samedi 29 octobre 2011

Schizophrénie chez Walt Disney (1/4)

Disneyland® Paris, c'est beaucoup d'événements et beaucoup d'idées qui se bousculent dans ma petite tête... J'ai tellement de choses à raconter que je n'y arriverai pas en un seul article classique. Afin de faciliter la lecture et aussi de ne pas faire croire à mon rare lectorat que je l'ai abandonné depuis ce vendredi, j'ai décidé de scinder chacune de mes journées à Disneyland® en deux articles : un pour la matinée, un pour l'après-midi. C'est parti !

Prologue

Mon réveil sonne à 5h04. Je passe du sommeil à l'éveil total d'un seul coup. Dans ma salle de bain, je me débarbouille et me lave les dents rapidement. Je me rends dans la cuisine et fais couler du café. Je me précipite ensuite vers mon petit sac Nike bleu démantibulé et le remplis en vitesse de babioles : deux brosses à dents, du dentifrice, quelques vêtements pour moi, quelques vêtements pour Gaëlle, un livre de SF, une Chimay blanche et une clé USB remplie de musique... (Dans la précipitation, j'ai oublié – mais je ne m'en rendrai compte qu'aujourd'hui soir – un pyjama pour moi, un pyjama pour Gaëlle et des serviettes de bain.) Je réveille ma fille vers 5h15. Elle n'a aucun mal à se lever. Elle s'habille et met ses chaussures toute seule, pendant que je m'occupe des derniers détails (tu parles !).

Emily me téléphone à 5h30 pile. Elle est en bas de chez moi, dans sa voiture. Je verse le café dans un thermos, vérifie quatre fois que le percolateur est bien éteint, attrape au vol le siège pour enfant qui se trouve dans mon salon... Ensuite ma fille et moi dévalons les quatre volées d'escaliers de l'immeuble (non sans avoir vérifié quatre fois la serrure, comme à chaque fois que je dois me presser et penser à plein de choses en même temps) et rejoignons Emily dans sa voiture. Direction les abords de la gare de Bruxelles-Midi, plus précisément le feu rouge mentionné hier soir comme point de rendez-vous. Walter le conducteur ainsi que Léandra et Andrew les passagers finissent par arriver, plus ou moins à cet endroit. Et c'est parti pour Paris, pour Disneyland®, pour le rêve en boîte, youpie !

Le trajet se passe sans encombre. Comme musique de fond, dans la voiture d'Emily, une clé USB que j'ai remplie la veille en quatrième vitesse, contenant du folk, de la country, du blues, du rock et du post-rock (comme d'habitude). La circulation est fluide sur les autoroutes belges et françaises. Nous nous arrêtons sur une grande aire de repos : Walter peut fumer ses cigarettes ; je peux boire un café ; Gaëlle peut jouer sur un jeu Playstation 2 gratuit installé à la borne d'arcade d'un des restaurants. Je dois la convaincre de reprendre la route avec l'argument suivant : "Tu sais, il y aura beaucoup mieux qu'un bête jeu Playstation à Disneyland®"...

Après environ trois heures de route, nous arrivons à la frontière du pays de Disney. Là commence la schizophrénie. Disneyland® est un monde parallèle, que j'aborde avec complexité,  : 1) l'admiration béate (= putain ils sont très forts !) ; 2) la critique extrême (= c'est la société de consommation poussée dans ses derniers retranchements) ; 3) la technophilie détachée (= comment sont-ils arrivés à créer cet effet ?). À côté de chaque paragraphe, des signes donnent une vague idée du type d'Hamilton qui écrit le texte : [+] Hamilton-émerveillé ; [-] Hamilton-grognon ; [/] Hamilton-neutre ; [*] Hamilton-curieux.

La remise des tickets

[/] Première étape : se rendre à l'hôtel que nous avons réservé pour la nuit de samedi à dimanche. Ce n'est pas vraiment un hôtel mais plutôt un bungalow, à l'intérieur d'un énorme complexe nommé Davy Crockett Ranch®. Nous faisons la file (avant-goût des files du parc lui-même ?) pour récupérer les tickets. Nous n'aurons accès au bungalow que plus tard... Après ces quelques formalités, nous nous rendons à Disneyland®...

La route du parc

[+] Nous roulons sur une magnifique route extrêmement bien entretenue aux frontières de laquelle sont plantés de superbes arbres multicolores, dont chaque branche semble avoir été organisée par un jardinier maniaque ne supportant pas le moindre écart dans l'agencement des feuilles dont il a la responsabilité (t'as oublié le fonctionnement des virgules, Hamilton ?). C'est un avant-goût de l'esprit Disney : propreté, discipline et asymétrie contrôlée. Si la route serpente, c'est seulement d'une sinuosité factice car rien n'est laissé au hasard... Cette route parfaite à tout point de vue frappera durablement ma conscience. Arrivés à la fin du chemin, nous tombons sur le péage du parking : pas un immonde péage d'autoroute, oh que non : un péage enchanté "à la Disney", s'il vous plaît, orné d'une multitude de faux drapeaux, avec l'enseigne "Disneyland" bien au centre, en rouge. C'est magique !


