vendredi 7 octobre 2011

Unité 410

Aujourd'hui, c'est un journal un peu spécial : fruit du miracle technologique, ce message est posté alors que je suis selon toute vraisemblance profondément endormi dans un des blocs opératoires du CHU Saint-Pierre à Bruxelles, en train de me faire triturer le ventre par un chirurgien italien hilare. Je suis intubé (et non entubé : ne pas confondre les deux !), j'ai un cocktail anesthésique qui coule dans mes veines, fait d'analgésiques (pour faire moins mal), d'hypnotiques (pour faire dodo) et de curare (pour me paralyser). Hier soir, avec Tom et ma mère, en parlant de cette histoire de curare, nous étions morts de rire en imaginant que l'anesthésiste serait peut-être un Indien d'Amazonie, en costume traditionnel, venant m'endormir avec sa sarbacane.

Bref, si je suis encore en vie après cette bête opération, je viendrai écrire ci-dessous comment tout ça s'est déroulé. Si je suis mort, ça va être beaucoup plus difficile d'écrire quoi que ce soit, forcément. 

Allez, salut, et encore merci pour le poisson.

* * *

Il semblerait que ma famille, mes amis et mes collègues vont encore devoir me supporter un petit peu car je suis toujours bel et bien en vie (ben évidemment, ducon !). Ce n'est que partie remise cela dit : la mort n'est qu'une question de temps, de patience... Sinon, la journée de ce vendredi s'est déroulée comme se déroule une journée à l'hôpital. Ci-dessous un compte rendu en bonne et due forme de mon passage sur le billard.

Je rentre à l'hôpital vers 8h du matin. Ma mère m'accompagne. Après mon admission et la découverte de ma chambre (une chambre simple car il n 'y a plus de chambre double disponible : je ne vais pas m'en plaindre !), ma mère me propose de rester. Je décline : elle est gentille et attentionnée envers son fils unique mais je n'ai plus huit ans, bordel ! Je veux être "seul" (pour autant qu'on puisse vraiment l'être dans un hôpital). Je n'ai vraiment pas envie de l'avoir dans les pattes toute la matinée, pendant que je me rase le ventre, qu'on vient prendre ma tension, etc. Ma maman s'en va donc (plus tard, j'apprendrai qu'elle en a profité pour nettoyer tout mon appartement !).

La partie de l'énorme bâtiment dans lequel je me trouve s'appelle l'Unité 410 (comprendre : bloc 4, 10e étage). "Unité 410", ça en jette à donf : le nom pourrait même servir de titre pour une série d'horreur américaine : "[Voix off caverneuse] Bienvenue à l'Unité 410 ! Cet endroit maudit où des chirurgiens italiens fous enlèvent des vésicules à vif par pur plaisir sadique !".

Une infirmière m'identifie à l'aide d'un petit bracelet portant mon nom (le genre de bracelet en plastique que l'on se met au poignet dans les festivals de musique). Une pensée me traverse l'esprit : ha ouais, pas con ! Comme ça, à la morgue, ils pourront m'identifier directement ! L'infirmière me demande aussi d'enfiler des bas anti-thrombose ridicules et un habit d'hôpital dévoilant une partie du dos ainsi que la raie des fesses. C'est d'un chic ! Quand je lui demande s'il faut que je garde autre chose comme vêtement, elle me lance avec un grand sourire, un peu à la manière d'une sorcière vaudou : "Naaaan, vous devez être nuuuu comme un veeeer !". Elle m'apporte enfin un Xanax, à prendre un peu avant l'opération, pour me calmer (JE SUIS TRÈS CALME POURTANT !).

Pour passer le temps, je regarde la télévision. Dans La Clef des Champs, l'émission pastorale de Philippe Soreil, j'aperçois une dame qui gère une sorte de gîte tout confort. Elle porte le même nom de famille que Perrette et, bien que plus vieille, possède indubitablement un air de ressemblance avec cette dernière (la bouche un peu pincée, notamment). Elle doit sans doute être de sa famille : faudra que je demande à Léandra. Sur une autre chaîne, une émission sur un projet de préservation de graines végétales (une "Arche de Noé" pour le monde des plantes). L'idée : placer dans un bunker, dans le froid de la Norvège, de nombreux germes de plantes, afin de sauver la biodiversité et permettre à des populations soumises à la sécheresse et à la famine de survivre en leur fournissant des graines en cas de besoin. Plusieurs huiles sont là : une Prix Nobel de la Paix qui se les gèle ainsi que Barroso, le président de la Commission européenne... En arrière-plan, des Norvégiens qui chantent un chant patriotique débile, vantant le retour au pays froid. Plus tard, toujours à la télévision, un reportage sur le "Château de la Tomate" : une superbe propriété domaniale possédée par un certain prince Louis Albert de Broglie, dit le "Prince jardinier", qui est tout fier de son projet : cultiver 650 types de tomates différentes dans ses jardins. Et c'est vrai qu'elles sont belles, ses tomates. Elles me donnent l'eau à la bouche, d'autant plus que j'ai faim (je suis obligé d'être à jeun pour mon opération). Le prince a un look d'aristo pur jus : quand il bêche la terre, il porte un superbe costume d'un blanc immaculé (m'enfin !) ; quand il va dire bonjour à son jardinier, il est en costume trois pièces, avec cravate et tout le toutim. Enfin, c'est toujours mieux de cultiver ses tomates au soleil que d'enfourcher son canasson pour partir en croisades...

