Je pourrais écrire que mon train direct pour Liège a été supprimé
pendant les vacances scolaires et que, comme d'habitude, ce changement
d'horaire m'est complètement sorti de l'esprit le premier jour de son application.
Je pourrais écrire
qu'à mon boulot, seul ou presque, je dois terminer en quatrième vitesse la mise en ligne
d'analyses d'éducation permanente, sous peine d'excommunication.
Je pourrais écrire que je suis allé voir une série de courts métrages animés de Bill Plympton avec Léandra au ciné-club du Potemkine ce soir.
Je pourrais écrire que Léandra est très heureuse en ce moment car tout se passe bien avec Jonas, son amoureux, qu'elle va rejoindre en Normandie ce mercredi.
Cependant, je n'écrirai rien de tout cela car j'ai décidé de me consacrer aujourd'hui à une seule question, que Léandra et moi avons soulevée à la brasserie Verschueren, une heure après avoir souri devant les curieux dessins animés de Bill Plympton.
* * *
Pour comprendre la question qui va suivre, il faut tenir compte de trois éléments.
1) À l'intérieur du Verschueren, la "violoniste attitrée" du Parvis de Saint-Gilles est venue jouer à 50 centimètres de notre table. C'est une dame curieuse, qui passe pour une folle mais qui vaut la peine d'être vue et entendue au moins une fois : elle joue du violon de manière légèrement hystérique, en pinçant de temps en temps quelques cordes ou en agitant son archet de manière saccadée. En parallèle, elle chante (ou plutôt crie), soit dans un registre très aigu, soit au contraire dans un registre très grave. Je n'ai jamais compris ce qu'elle chantait. Ça ressemble à "Ognomonokotomononono... Gniiiikitttikimigniiiikitimiki..." (j'ai fait une recherche sur Google mais ça n'a rien donné).
2) Parlant de violon, je mentionne l'expérience musicale, digne d'un test de psychologie sociale et devenue célèbre – l'initiateur, Gene Weingarten du Washington Post, a gagné un Pulitzer pour l'article qu'il en a tiré –, qui a eu lieu le 12 janvier 2007 à Washington, dans la station de métro "L'Enfant Plaza" : Joshua Bell, violoniste virtuose américain, coiffé d'une casquette de baseball, interprète incognito dans la station six morceaux du répertoire classique pendant 43 minutes, sur son Stradivarius vieux de près de trois siècles (le Gibson ex-Huberman de 1713). Conclusion du journal : sur les 1097 personnes qui sont passées devant lui, très peu (sept pour être exact) se sont arrêtées pour l'écouter réellement, une seule dame l'a reconnu (elle lui donné 20 dollars) et, en dehors de ces 20 dollars "de reconnaissance", il a reçu en tout et pour tout 32 dollars et 17 cents. Car oui, comme le notera Weingarten, certains des passants ne lui ont donné que de simples petits pennies...
3) Je parle à Léandra d'Orson Welles et du fait qu'il a été très vite reconnu comme un génie. Rien de plus normal : c'était un enfant extrêmement précoce, du genre à adapter du Shakespeare à l'école élémentaire... Nous avons également brièvement parlé de Mozart : selon un consensus général, Mozart était également un génie... Tout le monde (ou presque) est d'accord, mais pourquoi ? La plupart des gens (moi y compris) tiennent pour acquis le fait que Mozart était un génie non pas à l'écoute de son œuvre mais parce que les spécialistes ont toujours pensé, dit et écrit que Mozart était un génie (et ils ont d'ailleurs sans doute raison, mais ce n'est pas le propos).
* * *
Tous ces éléments se combinent pour donner naissance à la question du jour : est-il possible de reconnaître un génie (ou un virtuose) en dehors de tout contexte ? Question qui découle de la première : comment un public donné décide-t-il qu'une personne est (ou n'est pas) un génie ?