[-] Nous ne payons rien au péage car le parking est compris dans le forfait "2 jours avec logement" auquel nous avons souscrit, mais nous avons néanmoins déjà un avant goût du mercantilisme qui se cache derrière la parure enchantée : des conducteurs payant docilement 15 euros aux souriants préposés Disney (ici, tout le monde est souriant, du moins en façade), afin d'avoir la chance de garer leur voiture dans l'immense parking impersonnel.

[/] Un long tapis roulant (dans le genre des tapis roulants d'aéroport) nous conduit du parking à l'orée du parc. Là, nous avons une vue sur le Disney Village® (un ensemble de cinémas, de théâtres et de restaurants), sur l'entrée du premier parc Disneyland® et sur l'entrée du parc Walt Disney Studios®. Pour cette première journée, l'objectif est d'aller dans le premier parc. 

Main Street, USA

[+] Main Street est le nom donné à la rue principale (bah oui) du parc Disneyland®. Après un passage obligé sous l'hôtel Disney, c'est la première chose que nous voyons avec, au loin et bien dans l'axe, le château de la Belle au Bois dormant... Chaque magasin de Main Street possède sa propre devanture, extrêmement soignée, tout droit sortie d'une petite ville américaine modèle. À notre arrivée, un train à vapeur situé en hauteur lance un "Tchoutchou" caractéristique. Je pense qu'aucun train à vapeur dans le monde réel n'a jamais lancé un "Tchoutchou" pareil. On se croirait dans un dessin animé. Ce train, c'est le train rêvé, fantasmé par tous les petits enfants occidentaux. Le "Tchoutchou" du train, c'est le détail en trop : ma barrière critique s'effondre d'un seul coup et je cache tant bien que mal des pleurs d'émerveillement. Léandra le remarque et sort un "Même Hamilton a l'air subjugué !" bien à propos.

Photo : Léandra Courbet.

[-] Les magasins de Main Street sont tous différents vus de l'extérieur, mais se ressemblent tous à l'intérieur : même camelote Disney en plastique made in China, de mauvaise qualité et hors de prix ; même vendeur souriant jusqu'à la crispation qui me demande si j'ai vu la réduction de 88 cents sur les sucettes d'Halloween (oui merci, mais non) ; même foule compacte se jetant comme des requins sur des peluches ridicules. Nous sommes dans un temple du consumérisme. Alors qu'une crise de grande ampleur frappe le monde extérieur, ici, on fait comme si de rien n'était.

[*] Le parc est divisé en différentes régions, appelées "lands". Au centre, évidemment, le château, visible de presque partout et servant de repère visuel. C'est une utopie ou une dystopie (tout dépend du point de vue), un monde en dehors du monde ; c'est la ville idéale vue par Walt Disney. Elle rappelle les nouveaux îlots de richesse à Dubaï, mais aussi les projets de cités idéales propres aux utopistes du XIXe siècle. Car tout est prévu pour l'être humain qui y séjourne, du début jusqu'à la fin de l'aventure, moyennant une sollicitation du porte-monnaie : nourriture, boissons, logement (j'y reviendrai plus tard), distractions diverses, piscine (durant le week-end, Emily a parlé de la piscine du ranch au moins dix fois : les piscines l'obsèdent – faudra que j'essaie un jour de comprendre pourquoi). Le parc est aussi une fausse fractale car ses centres névralgiques sont répétés à divers niveaux de grandeur : au centre du parc, le château ; dans chaque "land" (sorte de parc en miniature), un noyau secondaire (comme le "Disneyodendron", gigantesque arbre abritant la cabane des Robinson dans Adventureland...) ; pour chaque attraction, un signe visible, un appel (la rampe de lancement du Space Mountain, la maison hantée sur sa colline...).

[-] Cette utopie-là, elle se nourrit de fric, de fric, et encore de fric.


it's a small world!, Peter Pan's Flight, etc.

[-] Nous commençons notre tour des attractions dans Fantasyland par it's a small world! (sans majuscules). Pitié ! Laissez-moi sortir ! Pendant une dizaine de minutes, nous voguons sur une petite embarcation à l'intérieur d'un énorme hangar contenant des milliers de petites poupées d'humains ou d'animaux, chantant un air horriblement entêtant : "It's a Small World". Le message de l'attraction – difficile de ne pas le saisir car il est très gros et pas très subtil – est le suivant : nous vivons dans un tout petit monde et nous sommes tous frères... 