À 11h15, plus tôt que prévu, une dame sympa et décidée vient me chercher : "Voilà, on vous emmène au bloc !". Elle trimballe mon lit au travers de nombreux couloirs de l'hôpital, prend un ascenseur et me parque dans un couloir, en faisant une sorte de créneau : "Une infirmière va passer vous chercher". Une autre dame patiente dans son lit à côté de moi. Après une demi-heure d'attente, on vient effectivement me chercher, direction la salle d'opération. J'adore les salles d'opération, je suis tout excité ! J'adore observer et aussi me retrouver dans des situations peu fréquentes, voire inconnues ! Dommage que je n'ai pas mes lunettes. Mon chirurgien est là et m'accueille : "Ha, Hamiltono, on y est, ici c'est le bloc opératoire !". Une radio posée au fond de la pièce passe une petite musique joyeuse. Le chirurgien : "C'est pour nous détendre durant le travail : on est là toute la journée, nous, hein". Puis, il rigole : "Mais rassure-toi, je ne vais pas me mettre à danser !". J'adore ce gars. Le sympathique anesthésiste au bandana de la dernière fois est là aussi, ainsi que deux jeunes assistantes gentilles et attentionnées. On dirait une bande de copains : ça met en confiance. L'anesthésiste me lance : "Regardez-le. Vous allez vous faire opérer par un professeur de chirurgie, s'il vous plaît ! Et il prépare ses instruments tout seul, comme un grand [et il a même un site Web !]. Si on était à l'hôpital Érasme, le chirurgien serait déjà en train d'engueuler son personnel !"


* * *

– Voilà Monsieur, on commence à mettre le produit, ça va piquer sans doute un peu à la main et... allez... sans... dou... a...

(...)

Sommeil sans rêve...

(...)


Je pense que je me suis brièvement réveillé durant l'opération. Pas de douleur, pas de vision (impossible d'ouvrir les yeux) mais l'ouïe fonctionnant parfaitement ("Petit problème, là..." ; long silence ; "Ah voilà, c'est reparti..."). Et surtout : cette impossibilité (ou cette sensation d'impossibilité) d'aspirer le moindre centimètre cube d'air, avec l'impression d'étouffer sans vraiment étouffer. Je ne sais pas si je me suis réellement réveillé à cause d'un manque d'hypnotiques (je ne sais même pas si c'est possible) ou si j'ai rêvé de ce truc de bout en bout (peut-on rêver sous anesthésie ?). N'empêche, j'ai ce souvenir-là en mémoire...


(...)

On m'appelle en salle de réveil. Comme d'habitude, je passe du statut de sommeil régulier à celui d'éveil total, presque d'un coup : "Ha mais vous êtes déjà très bien réveillé, c'est bien !".


* * *

Quand je reviens dans ma chambre, ma mère est de nouveau là. Lewis me téléphone peu après, en utilisant le numéro de téléphone de ma chambre. C'est, dit-il, la dixième fois qu'il essaie ! Extraits de son discours : "Ah, je suis rassuré : je vais pouvoir enfin sortir de chez moi" ; "Tu sais, mon grand, tu n'es pas seul !"... C'est gentil à lui, mais c'est quand même dingue qu'autant de personnes ne se rendent pas compte que je n'ai pas besoin de soutien ou de réconfort de ce type (c'est-à-dire du genre "mielleux protecteur"). Et, sinon, oui, je sais que je ne suis pas seul.

Vers 18h30, Léandra et Andrew viennent me rendre visite, avant d'aller manger dans un "restaurant surprise" choisi par Andrew. Alors, ça, ça me fait plaisir ! Léandra a apporté des galettes Jules Destrooper. Hé merde, comble de malchance : je ne peux toujours rien manger ni boire... Andrew m'offre un recueil de poèmes sur la mémoire (vu que c'est mon dada, pour le moment). Faudra que j'en reparle une autre fois.

Une fois que tout le monde est reparti, j'écris rapidement ce texte (j'espère qu'il n'y a pas trop de fautes), je joue un peu à Spelunky (le seul jeu installé sur ce petit PC) puis je glande devant la télévision (ça change de mon habituelle vie sans petit écran !). Vers minuit, je décide de m'endormir du mieux que je peux, malgré la perfusion qui me gène légèrement au niveau de la main gauche...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.