Aujourd'hui, je décide d'arriver tôt (comprendre : à l'heure) à mon travail. Je me lève à 6h16 afin de ne pas rater le train de 6h57 en direction de Liège-Guillemins. Arrivé en gare de Bruxelles-Midi, je constate que le train n'a aucun retard : jusque là, rien de drôle ! Cependant, alors que je suis à Bruxelles-Nord, Fred m'envoie un message d'avertissement, pour me signaler que le chemin de fer wallon est totalement immobilisé à cause d'un arrêt de travail généralisé. Je lui réponds que "mais non, voyons, le train pour Liège roule sans problème".
Le début du trajet se déroule sans encombre. Le train sort de Bruxelles et file à toute allure à travers les villes et villages flamands, jusqu'à Leuven. Cette histoire de train à l'heure, sans incident, sans ralentissement, c'était trop beau pour être vrai. À Leuven, le contrôleur nous apprend que le train n'ira pas plus loin, à cause d'un mouvement de grève à Liège et un peu partout ailleurs en Wallonie. Je descends donc du train et rencontre Flippo sur les quais. Plus aucun train ne roule jusqu'à la Cité ardente et nous décidons donc de faire demi-tour pour rentrer à Bruxelles.
Nous prenons un train pas direct du tout en direction de la capitale, celui qui longe la ligne 53 Leuven-Mechelen, avant de bifurquer sur la ligne 25 pour revenir à Bruxelles. Tout cela prend des plombes. Ma vie est terriblement passionnante. Durant le trajet, Flippo téléphone à une série de collègues pour les prévenir qu'il ne pourra pas être là aujourd'hui. De mon côté, je préviens ma collègue Rolande qui, ayant écouté les informations à la radio, se doutait bien que je ne pourrais pas venir.
Je retourne donc chez moi et travaille à domicile. Dans l'absolu, ça ne change strictement rien, dans la mesure où je n'ai nullement besoin d'être au boulot pour faire ce que j'ai à faire pour l'instant (à savoir écrire un article et travailler sur un site Web) et où je suis de fait plus productif chez moi qu'à mon bureau. Un paradoxe : comme je travaille dans un institut d'histoire du mouvement ouvrier, je suis plus "utile" à la gauche en travaillant qu'en faisant grève... À cela, ma collègue Wynka répondrait sans doute : "Ouais, c'est ce qu'on veut te faire croire !" (En fait, je suis un suppôt du Grand Capital.)
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Cette grève "sauvage" des cheminots a apporté de l'eau au moulin de tous ceux qui critiquent les syndicats et le droit de grève : "En période de Noël, quelle honte !", "Une bande de paresseux : ils allongent leur week-end pendant que d'autres triment au travail", "Aucune solidarité par rapport à ceux qui bossent", peut-on lire sur sur les médias sociaux ou les forums de presse.
Curieux commentaires car, à voir le contenu de la réforme contre laquelle les syndicats s'insurgent, il est presque incroyable que la réaction n'ait pas été encore plus vive, tant ladite réforme a été pensée sans presque aucune concertation avec les partenaires sociaux et change entièrement la donne en matière de pension et de prépension dans le service public (en résumé : il faudra travailler beaucoup plus pour recevoir la même chose)...
Il est toujours intéressant de prendre un peu de recul par rapport aux événements... Cette situation de malaise social en période de fêtes rappelle un autre conflit historique, vieux de plus de cinquante ans : la grande grève générale de 1960-61 en Belgique. Le contexte : le pays vient de perdre le Congo, la dette publique est élevée et le Gouvernement Eyskens IV, en fonction depuis le 3 septembre 1960 et composé de sociaux-chrétiens et de libéraux, décide de mettre en place un plan d'austérité connu sous le nom de "Loi unique", plan qui sera débattu au Parlement à partir du 20 décembre 1960. À l'époque cependant, le premier ministre n'était pas estampillé "socialiste".
En 1960-61, les mouvements de grèves sont spontanés et échappent en partie à l'organisation syndicale ; le Nord part en grève assez rapidement (les dockers à Anvers, notamment), mais c'est surtout en Wallonie que le mouvement perdurera ; les syndicats, d'abord dépassés par leur base, sont obligés d'accepter le mouvement de gronde ; les cheminots sont très virulents ; la grève devient rapidement générale en Wallonie et bloque toute la région pendant de nombreuses semaines ; la gare de Liège-Guillemins est saccagée... À terme, la Loi unique sera votée mais le gouvernement Eyskens, épuisé par ces grèves massives, finira par tomber le 25 avril 1961. Mon collègue Aurèle en parlerait sans doute de manière moins caricaturale que moi : il a travaillé au moins six mois sur le sujet.
Un message que je passerais bien à tous les râleurs anti-syndicalistes de 2011-2012 : "Préparez-vous à râler pendant un petit temps encore car ça ne va sans doute pas aller en s'améliorant."
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En soirée, Emily, Walter et moi allons manger à la Porteuse d'Eau à Saint-Gilles. Walter est bien décidé à partir pendant six mois au Congo pour le compte de l'ONG Acted. Il semble assommé par les six vaccins qu'il a reçus aujourd'hui et ramène constamment la conversation aux quelques thématiques qui l'intéressent. Emily, quant à elle, s'est coincé l'épaule gauche. Emily mange un chicon au gratin, Walter un demi-poulet et moi un américain "maison". Nous buvons un dernier verre au Potemkine puis rentrons tranquillement chez nous (Emily me reconduit, comme d'habitude).
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