lundi 8 avril 2013

L'attaque du pigeon

De bon matin, dans la voiture de ma mère qui me conduit jusqu'à la gare, le journal radiophonique de sept heures s'ouvre sur une futilité : l'histoire d'un homme qui a reçu une amende de cinquante euros pour avoir écouté trop fort de la musique alors qu'il était au volant de son véhicule.
« Est-ce avec une actualité si insignifiante que l'on commence un journal, à une heure de très grande écoute, sur la première radio francophone du pays ?
— Ce n'est pas si insignifiant : le monde est de plus en plus incivique ! » me rétorque ma maman.
Je soupire mais je ne réponds pas : à quoi bon ? Le reportage continue. Le contrevenant a même droit à une interview dans laquelle il explique entre autres avoir passé l'âge de mettre la musique à fond dans sa voiture. Je me dis que ce monsieur doit avoir au moins un ami journaliste au sein de cette radio pour arriver à occuper l'antenne si longtemps avec son banal problème administratif. — Je réfléchis un instant et reviens, fort heureusement, assez rapidement sur ma première opinion : après une information d'un tel poids et d'une si grande qualité, j'espère de tout mon cœur qu'un important débat viendra secouer le pays, voire l'Europe tout entière : le monde est-il en train de devenir incivique ou bien l'homme était-il dans son droit ? Le policier a-t-il abusé de son autorité ? Jusqu'à quel volume sonore peut-on écouter la radio sur la voie publique ? Et surtout : pourquoi le lièvre-wallaby à lunettes préfère-t-il vivre seul la nuit dans la moiteur tropicale de l'Île de Barrow ? Et aussi : pourquoi ce dernier s'enfuit-il en zigzaguant ? — Ha, comme il me tarde d'enfin détenir les réponses à tous ces mystères de la nature qui, depuis tant de millénaires, tenaillent l'humanité en mal de savoir !

Au boulot. — Je déboule dans la salle de lecture. Mon air faussement affligé cache difficilement un méchant rictus de contentement :
« Margaret Thatcher est morte !
— Eh bien, il lui en aura fallu du temps ! », s'exclame Christiane.

Premier bureau du deuxième étage.
« Margaret Thatcher est morte !
— Ha bon ?
— Après Reagan et Friedman, encore une de moins ! »

Second bureau du deuxième étage.
« Margaret Thatcher est morte !
— Oh-oh ? »

Le décès de Thatcher représente une libération symbolique pour la gauche. — Si une personne encense Thatcher et sa façon de voir le monde, elle ne peut pas être de gauche : voilà un baromètre particulièrement fiable.

La politique néolibérale (privatisation de ce qui avait été nationalisé dans l'immédiat après-guerre, dérégulation, ouverture totale de l'économie aux capitaux étrangers...) que Thatcher a mise en place dans ce laboratoire économique qu'était la Grande-Bretagne des années 1980 est en ce moment une réalité plus vivace que jamais — et pas qu'en Angleterre ! Pas la peine de pleurer sa mort, mais pas la peine non plus de s'en réjouir outre mesure, car le thatchérisme sert aujourd'hui de mortier aux briques du mur européen — et pas qu'européen !

Cette fois-ci, il aura seulement fallu cinq petits jours pour que Thatcher, première sur ma liste des personnalités qui feraient bien de rejoindre au plus vite le Royaume des morts, ne décède réellement. — Idée lumineuse : et si je me reconvertissais en oracle et adressais des prophéties à destination de tous ces gobe-mouches qui croient au moindre signe ?

Le soir, de retour chez mes parents. — Ma mère me raconte cette curieuse anecdote : Gaëlle et elle sont allées boire une grenadine et un café à la terrasse chauffée d'une brasserie de la rue de la Monnaie, à Namur. Soudain, un pigeon a fondu sur elles pour piquer les quelques cacahuètes qui traînaient dans un petit bol au centre de la table. L'animal a renversé au passage la grenadine de ma fille qui s'est déversée partiellement dans le café de ma mère. — Va-t-il bientôt falloir se réfugier dans un restaurant de la Bodega Bay et barricader toutes les fenêtres ?

« Flûte, ça y est : je n'ai à nouveau plus de voix !
— Moi, j'ai ça tout le temps à l'école », répond Gaëlle dans le salon, « tellement je n'arrête pas de parler ! »

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