"Journal : le besoin de consigner toutes les réflexions amères, par l'étrange peur qu'on arriverait un jour à ne plus être triste..."
(Cioran, Le crépuscule des pensées, 1940)
Après un début de journée passé en compagnie de mes parents et de ma fille dans un village de l'Entre-Sambre-et-Meuse, je suis de retour dans mon appartement bruxellois. Walter passe chez moi pour m'apporter un appareil à pierrade et raclette (demain, nous fêtons le Réveillon dans ma salle à manger, bigre !). Walter n'a presque plus de souffle, il est fiévreux : c'est, dit-il, une "rechute", neuf jours après [voir à la date du 21 décembre, dernier paragraphe] l'inoculation de six vaccins destinés à le protéger des éventuelles horribles infections qu'il pourrait attraper lorsqu'il sera au Congo dans moins d'un mois.
Walter est en voiture et nous allons boire un verre au Parvis de Saint-Gilles. À nouveau, je note sur mon téléphone portable plein de mots-clés pour me rappeler de ce dont nous avons parlé mais, comme à chaque fois ou presque, je ne sais pas ce que je vais bien pouvoir en faire, de ces mots, et surtout comment rendre mon texte cohérent et un tant soit peu intéressant.
Un des sujets de discussion tourne autour de la relation entre la dépression (dans son sens le plus courant, c'est-à-dire un trouble qui entraîne du désespoir, une perte d'envie, de motivation et de confiance en soi...) avec l'intelligence : les gens intelligents sont-ils plus soumis que les autres à la dépression, à la déprime, au "spleen" ?
Je raconte une anecdote à Walter : durant mes courses de Noël, à la librairie Tropismes, je suis tombé sur (et j'ai failli acheter pour Andrew et pour lui) un livre intitulé Trop intelligent pour être heureux ? L'adulte surdoué, écrit par la psychologue Jeanne Siaud-Facchin. La quatrième de couverture est éloquente :
"Et si l'extrême intelligence créait une sensibilité exacerbée ? Et si elle pouvait aussi fragiliser et parfois faire souffrir ? Être surdoué est une richesse, mais c'est aussi une différence qui peut susciter un sentiment de décalage, une impression de ne jamais être vraiment à sa place. Comment savoir si on est surdoué ? Comment alors mieux réussir sa vie ? Comment aller au bout de ses ressources ?"
Nous en arrivons au constat suivant : à trop observer, réfléchir et analyser une situation donnée, on ne peut qu'être décalé et dans la totale incapacité de vivre l'instant présent.
Les personnes intelligentes, dans la mesure où elles comprennent tout plus vite, mieux et de manière plus profonde (bah oui), se rendent compte que la vie n'est qu'une somme de tragédies et d'absurdités : une petite planète qui trace sa "route" dans le néant et le vide absolu ; aucun but à notre existence ; un concours de circonstances totalement abracadabrant qui fait que nous vivons et que nous nous en rendons (hélas ?) compte ; la douleur et la mort au bout du chemin ; bref : l'humanité, une merde de mouche dans le Cosmos... Alors, que faire, si ce n'est tomber dans la déprime ou, afin de ne pas y sombrer, dans des croyances ou des religions sans fondement ? Ou encore faire n'importe quoi, tiraillé entre son éducation structurante et des expériences de vie qui ne le sont pas.
Les personnes intelligentes, dans la mesure où elles comprennent tout plus vite, mieux et de manière plus profonde (bah oui), se rendent compte que la vie n'est qu'une somme de tragédies et d'absurdités : une petite planète qui trace sa "route" dans le néant et le vide absolu ; aucun but à notre existence ; un concours de circonstances totalement abracadabrant qui fait que nous vivons et que nous nous en rendons (hélas ?) compte ; la douleur et la mort au bout du chemin ; bref : l'humanité, une merde de mouche dans le Cosmos... Alors, que faire, si ce n'est tomber dans la déprime ou, afin de ne pas y sombrer, dans des croyances ou des religions sans fondement ? Ou encore faire n'importe quoi, tiraillé entre son éducation structurante et des expériences de vie qui ne le sont pas.
Baudelaire, qui s'est laissé aller à la pensée aristocratique (avec ou sans raison – ça le regarde ; dans un sens, je le comprends) et qui était loin d'être un con, a bien cerné le problème : "(...) ce que je sens, c'est un immense découragement, une sensation
d'isolement insupportable, une peur perpétuelle d'un malheur vague, une
défiance complète de mes forces, une absence totale de désirs, une
impossibilité de trouver un amusement quelconque." (Lettre à Madame Aupick, sa maman, 30 décembre 1857)
Walter dira, à raison : "C'est là que l'expression 'imbécile heureux' prend tout son sens" : l'imbécile ne se pose pas de questions, il est content de tout ce qu'il rencontre dans l'existence, blablabla... Mais Walter et moi ne sommes même pas certains que ce soit vrai : des idiots dépressifs, ça existe aussi (nous avons plein d'exemples en tête). Je me rends bien compte, en écrivant tout cela, que je suis à la limite (à la limite ?) de l'élitisme et de la prétention déplacée, mais je m'en contrebalance.
