Je reviens chez mes parents assez tôt pour retrouver ma fille Gaëlle avant qu'elle ne retourne chez sa maman. Dans la voiture la ramenant à Namur, assis à côté d'elle, je me rassure en me disant que Gaëlle n'est pas con du tout (une de mes grandes hantises : avoir un enfant idiot). Quand je lui parle d'Anouchka, la fille ainée de Fred Jr (qu'elle verra à l'anniversaire de ce dernier en septembre), elle me dit : "Oui, Anouchka, je sais qui c'est : c'est celle avec qui je ne voulais pas partager la couverture, chez toi"... Mémoire à moyen terme : check.
Juste pour la tester, je lui demande "pourquoi l'on vit". Elle me répond : "pour vivre". Que dire d'autre ? Je lui demande aussi "comment on vit" (pour voir si elle comprend d'elle-même la différence primordiale entre le "pourquoi" et le "comment") et elle me dit : "en mangeant et en faisant dodo", puis : "et aussi en buvant de l'eau et en respirant de l'air". Vu que les réponses (simples, concises) m'impressionnent, je tente la question de Leibniz : "Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?", en espérant avoir enfin la réponse. Gaëlle sort : "Je ne sais pas". Faut pas déconner, non plus : personne ne peut répondre à ce genre d'interrogation, à part les religieux avec leur fausses réponses. En fait, "Je ne sais pas" est une putain de bonne réponse ! S'il n'y avait rien, de toute façon, nous ne pourrions pas nous poser la question...
Un peu plus tard dans la voiture, Gaëlle demande qui a créé la Terre. Je me dis que j'ai initié un débat interne dans son petit cerveau et je suis content (pauvre con !). Je lui dis : "personne, réellement, en fait", et lui explique en gros la création de la Terre et du système solaire (j'ai presque envie de lui expliquer Darwin et la théorie de l'évolution, au cas où elle tomberait sur un instituteur créationniste, mais je me retiens, du moins pour le moment). Alors, elle passe son temps à trier ce qui est d'origine humaine (les routes, les panneaux de signalisation, les maisons...) et ce qui ne l'est pas (les arbres, le soleil, les rivières...). On termine le voyage en jouant à pierre/papier/ciseaux.
* * *
En soirée, c'est la fête d'anniversaire (85 ans) de ma grand-mère (ma Bobonne). On a commandé des pizzas. On boit du Porto, du vin puis du Champagne apporté par un de mes cousins. On termine la soirée en jouant à la belote. Je joue avec ma mère. Mon cousin joue avec son père, mon oncle Tino. Ils finissent par gagner. Tino est un pro de la belote (du genre à compter tout ce qui tombe et à faire de appels de la mort qui tue). Mon cousin s'en contrefiche. Elles sont marrantes à voir, les fausses engueulades de mon oncle, du genre : "J'ai mis un 7 de pique, l'atout est du carreau, tu dois me mettre du trèfle ! Tu joues à la belote ou à la bataille ?". Lorsque je reprends un Orval en pleine partie, ma mère me lance : "Encore ?". Je lui réponds : "Hé ! Pour une fois que je m'amuse dans la vie !". Bigre, elle venait vraiment du cœur, cette réplique !
Faut dire que ces parties de belote me rappellent de très bons souvenirs. Il y a dix ans, on avait l'habitude d'occuper nos soirées d'été avec ce jeu, jusqu'à tard le soir. Ma mère jouait souvent avec mon oncle Tino, et moi, je jouais presque toujours avec feu mon nono Émile. Je me souviendrai toujours des répliques de mon grand-père : "Oh, je vais aller en cœur, m'fi, on n'sait jamais, hein !". On se prenait la plupart du temps une "couille", mais on s'en foutait royalement et on se marrait bien.
Aujourd'hui, mon nono est mort et incinéré. C'est la vie ! En ce moment précis, il me manque cruellement. Ma grand-mère est la dernière de mes grands-parents à s'accrocher à la vie.
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