choisi à l'avance. Tout, dans le jeu que j'ai en main, est fait pour évoquer cette image particulière : l'illustration sur la boîte, qui constitue la représentation classique de la bataille napoléonienne avec officiers et aides de camp juchés sur leur colline ; les grades militaires, qui rappellent ceux du XIXe siècle ; le terrain plat "à la Waterloo" ; etc.
Cette image du jeu — ce modèle — se retrouve dans la publicité "Stratego" qui fut diffusée à la télévision dans le courant des années 1980 (voir la vidéo ci-dessous). C'est très mal joué, c'est vieilli, mais le contexte historique est présent : celui des rangs militaires du XIXe siècle. Par contre, l'illustration de la boîte de jeu a changé par rapport à celle des années 1970 : elle est passée d'objective à subjective, c'est-à-dire de la vue extérieure d'officiers sur une colline à celle d'un officier devant le plateau de jeu, prêt à en découdre face à son adversaire. On passe de l'impersonnel au personnel, du "Je gère un champ de bataille vu de haut" au "Je combats un officier de l'armée prusse en personne". — Et sur le plan sociologique, ça veut dire quoi ? Bigre ! Qu'est-ce que j'en sais ?
Plus de vingt ans plus tard, la publicité pour le même jeu donne ceci :
L'image a dû être mise à jour : il faut qu'il y ait beaucoup plus d'action et d'explosions. La bataille rangée, franchement, qui s'en soucie de nos jours ? Alors, on prend une voix off beaucoup plus grave, qui fait comprendre que jouer au Stratego, ça va chier ! Et on rajoute des scènes qui bougent à donf, avec des robots destructeurs, s'il vous plaît. Le but du jeu reste inchangé : capturer ce drapeau à la con (ou capturer toutes les pièces mouvantes de l'ennemi — soyons précis).
Et ça veut dire quoi ? Pourquoi présentent-ils le jeu de cette manière ? Pourquoi retrouve-t-on ce même archétype de voix grave guerrière dans les publicités, les films, les séries de tout poil ? — C'est une mode ! Et comme toutes les modes, elle passera pour être remplacée par une autre, tout aussi débile (ou pas). Quelle importance ?
Quelle pièce du Stratego suis-je/êtes-vous ?
- La bombe ? Elle est immobile et explose dès qu'une pièce la touche, à l'exception du démineur. Le symbole de la psychorigidité et/ou de l'individu qui ne se laisse "désamorcer" que par un type très particulier de personne.
- L'espion ? Un traître, un faible, mais il représente un paradoxe : celui de la souris qui terrasse l'éléphant (il tue le maréchal). La malhonnêteté incarnée ou bien le renversement de la pyramide.
- L'éclaireur ? Il se déplace vite mais peut être sacrifié. La rapidité associée à la vulnérabilité.
- Le démineur ? Il désamorce les bombes. Le sauveur ou le manipulateur, ou autre chose encore !
- Le sergent ? Un pauvre bougre avec une grosse moustache, qui se fait tuer assez rapidement. Le gars sympa, qui ne sert pas à grand chose et qui ne demande rien en retour.
- Le lieutenant ? Le sous-officier frais émoulu d'une haute école militaire. L'inverse du sergent : une sorte de jeune premier qui croit tout savoir et qui se la pète, mais qui meurt rapidement quand même.
- Le capitaine ? Un monsieur avec un beau chapeau, qui constitue une véritable force au Stratego (foi de joueur invétéré !). L'homme utile, conscient de son rang et de ses faiblesses.
- Le commandant ? Il a un chapeau tarabiscoté et il a une grosse moustache, comme le sergent. L'élitiste sympa ou bien le grand-père de la publicité pour les Werther's Original.
- Le colonel ? C'est celui qui a le plus beau couvre-chef, avec le maréchal. Un chapeau pareil, faudrait être fou pour le refuser. L'élitiste dans toute sa splendeur.
- Le général ? Une pièce unique qui détruit pas mal de chose sur son passage, sauf les bombes et le maréchal. C'est Ludwig Wittgenstein — Mais non !
- Le maréchal ? Celui qui détruit tout. Une némésis.
- Le drapeau ? Le centre de la partie, dont la découverte assure la victoire. La personne vers qui tout le monde se précipite, l'égocentrique.
Qui suis-je ? Une bombe en défense ; un capitaine en attaque (parce qu'il a un très beau chapeau et non parce qu'il est utile). — Hé non, je ne suis pas un sergent ou un commandant ! (Qui a dit ça ?)
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