vendredi 26 août 2011

Mais de quoi parle "Melancholia" ?

J'avais d'abord pensé, comme titre de ce 26 août, à L'Apocalypse selon Lars mais de nombreux journalistes ont eu la même idée. Faut dire aussi que le jeu de mots est facile et donc tentant. Changement de programme et j'opte pour la question : "Mais de quoi parle Melancholia de Lars Von Trier ?". De fin du monde – une planète qui entre en collision avec la Terre et qui l'absorbe, détruisant toute vie – et de mélancolie – une des protagonistes, Justine, admirablement jouée par Kirsten Dunst, est atteinte d'une forme sévère de dépression. D'accord, mais encore ? 

Je me dis en passant que si Yama (ou toute autre personne aimant garder sa surprise intacte) lit ce texte, elle ferait bien d'arrêter dès ce paragraphe car la suite contient de méchants spoilers, autres que "à la fin, ils meurent" (ça, tout le monde le sait, quoique...).

Léandra, à la sortie de la séance dira, à raison, que ça parle de la vanité de tous les actes que nous posons dans la vie – vie par ailleurs profondément mauvaise d'après Justine – car, au bout du compte, tout est balayé et plus rien n'a d'importance... 

Bref, la mélancolie : l'incapacité de poser une action personnelle, liée au sentiment que tout est vain et se dirige inexorablement vers le grand néant. La mélancolie pourrait en ce sens être la forme suprême du réalisme, car tout effectivement se dirige vers le néant, à plus ou moins long terme. 

Andrew verra dans ce film de nombreux clins d'œil ironiques à d'autres œuvres. Ainsi la très belle ouverture de Melancholia, formée d'une série de "tableaux" oniriques en slow motion plus proches de Tarkovski que du Dogme95 et représentant, en dernier lieu, la planète Melancholia dévorant la Terre, constituerait l'exact inverse de celle de 2001, l'Odyssée de l'espace de Kubrick, montrant la création de l'Humanité. Dans la même logique, choisir Kiefer Sutherland (alias Jack Bauer dans 24 heures chrono) pour le rôle du scientiste confiant qui, se rendant compte de l'inéluctable, se suicide, devenant l'anti-sauveur par excellence, n'est sans doute pas le fruit du hasard.

Mais pourquoi avoir choisi un mariage comme première partie et l'avoir opposé à une seconde partie beaucoup plus calme et contemplative ? Pourquoi le golf, qui a 18 trous dans la première partie, a-t-il subitement 19 trous dans la deuxième ? Pourquoi le cheval de Justine refuse-t-il avec obstination de franchir le pont conduisant au village ? Pourquoi y a-t-il 678 haricots dans le bocal et comment Justine arrive-t-elle à les compter ? Pourquoi Justine prend-elle nue, un "bain de nuit" à la lueur de la planète ? J'ai lu plein d'articles à ce sujet, pour essayer de comprendre.

Certains articles font de ce film une daube monumentale. D'autres en font le nouveau chef-d'œuvre du siècle ou presque. Mais aucun ne répond vraiment à ma question d'origine : de quoi parle ce film ? Je finis néanmoins par tomber sur le Blog de Nicolinux et y trouve une série d'explications pertinentes données dans quelques uns des commentaires.

L'interprétation qui m'a le plus plu est la suivante car elle tient la route et répond à toutes mes questions. La première partie du film (intitulée Justine) est la réalité : celle du mariage de Justine et de sa lente destruction par la mariée elle-même... Justine a constamment la tête dans les étoiles. Il n'est pas question à un seul instant de la planète Melancholia, juste à deux reprises de l'étoile Antarès (une étoile surnommée ainsi depuis l'Antiquité car sa couleur rouge en faisait la "rivale" de Mars dans le ciel nocturne), qui sera occultée à la fin de la première partie. Mais occultée par quoi ?

La seconde partie du film (Claire) se détache de la réalité et se rapproche de la névrose : c'est la "réalité" vue par Justine-la-mélancolique, dans laquelle elle entraîne sa plus proche famille (sa sœur Claire, son beau-frère et son neveu). Tous les autres qui étaient présents au mariage (son père, sa mère, son mari, son patron...) sont partis, soit parce qu'ils seront "jetés" par Justine durant la soirée, soit parce qu'ils ne supportent plus ou ne savent pas faire face aux "humeurs" de celle-ci (par exemple, le père élude la dépression de sa fille par un humour puéril ; la mère par un cynisme déconcertant). Dans cette explication, Melancholia n'est pas une planète, c'est simplement la dépression de Justine. Quand la planète se rapproche, c'est la mélancolie de Justine qui s'aggrave ; quand la planète s'éloigne (car oui, elle s'éloigne à un moment, ce qui n'a pas de sens pour une planète de cette taille), c'est une petite rémission ; quand elle se rapproche à nouveau, c'est la descente aux enfers. Ce sont les dents de scie qu'affectionne mon amie Léandra mais en beaucoup plus grave. Lorsque la planète détruit tout, selon cette explication, elle ne détruit en fait rien du tout, si ce n'est Justine, qui se suicide à ce moment (c'est la raison pour laquelle elle sourit vers la fin du film : elle a décidé de son propre sort et en est heureuse), entraînant moralement (voire physiquement ?) avec elle sa famille proche. Cela explique à merveille le cut to black de la fin du film. Plus de musique, plus d'image : plus de réalité pour Justine, qui est morte. John, le mari de Claire, se suicide (mais se suicide-t-il vraiment ou est-ce la vision qu'en a Justine ?) avant la fin, car il ne supporte plus d'être impuissant face à la mélancolie de sa belle-sœur.

