Mort-vivant. — Ha bon ? Vie et mort ne communiquent pas ? Pourtant, ce matin, je suis à la fois mort et vivant. La sonnerie de mon réveil est suivie d'une très grande confusion : je n'ai pas assez dormi et j'ai encore dans la bouche le goût du (très bon) vin rouge d'hier soir. Je repousse l'alarme plusieurs fois, jusqu'à la plus extrême des limites : sept heures du matin. Puis il faut bien que je me lève et qu'en plus je me grouille : brossage de dents, eau froide sur la figure, habillage et hop ! Direction la rue remplie de fantômes, le tram rempli de fantômes, le train rempli de fantômes, le bus rempli de fantômes, jusqu'à ce lointain lieu de travail où je vais devoir faire semblant de ne pas trop bailler, alors que de curieuses ombres menaçantes hantent les extrémités floues de ma vision. Toute la journée, je tiens bon, à grand renfort de café, ce qui a pour effet de me rendre particulièrement susceptible, voire entièrement paranoïaque : te gausserais-tu de moi, satanée horloge ? Il y a une minute, tu affichais déjà exactement la même heure ! Ha, je vois ! Tu as pris peur : voilà que tu es passée d'une minute à l'autre désormais ! Quelle coïncidence ! Une putain de coïncidence, n'est-ce pas ? Ouais, c'est ça !
Cheveu. — Léandra et Andrew sont au fond du café en train de préparer leur prochain week-end à Londres. Je passe les saluer tout en précisant d'emblée que je ne resterai pas longtemps. J'ai l'impression d'arriver comme un cheveu dans la soupe : je ne suis pas le bienvenu ici, je suis rejeté de partout, par mes amis, par les clients et même par ces serveurs qui passent devant moi sans voir que je veux commander une putain de boisson alors que je suis là depuis — combien de temps déjà ? — trente secondes. Ha ! Tout est parfaitement clair dans mon esprit maintenant : je ne suis pas le bienvenu ! Je ne suis pas le bienvenu ! (Je suis très fatigué : la terre entière est contre moi et me considère comme un boulet nuisible — en imagination du moins.)
Requiem. — Tous les soirs depuis lundi dernier, je suis obnubilé sans raison (du moins je suppose) par le Requiem de Mozart, complété par Süßmayr : en ce moment, j'écoute et réécoute la version interprétée par l'Orchestre philharmonique de Vienne sous la direction de Karl Böhm. — Ce requiem a, si je puis dire, bercé toute mon enfance : ma mère le passait en boucle, sur tourne-disque, à côté de la Messe en ut mineur, de Don Giovanni et de La Flûte enchantée, mais aussi notamment du répertoire de Marvin Gaye et d'autres artistes estampillés « Motown ». Pendant tout un temps, du Requiem, je n'ai connu que la version de Bernstein, au tempo extrêmement lent. Cependant j'ai découvert par la suite que de nombreux talentueux chefs d'orchestre, comme Philippe Herreweghe, avaient interprété l'œuvre avec un tempo beaucoup plus rapide : par exemple, alors que le Lacrimosa dirigé par Bernstein atteint presque les cinq minutes, celui de Herreweghe n'en compte que trois ! — Éduqué en compagnie de la version ultra-lente, je ne peux m'empêcher de penser, à l'écoute de ces versions supersoniques, qu'un esprit malin s'est arrangé pour faire passer tous ces fantastiques mouvements à l'intérieur d'une sorte de filtre accélérateur, afin d'annihiler tout l'effet déchirant et dramatique des chœurs et des solos (parmi les plus bouleversants jamais composés, faut-il le préciser ?), qui ne prennent vraiment toute leur ampleur que dans la lenteur. (Sur le même sujet, lire cet excellent article signé Dominique Autié intitulé « Nécessité de la lenteur ».)
Le Lacrimosa super-lent de Bernstein :
La version intermédiaire (mais tout de même assez lente) de Böhm :
(Dieu, que c'est beau !)
La version rapide de Herreweghe :
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