Il a également été question du travail comme d'un moyen de lutte contre la dépression : en travaillant, on se rattache à une routine, à un horaire, on se sent moins hors système. À y réfléchir, c'est totalement paradoxal : le temps de travail, tel que je le conçois, devrait être limité au plus strict minimum tant il est abrutissant. En optimisant au mieux les compétences, les créativités de chacun, on pourrait travailler beaucoup moins. Cioran encore : "Le travail : une malédiction que l'homme a transformée en volupté" ; ou Russell : "L'un des symptômes d'une proche dépression nerveuse est de croire que le travail que l'on fait est terriblement important". Quand je lis Russell, je me dis que je ne suis pas dépressif. (J'y reviendrai (un jour).)
Nous décidons d'aller manger une pizza à la pizzeria de la Place de Bethléem, à deux pas du Parvis. Walter, exténué par ses vaccins (dit-il), prend sa voiture pour aller jusque-là. Nous faisons le tour du quartier pendant un quart d'heure, tout ça pour... nous garer à 100 mètres du Parvis.
Je m'étais déjà rendu quelques fois dans cette pizzeria mais toujours en terrasse, en été ou au printemps, jamais à l'intérieur. À l'intérieur, c'est... euh... différent. Il n'y a pas de serveur, simplement un type qui arrive de temps en temps pour nous servir, mais nous voyons bien que c'est le cadet de ses soucis. Son problème, à lui, c'est de parler avec d'autres gars d'un truc qu'il montre du doigt sur l'écran de son ordinateur portable. "C'est une couverture, c'est clair", dira Walter. La pizza, par contre, est délicieuse.
Walter me parle d'un curieux épisode de Columbo, "Last Salute to the Commodore" (1976), un des seuls de la série au cours duquel Columbo n'est lui-même pas certain du coupable (un affront au canon "columbien"). En effet, contrairement à la plupart des épisodes, le coupable est révélé à la fin : un "whodunnit", comme on dit dans le jargon policier (un "truc" plus typique d'Agatha Christie que du lieutenant à l'imperméable) !
Walter (en forme tout compte fait, malgré ses vaccins) parle également du rapport entre l'existentialisme de Sartre et En attendant Godot de Beckett. Dans la mesure où je ne connais ces sujets que de manière très superficielle, je suis bien incapable de comprendre, ni même de répondre quelque chose de sensé.
Emily revient de ses vacances en Haute-Savoie : elle est quelque part entre l'aéroport de Zaventem et la Gare de Bruxelles-Midi. Elle doit nous rejoindre. Après avoir mangé notre pizza, nous allons à sa rencontre et la retrouvons dans une rue de Saint-Gilles, avec son sac à dos et sa valise à roulettes qui fait du bruit (roulouroulouroulourou sur les pavés). La rencontre se passe presque exactement en face de l'immeuble où vit de Léandra.
Nous terminons la soirée à l'Union. Emily et Walter remarqueront à plusieurs reprises que "c'est bien mieux qu'au Verschueren", "qu'il y a moins de poivrots", "qu'il y a plus d'étudiants". Normal : quand on est étudiant et qu'on est au Parvis, on va à l'Union (rien n'a changé en dix ans). N'empêche : je préfère le Verschueren, je persiste et signe, et je vous emmerde tous autant que vous êtes !
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Nous décidons d'aller manger une pizza à la pizzeria de la Place de Bethléem, à deux pas du Parvis. Walter, exténué par ses vaccins (dit-il), prend sa voiture pour aller jusque-là. Nous faisons le tour du quartier pendant un quart d'heure, tout ça pour... nous garer à 100 mètres du Parvis.
Je m'étais déjà rendu quelques fois dans cette pizzeria mais toujours en terrasse, en été ou au printemps, jamais à l'intérieur. À l'intérieur, c'est... euh... différent. Il n'y a pas de serveur, simplement un type qui arrive de temps en temps pour nous servir, mais nous voyons bien que c'est le cadet de ses soucis. Son problème, à lui, c'est de parler avec d'autres gars d'un truc qu'il montre du doigt sur l'écran de son ordinateur portable. "C'est une couverture, c'est clair", dira Walter. La pizza, par contre, est délicieuse.
Walter me parle d'un curieux épisode de Columbo, "Last Salute to the Commodore" (1976), un des seuls de la série au cours duquel Columbo n'est lui-même pas certain du coupable (un affront au canon "columbien"). En effet, contrairement à la plupart des épisodes, le coupable est révélé à la fin : un "whodunnit", comme on dit dans le jargon policier (un "truc" plus typique d'Agatha Christie que du lieutenant à l'imperméable) !
Walter (en forme tout compte fait, malgré ses vaccins) parle également du rapport entre l'existentialisme de Sartre et En attendant Godot de Beckett. Dans la mesure où je ne connais ces sujets que de manière très superficielle, je suis bien incapable de comprendre, ni même de répondre quelque chose de sensé.
Emily revient de ses vacances en Haute-Savoie : elle est quelque part entre l'aéroport de Zaventem et la Gare de Bruxelles-Midi. Elle doit nous rejoindre. Après avoir mangé notre pizza, nous allons à sa rencontre et la retrouvons dans une rue de Saint-Gilles, avec son sac à dos et sa valise à roulettes qui fait du bruit (roulouroulouroulourou sur les pavés). La rencontre se passe presque exactement en face de l'immeuble où vit de Léandra.
Nous terminons la soirée à l'Union. Emily et Walter remarqueront à plusieurs reprises que "c'est bien mieux qu'au Verschueren", "qu'il y a moins de poivrots", "qu'il y a plus d'étudiants". Normal : quand on est étudiant et qu'on est au Parvis, on va à l'Union (rien n'a changé en dix ans). N'empêche : je préfère le Verschueren, je persiste et signe, et je vous emmerde tous autant que vous êtes !
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