jeudi 22 septembre 2011

Premier souvenir

Ce soir, je me rends chez Tom et Ophely. Ils habitent une maison nouvellement achetée pas loin de la Basilique de Koekelberg... L'objet premier de ma visite : voir enfin leur petite fille Sophia, qui vient de naître en août dernier. Ophely a accouché à domicile, en présence d'une seule sage-femme (la deuxième est arrivée trop tard !), sans complication d'aucune sorte. À mon arrivée, le bébé dort sur sa maman mais se réveillera assez vite. Elle reste tranquille dans son landau, puis braille un peu, demande à manger, braille à nouveau, fait caca, regarde son jouet-spirale avec étonnement, pleure, braille, écoute de la musique et se calme, demande à manger, braille, crie, s'endort dans son porte-bébé, etc. En trois mots : un bébé normal. 

Le chat est un peu dérangé par la présence de ce nouvel occupant et les parents s'en méfient. L'animal occupe constamment les lieux de vie de Sophia et cherche la caresse de ses maîtres. Le chat est-il capable de ressentir une forme primaire de jalousie ? Cette question me rappelle l'histoire de Zoé, la chatte qui habitait avec mes grands-parents maternels quand j'étais gamin. Zoé cohabitait avec un canari. Mon grand-père avait en effet construit dans le jardin une volière avec une centaine de canaris, dont un seul avait le privilège d'occuper une cage personnelle dans la maison. Zoé se couchait sur la cage, jouait tranquillement avec l'oiseau, sans jamais lui faire de mal. Un jour, Zoé a mis bas une portée. Comme d'habitude, mon grand-père a tué tous les chatons d'un coup, utilisant une technique assez barbare mais efficace : il les mettait tous dans un sac en tissu et tapait le sac d'un coup sec contre le mur de briques d'une des remises. La nuit suivant la mise à mort, Zoé a ouvert la porte de la cage du canari et a bouffé l'oiseau. Vengeance ? Colère ? Mise en place d'une justice féline ("tu as tué mes enfants, je tue le tien") ? Coïncidence ? Le mystère reste entier.

* * *

Chez Tom et Ophely ce soir, la musique provient d'une petite chaîne portable située dans la cuisine. Au début de la soirée, occupé à cuisiner un délicieux poulet au curry et noix de cajou, Tom met un CD d'Alela Diane. Je ne savais pas que le couple aimait bien cette chanteuse. Apparemment, si : ils ont même été la voir en concert. Son premier album est assez minimaliste (deux-trois accords de guitare, des mélodies très simples) mais, dira Tom, on sent déjà chez elle une certaine aisance musicale, un sens de la mélodie et de l'harmonie... Ophely rajoutera que cette dame dévoile réellement son talent lorsqu'elle est toute seule avec sa guitare, sans aucun orchestre... 

Plus tard, ce sera au tour du dernier album de Radiohead, The King of Limbs de passer "sur la platine". C'est assez incroyable, mais depuis Hail to the Thief (qui m'avait bien énervé à l'époque avec son "Copy control" m'empêchant de l'écouter convenablement sur mon discman – le monde à l'envers : j'avais été obligé de graver sur un CD vierge cet album que j'avais acheté, afin supprimer un son parasite au début de chaque piste), je ne suis plus du tout au courant de leur production. Du coup, je demande à Tom si ce qu'on entend est le dernier album solo de Thom Yorke. Pauvre de moi : ben nan, c'est Radiohead, tout simplement. 

Ces musiciens-là n'aiment pas les longues mélodies, ils sont toujours dans l'urgence, à l'opposé des longues plages – parfois magnifiques mais parfois chiantes aussi, faut bien le dire – du post-rock. Le résultat : un album fabuleux. Exemple avec "Feral", en live (la vidéo est montée avec un effet de miroir horizontal, pour une raison que j'ignore) :


Musique toujours... En début de soirée, Tom me présente son superbe luth, qu'il a acheté à un artisan tchèque installé dans un village de la banlieue praguoise, sur les conseils de son professeur. Tom et Ophely ont fait le voyage jusqu'à Prague pour aller le chercher et en ont profité pour visiter la région. Tom ne m'a pas donné le nom du facteur mais je crois avoir retrouvé le bonhomme (merci Google) : un certain Jiří Čepelák. Le gars est un vrai passionné qui fabrique ses instruments à l'ancienne (si on parlait de nourriture, on parlerait de "bio"), en respectant les contraintes des artisans de l'époque baroque ou classique, utilisant des produits naturels comme des huiles de poissons. Tom m'explique : la table est en épicéa (le meilleur bois pour conduire le son), la touche en ébène (un bois dur qui supporte les nombreuses manipulations), les frettes sont en boyau... Seules les cordes sont en nylon (elles peuvent être remplacées par des cordes en boyau mais c'est très cher !). L'instrument est superbe, jusqu'au moindre détail : les chevilles sont taillées à la main et l'ouïe est finement ciselée, comme on peut le voir sur cette page. Tom m'explique enfin que l'instrument est en quelque sorte vivant et que pour qu'il atteigne sa perfection mélodique, il doit être joué souvent, pendant de nombreuses années. C'est définitivement passionnant.

* * *


Durant la soirée, on parle de souvenirs d'enfance. Quel est notre premier souvenir ? Ophely ne s'en souvient pas. Tom en a par contre une vision très nette : en Suisse, vers deux ans et demi, il est émerveillé à la vue d'un lichen sur une roche. Pour ma part, mon premier souvenir est le suivant : à deux ans et demi aussi, sur les épaules de mon tonton Tino qui avait les pieds dans la mer Tyrrhénienne, sur une plage italienne (je sais que c'était là par reconstitution, car c'est la seule possibilité), la vue d'un torchon sale qui bougeait dans l'eau et qui me terrorisait... L'inverse donc de l'émerveillement de Tom pour le lichen... Nos premiers souvenirs respectifs ont néanmoins deux points communs : dans les deux cas, il s'agit d'un souvenir dont la dominante est clairement visuelle et qui par ailleurs est en rapport avec un événement totalement anodin. Freud parlerait de souvenirs-écrans, cachant un souvenir plus important mais refoulé. D'accord, mais lequel ?

En fin de soirée, Tom sort le pousse-café et le dessert. Le digestif : un alcool à base de pommes, ressemblant à du Calvados, distillé par un pote qui possède un alambic. On se resservira à deux reprises. La dessert : deux glaces délicieuses provenant d'un glacier de Wépion du nom de "La Fleur de Lait". 

Je pars juste après le dessert. Je happe un tram. Je happe un métro. Je happe un second tram. Je happe mon lit. Et, rapidement, je happe mon sommeil.

Et pendant ce temps (et sans aucun lien ni transition), des chercheurs du CERN ébranlent nos certitudes en mesurant un neutrino se déplaçant légèrement plus vite que la lumière. Misère !

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