Déchaînement annonciateur. — Les éclairs violents, le tonnerre très rapproché et les grêlons qui claquaient aux fenêtres de la maison familiale hier soir jouaient une mélodie particulière que j'attendais depuis neuf mois : un prélude au printemps.
Punching ball. — Début d'après-midi, dans une fête foraine avec Gaëlle et ma mère. Pendant que ma fille s'amuse seule sur la piste d'auto-scooters* pour enfants, j'observe les petits groupes de jeunes qui se succèdent autour d'un punching ball de foire situé un peu plus loin, droit devant moi. La même configuration se répète un certain nombre de fois : il y a toujours le grand baraqué sûr de lui qui joue son rôle de mâle dominant, accompagné de deux ou trois suiveurs qui font semblant d'être des durs, mais qui n'en mènent pas large. Le premier ouvre la voie : il fait sa fête au punching ball. Ensuite, chacun des autres imite le mouvement du maître avec plus ou moins de succès. S'il réussit le test, il a droit à un silence d'approbation ; s'il le rate, il a droit aux quolibets. — Des souvenirs de cour de récréation remontent à la surface : oui, j'ai eu quelques bons amis du genre « castars** au cœur tendre » qui assuraient ma défense (à l'école primaire, c'était même une véritable garde personnelle que j'affublais de grades militaires), mais j'ai tout de même toujours été complètement étranger, voire ennemi, de ces groupes « au punching ball », pour le meilleur et pour le pire. Maintenant que je suis adulte, ces écervelés aux gros muscles ne me remarquent plus ; ils me foutent une paix royale. Et je peux même me permettre de les observer à la manière d'un éthologue (une toute petite revanche sur le temps).
Délabrement. — Les bulldozers, les carrousels et les auto-scooters ont beaucoup de succès. Les autres attractions sont désertées et font pitié. Gaëlle veut absolument essayer l'aventure des pirates et le palais des glaces. De toute ma vie, je n'ai jamais vu des attractions aussi minables et délabrées : le parcours de pirates est simplement et tristement constitué de quelques échelles en métal et de deux types de pièges ridicules ; quant au palais des glaces, il est tellement mal entretenu que certains miroirs ne jouent plus leur rôle de cloison. — Il semblerait que ce n'est pas encore aujourd'hui que je me réconcilierai avec le monde de la fête foraine.
George. — Aux alentours de minuit. George Costanza est dans sa voiture à l'arrêt en compagnie d'une dame, Carol, qui s'apprête à rejoindre son appartement. Le rendez-vous s'est bien déroulé : George a l'air détendu, il fait de l'humour pas trop mauvais... Puis vient le moment où tout bascule. « Tu montes prendre un café ? » lui demande-t-elle. Réponse : « Non, merci. Le café m'empêche de dormir. » La dame partie, George, resté dans sa voiture, recouvre ses esprits et se met à pester. On l'entend presque penser tout haut : « Mais pourquoi est-ce que j'ai répondu un truc pareil ? ». Plus tard, chez Jerry Seinfeld, George est toujours en train d'y réfléchir en maugréant : « Elle m'invite chez elle, à minuit, pour prendre un café, et je refuse : "Non, merci... Je ne veux pas de café... Ça m'empêche de dormir... Il est trop tard...", voilà ce que je lui ai dit ! Des idiots comme moi ne mériteraient pas de vivre. » — Ce George, qui est incapable de comprendre ce que signifie « prendre un café à minuit » et qui découvre, mais trop tard, que le café en question était plus que vraisemblablement un simple prétexte pour une invitation d'ordre sexuel, ce George, donc, est une très belle métaphore de ma propre vie sexuelle pour le moins inexistante, cette vie qui consiste à s'exclamer, deux jours après les faits : « En fait, tout s'explique : elle me draguait ! »
« She invited me up! Coffee's not coffee: coffee is sex! »
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* « Auto-scooters » : auto-tamponneuses en belge.
** « Castar » : encore un belgicisme qui signifie costaud.
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