De l'épuisement : voilà ce que j'ai ressenti à la fin de ce souper chez Fabien en compagnie de Mary, Jerry et Augustin. Un épuisement en rapport avec les diverses discussions, pourtant intéressantes ; plus précisément avec la forme que ces discussions ont prise au bout d'un moment.
La plupart des thèmes abordés lors de cette soirée ont été initiés par Augustin et ont petit à petit pris l'allure de discours culturels à la rhétorique bien huilée. Comme je ne suis pas très cultivé et que je suis incapable d'exprimer oralement ce que ce je pense sans être confus ou bien sans m'énerver, j'ai dû passer au mieux pour un taciturne, au pire pour un idiot.
* * *
Une conversation sur la terrasse de l'appartement de Fabien tourne autour de la pornographie : « Je suis un pornographe ! », déclare Augustin. Puis : « Il faudrait étudier la sociologie du porno ! » Je suis bien d'accord avec lui et je pense que, tant qu'on y est, il faudrait aussi en écrire l'histoire complète et non censurée, de la Préhistoire à nos jours. Augustin, en tant que journaliste, voudrait aussi interviewer des porn addicts, des hommes très dépendants à la pornographie. Tout le monde autour de moi semble considérer qu'un film pornographique ne se regarde pas pendant des heures entières, que tout « se termine assez vite dans un mouchoir » (l'expression est à nouveau d'Augustin). — Je souris mais ne dis rien. Je pense que j'ai bien fait de me taire.
De la pornographie, nous bifurquons vers la circoncision, avec cette terrible question : comment un homme se masturbe-t-il lorsqu'il est circoncis ? Le plaisir est-il le même ? — Dans le cas présent, je suis content de pouvoir éclairer mon entourage en répondant à la deuxième question : « Ayant subi l'opération alors que j'étais déjà un adulte accompli, je peux vous assurer que ça ne change pas grand-chose au niveau du plaisir... Du moins en ce qui me concerne. » Ils prennent un air un peu étonné. Je pense que j'aurais mieux fait de me taire.
Je me demande pourquoi je réagis de cette manière. Somme toute, je ne suis pas du tout contre le fait qu'un artiste ou un écrivain reçoive des subsides... Je me fâche sans raison : « Mais pourquoi faudrait-il absolument qu'il y ait des subsides ? L'art pour l'art, et non l'art pour l'argent !
— Ça, c'est la conception du XIXe siècle ! »
(J'ai une conception du XIXe siècle !)
Sur la philosophie et le savoir : « Il n'existe plus de généralistes : désormais, on ne traite plus de la folie, par exemple, mais d'objets beaucoup plus spécialisés, comme le burnout. » Je ne dis rien, mais je pense : « Quel dommage que les généralistes soient en voie de disparition ! » Des hommes comme de Vinci ou comme Goethe — s'intéressant à l'art comme à la science, à la politique comme à la philosophie, capables de tisser des liens entre des savoirs très différents — manquent cruellement à l'humanité (sont-ils encore seulement possibles ?).
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