Revenons à la "violoniste du Parvis", lançant ses sons stridents à l'intérieur du café, sous le regard amusé, moqueur ou interloqué des clients. Déplaçons la dans un autre environnement. Par exemple, disons que c'est la nouvelle violoniste avant-gardiste du moment, qui vient de sortir un album chez le label ultra-indépendant Constellation Records. Rajoutons à cette situation hypothétique quelques critiques dithyrambiques par-ci, par-là, de la part des Inrockuptibles ou d'autres journaux branchouilles. À ce moment, il se trouvera toujours des personnes pour adorer la violoniste... Pourquoi ? Parce que si des critiques disent que c'est bien et que plein d'autres gens qui ont lu les mêmes critiques disent que c'est bien, ben c'est que c'est forcément bien, t'as rien compris à la vie, toâââ !
Ce texte n'a ni queue ni tête. Comment vais-je retomber sur mes pattes ? Aucune idée... Et puis, je m'en fous un peu. La thérapie, tout ça...
L'exemple de la violoniste du Parvis est imaginé (elle existe bel et bien mais n'a pas encore rejoint un label musical), mais des exemples bien réels existent. Prenons Queen : presque tout le monde trouve que c'est fantastique, Queen... Même des gens très bien comme Flippo ou FBsr ! Pourtant, Queen, c'est de la merde en barres. J'aurais presque envie de dire que c'est encore pire que U2. Et pourtant je déteste U2. Mais je m'égare...
Joshua Bell, c'est l'exemple inverse : c'est un virtuose du violon (qui le dit ? Bah, les gens !) mais il n'a pas été reconnu comme tel par le public du métro de Washington. Pourtant, il y a fort à parier que si le même public avait écouté le même concert dans une salle consacrée à la musique, en sachant qu'ils écoutaient un virtuose, beaucoup auraient sans doute été chamboulés. Peut-être certains auraient même fondu en larmes devant tant de beauté blablabla.
Et c'est là que Léandra me dit : "Oui, et alors ? C'est normal !"
Peut-être est-ce normal, mais ça me fiche les jetons. Ça me fiche les jetons de penser que nos comportements, nos goûts, nos pensées, nos perceptions du monde sont forgées par l'idée que se font les autres de ce monde. Si je suis à un repas d'amis composé de 9 personnes et que mes 8 amis soutiennent que Queen est le plus grand artiste de tous les temps, vais-je arriver m'opposer à l'écrasante majorité ?
(Calme-toi, Hamilton, tout doux... Ça va aller, ça va aller...)
C'est la question que s'est posée Solomon Asch dans les années 1950. À cette époque, Freddy Mercury n'était encore qu'un enfant et le monde de la musique était en paix. Mais je m'égare à nouveau...
Revenons à la "violoniste du Parvis", lançant ses sons stridents à l'intérieur du café, sous le regard amusé, moqueur ou interloqué des clients. Déplaçons la dans un autre environnement. Par exemple, disons que c'est la nouvelle violoniste avant-gardiste du moment, qui vient de sortir un album chez le label ultra-indépendant Constellation Records. Rajoutons à cette situation hypothétique quelques critiques dithyrambiques par-ci, par-là, de la part des Inrockuptibles ou d'autres journaux branchouilles. À ce moment, il se trouvera toujours des personnes pour adorer la violoniste... Pourquoi ? Parce que si des critiques disent que c'est bien et que plein d'autres gens qui ont lu les mêmes critiques disent que c'est bien, ben c'est que c'est forcément bien, t'as rien compris à la vie, toâââ !
Ce texte n'a ni queue ni tête. Comment vais-je retomber sur mes pattes ? Aucune idée... Et puis, je m'en fous un peu. La thérapie, tout ça...
