« 207. "Étrange coïncidence que toute personne dont on a ouvert le crâne avait un cerveau !" » (Ludwig Wittgenstein, De la certitude, 1969 [posthume])Train Liège-Namur, début d'après-midi. Dans le même wagon que moi, deux jeunes femmes discutent. Elles sont à la lisière de l'âge adulte, peut-être en première année d'école supérieure... L'une d'elle est un curieux mélange entre Fany et Mary. Elle possède le côté très dynamique de la première et la façon de parler ainsi que l'accent de la seconde. Elle avoue à sa copine qu'elle croit avoir des troubles obsessionnels compulsifs :
— J'te jure, je crois que j'ai des TOC !
— Haha !
— Naaaan, mais rigole pas, c'est pas drôle, grave quoi !
— Hum.
— Dernièrement, là, j'étais chez Dimitri, t'vois, et chez Dimitri, c'est trop space : les murs de sa cuisine sont entièrement noirs. Par contre, sa salle à manger est toute blanche. Et ses chaises sont soit noires, soit blanches !
— Et ?
— Et ben, ça me perturbe à fond.
— Pourquoi ?
— Ça me rend anxieuse de voir qu'il y a deux couleurs... En plus, parfois, les chaises sont mises n'importe comment et ne sont pas ordonnées par couleur ou par paire de couleurs.
— C'est pas si grave, pourtant.
— Si ! Franchement, j'ai du mal à rester dans la pièce. J'ai envie de tout repeindre. Et c'est comme ça dans plein de situations, avec les vêtements aussi par exemple. J'ai beaucoup de mal avec les vêtements dépareillés.
La pauvre, comme je la plains...
* * *
Walter, au Congo depuis à peine une semaine, m'envoie un message pour me signaler que sa mission est annulée pour raison de sécurité et qu'il rentrera en Belgique dès dimanche. Nous avions prévu, Emily, Léandra et moi, l'éventualité d'un retour hâtif, mais jamais nous aurions pu imaginer que ce fût aussi tôt.
* * *
Je reviens chez mes parents avec ma fille. Dans le salon, m'attend un colis estampillé "Amazon", celui que j'ai commandé il y a deux semaines. Il contient trois livres de Ludwig Wittgenstein (Recherches philosophiques, Le Cahier bleu et le Cahier brun, De la certitude) et Le mythe du progrès de Georg Henrik von Wright.
J'ai envie depuis quelques mois de me replonger dans la philosophie. Lire Wittgenstein post-Tractatus (celui que l'on nomme parfois le "second Wittgenstein") m'a paru une bonne idée pour commencer, je ne sais pourquoi. Ou plutôt si : je sais exactement pourquoi ! Je suis beaucoup trop solipsiste pour le moment ; trop versé dans l'idéalisme, au sens philosophique du terme ; j'ai trop tendance à considérer ce que je vois et ressens comme étant le fruit d'une construction de mon cerveau.
Comme l'a notamment expliqué Bertrand Russell dans Human Knowledge: Its Scope and Limits (1948), ce type de conception est "psychologiquement impossible à croire et est rejetée dans les faits par ceux-là même qui disent l'accepter". Un exemple paradoxal : si j'explique à Léandra que je conçois mes pensées comme étant le seul univers existant (sous-entendant que le reste de l'humanité, y compris Léandra donc, n'existe pas en tant qu'ensemble de personnalités individuelles douées de raison), je suis dans une contradiction avec moi-même : si je pense cela, pourquoi dès lors est-ce que je lui parle, pourquoi est-ce que je réagis avec les humains comme s'ils existaient ? Autrement dit : lorsque je pense en termes de solipsisme, je pense une règle du jeu que je suis incapable d'appliquer réellement. Heureusement, sans doute.
