Vendredi 4 novembre 2011
Je profite de l'absence de ma fille ce week-end pour commencer mon récit.
J'ai déjà mentionné à maintes reprises dans ce journal les facultés mémorielles et imaginatives de ma fille Gaëlle. Elle n'a aucun don pour les jeux, aucun don pour les échecs, aucun don pour la stratégie, mais elle a une fabuleuse mémoire "à tiroirs" ainsi qu'une imagination débordante.
Gaëlle se souvient de tout : de chaque événement, de chaque phrase, de chaque mot prononcé. Lorsque je lui lis une histoire, une et une seule écoute lui suffit pour emmagasiner jusqu'au moindre événement, jusqu'au moindre vocable, jusqu'à la moindre intonation, à tel point qu'elle serait capable de me ressortir mot pour mot chacun des termes de la banale aventure narrée au pied de son lit un soir de mauvais temps, un an auparavant.
Et depuis peu, Gaëlle apprend à lire et à écrire.
Depuis peu, Gaëlle découvre le monde des idées.
Gaëlle imagine, depuis l'âge de trois ans, un univers qui n'appartient qu'à elle. À trois ans et des poussières, elle a créé un personnage sans forme ni âge définis, qu'elle a toujours nommé, pour je ne sais quelle raison, "Nona".
Nona était/est/sera une petite fille.
Mais Nona n'était pas (et n'a jamais été) une petite fille.
Nona avait trois ans.
Puis, du jour au lendemain, elle en a eu trente.
Nona était vivante.
Puis, du jour au lendemain, elle est morte.
"Désormais, elle vit dans le ciel."
"Désormais, elle a des ailes."
Ce n'est pas moi qui le dis, c'est Gaëlle.
Jusque là, rien que de très banal. Tous les enfants ont leurs objets transitionnels ; tous les enfants s'inventent des histoires de croque-mitaines ; tous les enfants s'imaginent des monstres tapis sous leur sommier. Peu importe la forme que prend l'aventure ainsi créée : elle contient les peurs, elle organise l'inconnu, elle contrôle le néant, elle apprivoise la mort.
Si seulement ce n'était qu'une simple histoire de croque-mitaine.
Si seulement ce n'était que dans son imagination.
Le reste de l'histoire, il m'a fallu un certain temps pour la digérer. Et il m'a fallu encore plus de temps pour l'écrire.
Le village de mon enfance est endeuillé par la mort d'un troisième enfant et cela ne peut pas – ne peut plus – être dû à la simple contingence, au simple jeu des statistiques.
Gaëlle tue, sans le savoir.
Elle a commencé avec de simples animaux – avec des chats.
Putain de chats.
Aujourd'hui, plus âgée et plus intelligente, elle est en mesure de mettre en scène – d'organiser ? – le meurtre d'êtres humains.
Elle ne s'en rend pas compte mais ça marche.
Je saute des étapes essentielles à la compréhension. Je ne sais si un jour ce journal sera lu par un autre que moi mais peu importe au final ! Ne fût-ce que pour ma propre santé mentale, et aussi pour appréhender l'entièreté de ce phénomène macabre, il faut que je couche sur papier toute l'histoire. Toute l'histoire, oui, depuis le meurtre du premier chat. Depuis le meurtre d'Isidore.
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