L'exemple de la violoniste du Parvis est imaginé (elle existe bel et bien mais n'a pas encore rejoint un label musical), mais des exemples bien réels existent. Prenons Queen : presque tout le monde trouve que c'est fantastique, Queen... Même des gens très bien comme Flippo ou FBsr ! Pourtant, Queen, c'est de la merde en barres. J'aurais presque envie de dire que c'est encore pire que U2. Et pourtant je déteste U2. Mais je m'égare...
Joshua Bell, c'est l'exemple inverse : c'est un virtuose du violon (qui le dit ? Bah, les gens !) mais il n'a pas été reconnu comme tel par le public du métro de Washington. Pourtant, il y a fort à parier que si le même public avait écouté le même concert dans une salle consacrée à la musique, en sachant qu'ils écoutaient un virtuose, beaucoup auraient sans doute été chamboulés. Peut-être certains auraient même fondu en larmes devant tant de beauté blablabla.
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Et c'est là que Léandra me dit : "Oui, et alors ? C'est normal !"
Peut-être est-ce normal, mais ça me fiche les jetons. Ça me fiche les jetons de penser que nos comportements, nos goûts, nos pensées, nos perceptions du monde sont forgées par l'idée que se font les autres de ce monde. Si je suis à un repas d'amis composé de 9 personnes et que mes 8 amis soutiennent que Queen est le plus grand artiste de tous les temps, vais-je arriver m'opposer à l'écrasante majorité ?
(Calme-toi, Hamilton, tout doux... Ça va aller, ça va aller...)
C'est la question que s'est posée Solomon Asch dans les années 1950. À cette époque, Freddy Mercury n'était encore qu'un enfant et le monde de la musique était en paix. Mais je m'égare à nouveau...
Dans l'expérience de psychologie comportementale d'Asch, il est demandé à un groupe d'étudiants (de 6 à 8 personnes) de participer à un "test de vision". En fait, il ne s'agit pas du tout de ça : dans le groupe, tous les étudiants sont de mèche avec l'expérimentateur sauf un seul, qui est le véritable "sujet" de l'expérience. Le test est très simple, presque stupide : une "ligne de référence" est présentée. Ensuite, l'expérimentateur pose à chaque membre du groupe une question concernant trois lignes (A, B et C) de longueurs différentes. Chaque membre du groupe doit donner sa réponse de vive voix et le sujet (le seul qui n'est au courant de rien, donc) est toujours le dernier ou l'avant-dernier à donner sa réponse. Exemple de question : "Laquelle de ces lignes est de la même longueur que la ligne de référence ?" :
Normalement, dans le cas ci-dessus, tout le monde devrait donner la réponse "C", c'est votre dernier mot ? Oui c'est mon dernier mot. Cependant, si tous les autres étudiants avant lui donnent une mauvaise réponse, il arrive que le sujet donne aussi la mauvaise réponse, pour rester en conformité avec le reste du groupe. Ainsi, sur 123 participants (uniquement des hommes dans l'expérience initiale), seul environ un quart n'a jamais donné une réponse fausse par conformisme ; les trois autres quarts l'ont fait au moins une fois (dont 5% qui se sont conformés à chaque fois !).
C'est à la fois effrayant et somme toute assez logique. Ça ne veut pas dire que les sujets sont stupides ou ont du caca dans les yeux ; ça montre simplement le poids de la pression sociale. Les mauvaises réponses du sujet peuvent être comprises de différentes manières : par la volonté de faire plaisir, d'être poli, de ne pas créer de dispute, de se faire apprécier des autres, de ne pas se poser en dissident ou même, tout simplement, par l'idée qu'il est plus rationnel, sur un jugement d'ordre purement visuel, de se conformer à un groupe plutôt qu'à sa propre perception (mais c'est une très mauvaise idée de penser une chose pareille, si on me demande mon avis).
