Ce matin, je travaille à l'un des dépôts d'archives. — Si je prends pour référentiel un temps très long (un millier d'années est sans doute suffisant ici, bien que, pourtant, ce ne soit pas à proprement parler un temps très long ; mais qu'est-ce qu'un temps très long ?), à quoi cela sert-il de dépoussiérer des archives, de les reconditionner, de les cataloguer, de les inventorier ? Tous ces papiers sont, tout comme nous tous, à plus ou moins court terme, voués à la destruction. Même numérisés, ces documents seront détruits et oubliés un jour prochain. — Plongés dans notre quotidien, nous ne pensons que très rarement, voire jamais, au long terme (comme, par exemple, un million d'années dans le futur) et encore moins au très long terme (comme plusieurs milliards d'années, ou plus loin encore : la mort du soleil ; l'univers proche du zéro absolu et l'impossibilité de toute vie). Quand bien même tous ces documents seraient correctement numérisés, bien catalogués et par conséquent peut-être préservés pendant des siècles ou des millénaires, les informations qu'ils contiennent finiront tout de même un jour par ne plus exister du tout. — « Tout cela est vain ! », dis-je à Lodewijk ce mercredi matin en montant une étagère, après lui avoir brièvement résumé cette pensée fugace. L'exclamation prend la forme d'une boutade et nous en rions à plusieurs moments de la matinée, mais elle est tout de même terriblement réaliste. Ce qui a de l'importance aujourd'hui en aura beaucoup moins demain et, plus tard encore, à un moment beaucoup plus rapproché qu'on ne pourrait l'imaginer de prime abord, ce qui a de l'importance aujourd'hui n'en aura plus du tout. Souvent, pour me convaincre de cette pensée, je réfléchis à autre chose qu'à des simples papiers inertes : je pense à mes huit arrière-grands-parents... Que sais-je de leur vie à l'exception de quelques informations disparates : un prénom, un nom, quelques rares anecdotes ? Leur existence toute entière est oubliée ; ils ont presque déjà disparu ; dans deux ou trois générations, ils n'existeront tout simplement plus du tout. Je pourrais néanmoins retrouver leur trace, faire une généalogie, reconstruire une parcelle de leur vie au prix de nombreux efforts (ce qui pourrait être passionnant, soit dit en passant), mais dans mille ans (et si pas dans mille ans, dans dix mille ans !), cette recherche sera de toute façon perdue. — Mais alors pourquoi, pourquoi est-ce que je continue à donner de l'importance à tout ce que je réalise ? Pourquoi est-ce que je me relis sans cesse, traquant la faute ? (Parce que je ne peux m'empêcher d'être humain et de combler l'ennui du mieux que je peux, voilà pourquoi !)
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