Réunion des AA du 8 février 2012. C'est à mon tour de m'avancer sur l'estrade, devant ce petit parterre d'inconnus. J'en ai vu passer trois avant moi. Je sais comment ça fonctionne mais j'ai tout de même le trac. Je me lance...
« Je m'appelle Hamilton et je suis... Euh... Je ne sais pas vraiment si... Euh...
(Le maître de séance, John, m'interrompt gentiment.)
— Nous sommes tous passés par là, Hamilton. Il te faut admettre le mal si tu veux espérer guérir un jour prochain.
— Je m'appelle Hamilton et... Euh... Je crois que je suis amoureux. »
Hochements de tête de l'assistance. Certains font même de petits "Oui !" d'encouragement. Je continue sur ma lancée :
« D'un autre côté, comment être certain que je le sois vraiment ? Je veux dire : c'est quelque chose de très difficile à définir... Les picotements dans le ventre, le rythme cardiaque qui s'accélère, la distraction, la maladresse... Hem... Je suis justement en train de lire des ouvrages sur la certitude, sur le doute épistémologique propre à toute construction du savoir humain... Comment être certain que je suis certain ? Ce genre de choses, quoi... Toute ma certitude tourne autour d'un postulat de départ qui ne peut être prouvé. Et il y a toujours une proposition-pivot, que je ne peux confronter à l'expérience mais qui me permet par contre d'échafauder ma connaissance. Je ne sais si je suis vraiment clair, là... »
Plusieurs personnes dans l'assistance hochent la tête d'un air enthousiaste et disent : "Oui, c'est vrai !" Ma voix prend de l'assurance :
« Voilà... Il se fait que je suis assez rationnel dans ma façon de penser. Rationaliste même. Enfin, je crois... À chaque émotion que je ressens, je me sens obligé de trouver une sorte de théorie d'ensemble. Donc, à chaque fois que je tombe amoureux, j'essaie de rattacher ce sentiment curieux à d'autres exemples connus et de créer une théorie générale satisfaisante. »
L'assistance m'écoute religieusement. Personne ne me juge, personne ne me regarde bizarrement. Je ne regrette vraiment pas de m'être inscrit à ce groupe saint-gillois des Amoureux Anonymes. Je continue :
« Or, je ne suis jamais arrivé à créer une seule catégorie. En fait, je crois que, fondamentalement, je suis attiré par deux types de femmes différentes...
— C'est une bonne chose que tu t'en sois rendu compte, Hamilton, me dit John. Tu n'es pas attiré par un seul archétype, mais par deux, au moins. Cela arrive... Mais continue...
— C'est quand même embêtant de ne pas arriver à trouver le point commun. C'est un peu comme d'essayer d'unifier la relativité générale et la mécanique quantique... »
Courte pause.
« Mais je ne vous ai pas encore parlé des deux archétypes. Le premier, c'est : petite brune timide et froide comme un glaçon, avec des yeux en amande. Du genre à regarder le monde avec un mélange de prestance et d'amusement teinté d'ironie.
— C'est précis, me lance John.
— Ah oui, c'est très précis, sinon ce ne serait pas funky... Mais bon : elles existent. À chaque fois que j'en croise une, je me rends compte qu'elle me correspond parfaitement. À moins que ce ne soit l'inverse, à savoir que je crois qu'elle me correspond car elle me plaît physiquement.
— Et le second ?
— Blonde aux yeux bleus. Avec un regard analytique et un air sûr mais parfois un peu triste parce qu'elle est perdue dans ses pensées... Genre : "germanique et scientifique". Les cheveux bouclés sont un plus.
— Il y a peut-être un point commun entre les deux catégories : c'est la froideur !
— Ha, oui, peut-être... Je ne sais pas... »
J'avale une grande bouffée d'air avant de continuer...
« Aujourd'hui, elle est venue nous parler de tout et de rien dans notre bureau. "Pour se réchauffer", qu'elle a dit. Ma collègue Wynka essayait de se concentrer sur son PC, en vain. Moi, je la regardais (elle, pas Wynka) avec un regard mi-triste, mi-ébahi. Quand elle est repartie, un quart d'heure plus tard, Wynka m'a lâché, en souriant : "À mon avis, elle est venue pour toi !" Wynka sait évidemment que je la trouve très bien (un euphémisme !). Je ne sais pas tenir ma langue, de toute façon. Cependant, je ne crois vraiment pas qu'elle soit venue pour moi. De toute façon, elle est beaucoup trop jeune... Putain de bordel de merde !