Mais pour tout dire, je ne suis pas certain que Wittgenstein m'aidera en quoi que ce soit pour surmonter mon "blocage philosophique" actuel. Rien qu'en feuilletant De la certitude, je me dis que l'ami Ludwig et ses aphorismes vont peut-être même réussir l'exploit de me rendre encore plus incertain qu'avant. Exemples :
« 24. La question que pose l'idéaliste est à peu près celle-ci : "De quel droit est-ce que je ne doute pas de l'existence de mes mains ?" (Et à cela la réponse ne peut pas être : je sais qu'elles existent.) Mais celui qui pose une telle question néglige le fait qu'un doute portant sur l'existence ne peut fonctionner que dans un jeu de langage. Qu'il nous faudrait donc d'abord demander : de quoi aurait l'air un tel doute ? Car nous ne le comprenons pas d'emblée. »« 159. Enfants, nous apprenons des faits, p. ex. que tout être humain a un cerveau, et nous les acceptons les yeux fermés. Je crois qu'il existe une île, l'Australie, qui a telle forme, etc. Je crois que j'ai eu des arrière-grands-parents, que les personnes qui disaient être mes parents étaient réellement mes parents, etc. Cette croyance peut ne jamais avoir été exprimée ; et même la pensée qu'il en est ainsi, jamais pensée. »
Je vais être obligé d'être très attentif pour suivre la pensée de cet homme hors du commun, à l'écriture incisive et à la ponctuation très particulière. Je vais devoir me jeter à corps perdu dans cette philosophie si je veux en retirer quelque chose, ou à tout le moins la comprendre. Rien que cette idée me met du baume au cœur.
À propos de consolation : j'ai une explication à ma déprime ambiante de la semaine. Aujourd'hui, je suis malade (oui, encore !) : toux, courbatures, nez bouché et tête qui tourne. Si j'étais mal en point depuis lundi dernier, c'est parce que je préparais un petit état grippal, voilà tout. Ou pas.
Pour endormir Gaëlle cette nuit, je lui raconte deux histoires : la première est celle de bruits étranges dans un grenier au-dessus de la chambre d'une petite fille, bruits qui s'avèrent être le déplacement et le hululement d'un hibou (un classique) ; la seconde est, de nouveau, celle de bruits étranges dans un grenier mais qui ne sont plus causés pas un hibou. Ce dernier est d'ailleurs devenu l'ami de la petite fille et l'aide à retrouver la cause des nouveaux bruits. La réponse ne se fait pas attendre : il s'agit d'un gentil monstre en forme de petite boule de poils noirs qui se déplace très rapidement dans le grenier et dans la chambre. Gaëlle n'est pas rassurée :
— Ça n'existe pas vraiment, hein, ça, papa ?
— Ha mais je n'en sais rien...
— Allez, s'il te plaît. Dis-le moi : c'est inventé, hein ?
— Mmmmh ?
(Début de pleurs...)
— Raaah, oui, oui, c'est inventé !
À propos de consolation : j'ai une explication à ma déprime ambiante de la semaine. Aujourd'hui, je suis malade (oui, encore !) : toux, courbatures, nez bouché et tête qui tourne. Si j'étais mal en point depuis lundi dernier, c'est parce que je préparais un petit état grippal, voilà tout. Ou pas.
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Pour endormir Gaëlle cette nuit, je lui raconte deux histoires : la première est celle de bruits étranges dans un grenier au-dessus de la chambre d'une petite fille, bruits qui s'avèrent être le déplacement et le hululement d'un hibou (un classique) ; la seconde est, de nouveau, celle de bruits étranges dans un grenier mais qui ne sont plus causés pas un hibou. Ce dernier est d'ailleurs devenu l'ami de la petite fille et l'aide à retrouver la cause des nouveaux bruits. La réponse ne se fait pas attendre : il s'agit d'un gentil monstre en forme de petite boule de poils noirs qui se déplace très rapidement dans le grenier et dans la chambre. Gaëlle n'est pas rassurée :
— Ça n'existe pas vraiment, hein, ça, papa ?
— Ha mais je n'en sais rien...
— Allez, s'il te plaît. Dis-le moi : c'est inventé, hein ?
— Mmmmh ?
(Début de pleurs...)
— Raaah, oui, oui, c'est inventé !
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