Petit colis. — Un petit colis Amazon m'attend chez mes parents. À l'intérieur, l'Essai sur la métamorphose des plantes de Goethe, reproduit selon la traduction imprimée en 1829 ; les Leçons et conversations sur l'esthétique, la psychologie et la croyance religieuse de Wittgenstein ; et enfin, les Carnets que ce dernier a écrits durant les deux premières années de la Première Guerre mondiale, alors qu'il était engagé volontaire au service de l'armée austro-hongroise. — L'ami Ludwig n'a donc pas fini de me hanter et, par effet de porosité, de hanter ce journal, malgré la promesse, faite il y a 168 jours, de ne plus jamais en parler.
C'est que Wittgenstein a — comme le professeur Rollin — toujours quelque chose (d'intéressant) à dire. Par exemple, ses propos sur Freud, que l'on retrouve au sein de ses conversations avec Rush Rhees (comptabilisant à peine vingt pages) sont formidablement éclairantes : L.W. assimile l'analyse freudienne à une mythologie dont le principal attrait (ou charme) est de créer chez le « patient » un mythe personnel qui n'a pas — et ne peut pas avoir — de fondement scientifique, car l'interprétation symbolique qui découle de cette analyse est invérifiable et hors du domaine de la preuve. Cependant, l'aspect mythologique du discours psychanalytique (qui fait entrer la vie dans une sorte de canevas tragique) a le don de rendre les choses beaucoup plus claires pour la personne qui le prend pour vrai. (Faudra que j'en reparle, une autre fois.)
Quant à Goethe, je l'adore car il est à mes yeux l'incarnation — j'allais dire vivante mais hélas elle est morte ! — du génie touche-à-tout. En témoigne ce traité de botanique où le poète/philosophe/écrivain, sur base de l'observation minutieuse de différentes plantes, en vient à développer une théorie selon laquelle les différentes parties extérieures d'une plante (calice, étamines, pistil...) opèrent tout au long de leur cycle de vie une série de métamorphoses qui, malgré leur apparente différence, sont des déclinaisons d'un seul et même organe originel, sorte de forme primordiale du végétal. Goethe aborde la plante sous son angle philosophique, en quelque sorte. (J'en parle déjà un peu ICI.)
Suite logique. — J'écris sur une feuille blanche les chiffres suivants : « 0 - 1 - 3 - 6 » et je demande à Gaëlle quel est le nombre qu'il faut écrire ensuite. Elle regarde un bref instant la page, ses yeux s'illuminent, puis elle se met à compter sur ses doigts. Ensuite, elle finit par inscrire « 10 ». — Me voilà rassuré : ma fille n'est pas complètement idiote (mais ça, je le savais déjà).
Enfant mort. — Pour endormir Gaëlle (tu parles !), trois contes. — Pour le premier, je lui demande de me donner trois termes grâce auxquels je pourrai développer le récit. Elle me propose : « Monstre méchant », « Enfant mort » et « Monstre gentil ». Je lui raconte alors l'histoire d'une jeune petite princesse, du nom de Gretel, vivant dans un château. Chaque jour, elle se rend, de plus en plus apeurée, auprès de ses parents (le roi et la reine) et leur explique la situation : « Toutes les nuits, j'entends les dents d'un monstre grincer sous mon lit ! » Mais à chaque fois, son père tonne : « Les monstres n'existent pas ! Tu peux dormir en paix. »
Les grincements de dents redoublent d'intensité jusqu'à cette nuit terrifiante où ils s'accompagnent de hurlements lugubres sous le parquet de la chambre. Et chaque jour, la petite princesse, de plus en plus terrorisée, se rend dans la salle du trône et tente de convaincre ses parents que le monstre est de plus en plus proche — du moins lui semble-t-il. Mais le père refuse de la croire... « Les monstres n'existent pas ! Dors en paix, ma fille ! », lui hurle-t-il.
Le lendemain, la petite fille ne se réveille pas, comme elle en a l'habitude, dès les premiers rayons de soleil. La mère est inquiète : et si son histoire de monstre était vraie ? Le père, quant à lui, est très énervé car il n'aime pas les fainéants et déteste qu'on lui casse les tympans avec tous ces bobards ridicules. La reine monte à l'étage et ouvre doucement la porte de la chambre, craignant le pire. Au départ, elle ne voit rien d'autre que sa fille dormant paisiblement, mais elle remarque ensuite que la peau blanche et diaphane du petit enfant a été mordue à différents endroits du corps : le cou, le bras gauche, la jambe droite... La mère se met à hurler. Le père monte à l'étage, voit la scène et dit calmement à son épouse : « Les monstres n'existent pas, mais notre fille dort en paix, désormais. »
Le père oublie très vite la mort de son enfant. D'un haussement d'épaule, il essaie de consoler sa femme : « Ce n'est pas grave. Nous en ferons un autre que nous appellerons également Gretel. » Mais la mère refuse d'oublier si rapidement sa fille. Toutes les nuits, la voix lancinante d'un monstre hante son esprit... Un autre monstre, un monstre gentil : une tortue (je tiens ça de Ça). « Je peux ressusciter ta fille », lui dit le monstre, « Demande de vive voix, et ta fille reviendra ! » La reine s'exécute aussitôt, la petite princesse revient à la vie et tout est bien qui finit bien... Sauf que le roi, voyant sa fille à nouveau vivante, éclate de colère : « Les morts ne reviennent pas à la vie ! Tu devrais dormir en paix, aujourd'hui ! »
(La fin est un peu plate. En la retranscrivant dans ce journal, je me dis que j'aurais dû donner à cette histoire une autre trajectoire, dans laquelle le meurtre de la fille n'aurait pas été un acte commis par un quelconque monstre imaginaire, mais tout simplement par le papa.)
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