Gestalt, Urphänomen et autres germanismes. — Lue aujourd'hui, en ce vendredi de congé : une explication de la notion de Gestalt. En allemand, ce mot signifie "forme", mais depuis son utilisation par Goethe, il possède également une tout autre signification, beaucoup plus précise... Une Gestalt est un ensemble distinct et organisé regroupant un certain type d'objets ou de phénomènes (par exemple un phénomène naturel, au sens large). Goethe a utilisé ce concept alors qu'il s'intéressait à la botanique — très polyvalent dans ses passions, il est l'auteur en 1790 d'un essai sur les plantes, intitulé Versuch die Metamorphose der Pflanzen zu erklären. Pour Goethe, l'étude systématique du monde végétal peut se faire en considérant cette forme de vie comme une Gestalt, c'est-à-dire un ensemble particulier, interconnecté et en mutation constante, partageant une certaine forme commune.
L'idée de Goethe est qu'il existe, au sein d'un système naturel donné, une forme primordiale (un Urphänomen) dont découleraient toutes les autres. En botanique, il cherche l'Urpflanze, plante originelle et idéale dont tous les dérivés, toutes les métamorphoses (fleurs, arbres, etc.) constituent une possibilité, une Gestalt regroupant l'ensemble des plantes existantes ou pouvant exister. Cependant, les termes de "forme primordiale" ou de "plante originelle" ne doivent pas s'entendre ici dans un sens purement mécaniste, causal, mais plutôt dans celui d'un modèle à partir duquel peuvent être construits tous les autres éléments d'un même groupe, d'une même Gestalt.
Ce qu'esquisse Goethe à travers son jeu des possibles, c'est le dessin d'une autre science, plus romantique et moins technophile... Une science de poète.
Cette idée me parle. Elle décrit un mode de raisonnement auquel je suis de plus en plus attaché (car pour le moment, je me détache en douceur de ma vision scientiste du Monde pour me diriger vers... quelque chose d'autre — mais pas le mysticisme !). Le mode de raisonnement dont il est question ici fonctionne sur base d'analogies, s'intéresse à l'idée d'évolution constante (de métamorphose) des phénomènes et refuse toute explication causale... Il sous-entend le principe suivant : que nous sommes capables, en tant qu'êtres humains, de reconnaître certains phénomènes à l'aide de comparaisons plus ou moins complexes, sans pour cela devoir y accoler une définition à tout prix... Par exemple, si j'observe un arbre, même inconnu, je ne suis pas obligé pour voir cet arbre de confronter la définition que j'ai d'un arbre à ma vision du moment... Non. Est exprimée ici l'idée que cette reconnaissance n'est possible que parce que nous avons en tête une idée de la forme (Gestalt) que doit avoir un arbre, sans pour cela avoir le besoin, la nécessité — voire même tout simplement la possibilité intellectuelle — de la définir stricto sensu. Un saule pleureur ne ressemble pas à un sapin ; pourtant nous leur attribuons à tous deux, sans le moindre doute, un air de famille. (Ludwig, sors de ce corps !)
Ce développement rejoint ce que disais un jour sur la science-fiction : est considérée comme une œuvre de science-fiction toute œuvre considérée par un fan de science-fiction comme étant de la science-fiction... L'idée n'est pas de moi mais de l'auteur et critique américain Damon Knight : "it means what we point to when we say it", écrivait-il en 1952. Soixante ans après cette définition qui se mord la queue, rien n'a changé... Et la science-fiction, comme ensemble, peut être vue à la manière d'une Gestalt : une forme de vie organisée en constante métamorphose, dont il serait vain de donner une définition précise. Il est en effet presque impossible, sans que cela soit atrocement fastidieux, de donner une définition de la science-fiction qui englobe toutes les œuvres de science-fiction reconnues comme telles à ce jour. Il serait par exemple totalement faux de prétendre qu'un ouvrage de science-fiction se déroule toujours dans le futur ou bien qu'il comporte toujours un certain nombre d'éléments scientifiques...
Et pourtant, à l'instar de l'arbre du paragraphe précédent, il est tellement simple de déceler la science-fiction là où elle se trouve !
Et pourtant, à l'instar de l'arbre du paragraphe précédent, il est tellement simple de déceler la science-fiction là où elle se trouve !
Un vendredi en solitaire. — Ayant été coucher très tard hier soir, je me lève également très tard. Je ne sors que brièvement en fin d'après-midi pour faire quelques courses (je n'ai plus rien à manger ni à boire). Durant toute la journée, je lis ou je joue. — Je joue, surtout : je suis devenu accro aux Colons de Catane en ligne. Quelle que soit l'heure du jour ou de la nuit, il y a toujours des gens connectés, avec qui je peux jouer : quand les Allemands s'endorment, les Américains, eux, se réveillent... (Vers 5 heures du matin, dans la nuit de vendredi à samedi, j'ai joué avec un gars bien sympathique vivant dans la banlieue de New York.)
Je ne gagne qu'une partie sur dix environ. La plupart des joueurs sont forts et font rarement d'erreurs de placement. Bien sûr, le hasard intervient, mais il s'agit d'un hasard très contrôlé. J'apprends par ailleurs qu'il existe une série de règles implicites en plus des règles du jeu : certaines actions sont terriblement réprouvées par la communauté de joueurs. Parmi celles-ci : quitter une partie en cours (évidemment) mais aussi malmener un autre joueur que celui qui gagne. J'ai ainsi appris à mes dépends que j'avais intérêt à toujours utiliser mon voleur sur le joueur ayant le plus de points. À chaque fois que j'ai visé une personne plus faible, j'ai eu droit à des "Warum?" indignés et même au départ d'une joueuse, apparemment réellement en colère à cause de mon comportement déplorable !
Un des seuls contacts humains de ma journée est Lewis. Il me laisse un message sur mon téléphone afin d'annuler le repas que nous avions prévu demain midi avec Mary. Je lui passe un coup de fil pour prendre de ses nouvelles... Il est effondré, vraiment.
« Hamilton... Je suis malade, j'ai le nez qui coule et j'ai de très gros soucis psychologiques, dont je préfère ne pas te parler au téléphone...
— Ha...
— Et toi, comment vas-tu ?
— Bah... Eh bien, comme d'habitude...
— Pour le repas, la prochaine fois, s'il te plaît, propose un soir, même en semaine. Je ne suis pas du tout un homme du midi.
— Oui, je sais...
— Je ne mange rien à midi. Le soir, je fais bombance. Je sais que c'est un mauvais régime, mais c'est comme cela que je fonctionne depuis des années.
— On fera ça un soir, alors. Je vais avertir Mary.
— Oui, c'est mieux. Je vais te laisser. Ce n'est pas joyeux, tu sais... Je ne vais pas bien. Pas bien du tout.
— D'accord. Au revoir, Lewis.
— Au revoir, Hamilton... Au revoir... »
Mon "au revoir, Lewis" est chevrotant. Je me rends compte que je suis au bord des larmes lorsque je raccroche... Lewis dit ne pas aller bien. Je le crois. Et je sens que c'est grave. Puissé-je me tromper !
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