[-] Nous faisons le tour de la planète en compagnie de poupées de nationalités diverses qui chantent, parfois dans leur langue, le même air énervant. Le parcours se déroulant dans le même hangar, sans cloison insonorisante, le résultat est cacophonique. Et personnellement, si c'est ça la fraternité, je préfère vraiment m'en passer : toutes les poupées ont presque la même bouille, seul le déguisement change ; elles ont toutes le même sourire béat ; à la fin, on peut apercevoir un Amérindien et un cow-boy se tenant la main en signe de réconciliation, ainsi qu'un footballeur américain de type caucasien (comme ils disent aux États-Unis) et une joueuse de baseball afro-américaine (histoire de respecter les "quotas" ?). Arrêtez, c'en est trop ! Mon côté critique et moqueur reprend le dessus et, pour passer le temps, j'imagine une attraction proposant le message inverse, où tous les peuples du Monde, symbolisés par des poupées, se taperaient sur la tronche : on y verrait des poupées japonaises horrifiées devant une explosion nucléaire, des villes en ruine sous le coup des bombes, ou bien encore des colons massacrant des Sioux. Je considère que ma vision du "petit monde" est bien plus proche de la réalité... Mais l'ami Walt proposait un rêve, voyons, une vision d'avenir... Ah oui c'est vrai, j'avais oublié : une vision où toutes les différences sont aplanies, où tous les peuples se tiennent la main en chantant une musique gnangnan issue de l'imaginaire Disney.

[+] Gaëlle ne sait plus où donner de la tête. Elle n'entend pas ce qu'on lui dit. Elle a des étincelles dans les yeux et de la bave aux commissures des lèvres. Pour les petits enfants, cette attraction est une vraie merveille.

[/] On trouve une parodie hilarante de ce célèbre parcours de poupées made in Disney dans un des épisodes de la quatrième saison des Simpson intitulé "Selma's Choice" : Lisa et Bart sont à Duffland
® (le parc à thème consacré à la bière Duff), dans une attraction qui ressemble à s'y méprendre à la nôtre, sauf que... les petites poupées ont toutes une bouteille de Duff en main et chantent un air différent, à la gloire de la bière... Durant cette scène mémorable, Lisa boit, à cause d'un bête pari avec son frère, l'eau qui coule sous l'embarcation et se tape un trip psychédélique... C'est vers la 18e minute de l'épisode : une parodie d'une exceptionnelle acuité : tout y est, même la petite musique énervante qui reste en tête ! (Gaëlle, connaissant les premières saisons des Simpson par cœur, s'est rendu compte directement de l'analogie.)


[/] Après le monde des poupées, nous faisons rapidement un tour par "les tasses" : une simple attraction de foire, un manège avec des tasses qui peuvent être tournées manuellement. J'embarque avec Gaëlle et Andrew, mon "frère ennemi" ; Léandra embarque avec Walter ; Emily n'embarque pas car les spirales au sol la rendent malade. Après les tasses, nous marchons dans le labyrinthe d'Alice, une attraction un peu vieillote. Gaëlle semble apprécier (elle est plus petite, elle voit les petites haies du labyrinthe différemment).

[/] Dernière attraction de cette première matinée : le vol de Peter Pan. Pour accéder rapidement à cette attraction, nous utilisons pour la première fois de la journée un ingénieux système de Fastpass
® (ouaip, ce truc est aussi protégé par un brevet !). Le principe : avec notre ticket d'entrée, nous récupérons un pass (disponible toutes les trois heures environ) qui nous permet de passer par une file d'attente "VIP" évitant les circonvolutions de la file normale. 

[-] Peter Pan's Flight : une courte attraction qui cale tout le temps. Nous sommes d'abord dans un bateau qui survole Londres, mais on ne voit rien, si ce n'est quelques étoiles et la tour de Londres mal éclairée : la magie n'opère pas. Plus tard, une vision de combats entre Peter Pan et les méchants pirates, sauf que ce sont de vieux automates assez mal foutus. Un Fastpass® utilisé pour pas grand chose donc...

[+] Gaëlle adore mais elle n'est pas au bout de ses surprises.

Repas mexicain

[-] Le midi, nous allons manger des fajitas (entre autres) au Fuente Del Oro, un restaurant mexicain situé juste en face de Big Thunder Mountain dans Frontierland (une gigantesque attraction du genre "train de la mine", avec une mesa grandeur nature en son centre, malheureusement fermée pour cause de récent accident – ha ben merde, ils l'ont déjà rouverte !). La bouffe, dans le pur style "fast food", n'est pas terrible. 

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