— Amen, lâche l'assemblée. »
Train de retour vers Bruxelles en compagnie de Flippo et d'une bière. Nous discutons entre autres des librairies et des libraires. Le libraire de Flippo à la gare de Liège-Guillemins (qui est aussi le mien, soit dit en passant) est du genre "de droite poujadiste", parfois. Flippo parle de temps en temps avec lui. Ils se connaissent.
Quant à moi, je ne peux plus lier une relation pareille avec un libraire. Pas depuis ce qui s'est passé. Rien à voir avec la politique : la raison se résume à un traumatisme...
Lorsque je vivais encore à Anderlecht et que je prenais le train tous les jours à la gare centrale pour me rendre à mon boulot, j'avais un libraire attitré, un bon gros gars d'environ cinquante ans. Tous les mercredis (ou les jeudis, à cause du retard de distribution), quand je passais par sa librairie, il me saluait et extrayait de son comptoir Le Canard Enchaîné. Parfois, il me disait : "Tout le stock est parti à cause de [tel scandale] mais j'ai réservé ton exemplaire, évidemment." C'était devenu une institution. On parlait de foot aussi, parfois, et je faisais semblant de m'intéresser à ce qu'il disait, sur les résultats d'Anderlecht et du Standard, ce genre de choses... Je l'aimais bien, ce gars.
Et puis un jour, je me suis retrouvé devant une porte close. Sur la porte, une page A4 rapidement imprimée avec la photo de mon libraire et un message de sa fille, qui l'aidait de temps en temps au comptoir : "J'ai le regret de vous annoncer que papa est mort. La librairie sera fermée pendant quelques jours." Crise cardiaque foudroyante. Je n'y suis plus jamais retourné. Ou peut-être que si, une fois, mais ce n'était plus la même chose... Et je n'ai plus jamais réussi à nouer à nouveau une quelconque relation avec un libraire.
Après le train : Maison du Peuple ? Pas Maison du Peuple ?
Maison du Peuple. Seul avec un PC et des livres.
J'y reste toute la soirée sans parler à qui que ce soit, si ce n'est aux serveurs.
Pourquoi pas ?
* * *
Quant à moi, je ne peux plus lier une relation pareille avec un libraire. Pas depuis ce qui s'est passé. Rien à voir avec la politique : la raison se résume à un traumatisme...
Lorsque je vivais encore à Anderlecht et que je prenais le train tous les jours à la gare centrale pour me rendre à mon boulot, j'avais un libraire attitré, un bon gros gars d'environ cinquante ans. Tous les mercredis (ou les jeudis, à cause du retard de distribution), quand je passais par sa librairie, il me saluait et extrayait de son comptoir Le Canard Enchaîné. Parfois, il me disait : "Tout le stock est parti à cause de [tel scandale] mais j'ai réservé ton exemplaire, évidemment." C'était devenu une institution. On parlait de foot aussi, parfois, et je faisais semblant de m'intéresser à ce qu'il disait, sur les résultats d'Anderlecht et du Standard, ce genre de choses... Je l'aimais bien, ce gars.
Et puis un jour, je me suis retrouvé devant une porte close. Sur la porte, une page A4 rapidement imprimée avec la photo de mon libraire et un message de sa fille, qui l'aidait de temps en temps au comptoir : "J'ai le regret de vous annoncer que papa est mort. La librairie sera fermée pendant quelques jours." Crise cardiaque foudroyante. Je n'y suis plus jamais retourné. Ou peut-être que si, une fois, mais ce n'était plus la même chose... Et je n'ai plus jamais réussi à nouer à nouveau une quelconque relation avec un libraire.
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Après le train : Maison du Peuple ? Pas Maison du Peuple ?
Maison du Peuple. Seul avec un PC et des livres.
J'y reste toute la soirée sans parler à qui que ce soit, si ce n'est aux serveurs.
Pourquoi pas ?
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