Enfin, les fameuses questions : pourquoi le golf a-t-il 19 trous dans la seconde partie du film ? Sans doute pour montrer le décalage de Justine par rapport à la réalité. Lors de la première partie, John lui demandera d'ailleurs combien de trous possède son golf (Justine répondra 18) : c'est en quelque sorte pour tester sa perception de la réalité, pour la ramener parmi les vivants. Pourquoi le cheval s'arrête-t-il au pont ? C'est une métaphore : Claire essaye de faire avancer Justine vers la guérison (les chevaux qui galopent) mais elle n'y arrive pas. Le cheval de Justine (sorte de psychopompe, symbolisant l'esprit de mort de la jeune femme ?) refuse de passer le pont. Plus tard, Claire voudra fuir au village, mais elle n'y arrivera pas : elle bloquera devant le pont. Pourquoi ? Parce qu'elle n'arrive pas à sortir de la spirale dans laquelle sa sœur l'a entraînée. Le pont, le village, c'est l'échappatoire. Tout le film se passe en huis-clos, sans information ou presque sur l'extérieur (si ce n'est une curieuse recherche sur le Web). On reste cloisonné dans une propriété coupée du monde (la dépression), dont le pont est la guérison (ou la fuite vers l'extérieur). Mais ce pont reste infranchissable. Justine qui arrive à compter tous les haricots mentalement ? C'est impossible : c'est encore un "rêve" de névrosée. Le bain de nuit, nue et calme, face à Melancholia ? C'est l'acceptation de son état d'esprit et également l'idée d'une fusion presque un acte sexuel, en fait de son corps avec la mort, symbolisée par la planète (le corps nu, sensuel : Eros ; Melancholia : Thanatos). Coïncidence marrante : hier, dans ce journal, en mentionnant l'éventualité d'avoir une relation sexuelle dans un cimetière, je réfléchissais déjà à cette opposition entre la mort et la vie.

Toutes les clés se trouvent en fait dès le début du film, dans la longue séquence d'introduction, remplie de symboles. Par exemple, cette scène où l'on voit Justine sous Melancholia, le petit garçon sous la Lune et Claire sous le soleil. Ce sont trois visions différentes du monde : une vision mélancolique, une lunaire et une solaire. D'ailleurs, le petit garçon, lunaire, est le seul personnage qui a réellement un point commun avec Justine. Le cheval qui s'écroule... Justine en robe de mariée retenue par des fils qui l'empêchent d'avancer... Etc., etc. Toutes ces scènes (y compris celle de la planète qui s'écrase sur la Terre) n'ont rien de réel, elles sont totalement oniriques et représentent la façon de penser, malade, de Justine.



* * *

Voilà ! Je suis satisfait de mon explication et je vais enfin pouvoir dormir en paix. Je vais également pouvoir raconter brièvement le reste de ma journée de ce vendredi : à 12h45, j'ai rendez-vous avec Léandra pour manger une délicieuse ciabatta au thon. Durant la discussion, on aborde la question de nos devinettes visuelles et je décide de relancer ce projet fin de ce week-end sous la forme d'un blog. Beaucoup plus tard dans la soirée, Andrew aura l'air consterné quand je lui parlerai de ce format (il ne lâche pas un "pfff", mais ce n'est vraiment pas passé loin). Pourquoi encore un blog ? Pour pouvoir être lu par tout le monde, c'est tout. Après le dîner avec Léandra, je vais chez le coiffeur, mais quelle importance ?

Le soir donc, nous allons voir Melancholia de Lars Von Trier (voir plus haut). Peu avant, je me rends avec Emily au Bison pour boire un verre (et manger une portion de fromage/saucisses sèches). Nous rejoignons Léandra et Andrew directement au cinéma, à De Brouckère. Après le cinéma, nous mangeons au Metteko, où l'on discute du film. On se dit à un moment que Justine est une anti-Callys. Callys, c'est un pote qui voit toujours tout de manière extrêmement positive. J'aurais tendance à dire trop positive. Pour moi, il déforme totalement la réalité par un excès d'optimisme, de la même manière que Justine déforme totalement la réalité par excès de pessimisme. Et moi dans tout ça, je me situe où ?

Enfin, sans Léandra, on termine la soirée au Bon Vieux Temps. Je refuse d'aller à l'Imaige Nostre-Dame, sans donner la raison, mais Andrew a l'air de la connaître, en tout cas il me comprend (Andrew attache de l'importance à la symbolique du lieu, entre autres). Je ressemble aussi un peu à Léandra, sur ce coup-là, avec mes souvenirs qui refont surface.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.