Tout n'est pas perdu cependant : si une seule voix dans le groupe (autre que le sujet) donne la bonne réponse alors que tous les autres en donnent une autre, le sujet saute très souvent sur l'occasion pour répondre correctement (seuls 5 à 10% des sujets se conforment alors encore à la mauvaise réponse). C'est une des preuves que l'expression d'une dissidence, même très minoritaire, dans un groupe dont l'opinion est a priori unifiée peut susciter un rapide ralliement. On pourrait aller encore plus loin et se dire que le ralliement à la dissidence n'est somme toute qu'une forme de conformisme déguisé... Nous nous conformons toujours à un référentiel donné, quoi que nous fassions...
Pour terminer, comment ne pas penser au film 12 Angry Men de Sydney Lumet (1957), dans lequel douze jurés doivent décider à l'unanimité de la culpabilité d'un homme accusé de parricide (coupable, il est condamné à mort ; innocent, il est acquitté). Onze jurés le considèrent coupable. Un seul (le 8e juré, Mr Davis, joué magistralement par Henry Fonda dans la version de Lumet) a de sérieux doutes. Après de nombreuses argumentations (et reconstitutions !), les douze jurés finissent par voter l'acquittement.
Voilà, dans toute sa splendeur, le poids de la dissidence, celui qu'un être humain isolé peut avoir sur le monde qui l'entoure..
Mais ceci nous éloigne d'Orson Welles. Ou peut-être pas, tout compte fait.
Normalement, dans le cas ci-dessus, tout le monde devrait donner la réponse "C", c'est votre dernier mot ? Oui c'est mon dernier mot. Cependant, si tous les autres étudiants avant lui donnent une mauvaise réponse, il arrive que le sujet donne aussi la mauvaise réponse, pour rester en conformité avec le reste du groupe. Ainsi, sur 123 participants (uniquement des hommes dans l'expérience initiale), seul environ un quart n'a jamais donné une réponse fausse par conformisme ; les trois autres quarts l'ont fait au moins une fois (dont 5% qui se sont conformés à chaque fois !).
C'est à la fois effrayant et somme toute assez logique. Ça ne veut pas dire que les sujets sont stupides ou ont du caca dans les yeux ; ça montre simplement le poids de la pression sociale. Les mauvaises réponses du sujet peuvent être comprises de différentes manières : par la volonté de faire plaisir, d'être poli, de ne pas créer de dispute, de se faire apprécier des autres, de ne pas se poser en dissident ou même, tout simplement, par l'idée qu'il est plus rationnel, sur un jugement d'ordre purement visuel, de se conformer à un groupe plutôt qu'à sa propre perception (mais c'est une très mauvaise idée de penser une chose pareille, si on me demande mon avis).
Tout n'est pas perdu cependant : si une seule voix dans le groupe (autre que le sujet) donne la bonne réponse alors que tous les autres en donnent une autre, le sujet saute très souvent sur l'occasion pour répondre correctement (seuls 5 à 10% des sujets se conforment alors encore à la mauvaise réponse). C'est une des preuves que l'expression d'une dissidence, même très minoritaire, dans un groupe dont l'opinion est a priori unifiée peut susciter un rapide ralliement. On pourrait aller encore plus loin et se dire que le ralliement à la dissidence n'est somme toute qu'une forme de conformisme déguisé... Nous nous conformons toujours à un référentiel donné, quoi que nous fassions...
Pour terminer, comment ne pas penser au film 12 Angry Men de Sydney Lumet (1957), dans lequel douze jurés doivent décider à l'unanimité de la culpabilité d'un homme accusé de parricide (coupable, il est condamné à mort ; innocent, il est acquitté). Onze jurés le considèrent coupable. Un seul (le 8e juré, Mr Davis, joué magistralement par Henry Fonda dans la version de Lumet) a de sérieux doutes. Après de nombreuses argumentations (et reconstitutions !), les douze jurés finissent par voter l'acquittement.
Voilà, dans toute sa splendeur, le poids de la dissidence, celui qu'un être humain isolé peut avoir sur le monde qui l'entoure..
Mais ceci nous éloigne d'Orson Welles. Ou peut-être pas, tout compte fait.
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