Je rédige ces quelques lignes dans le calme de la nuit chinienne, le lundi 31 décembre 2012, aux alentours de trois heures du matin. Je suis installé à la table du salon du gîte que nous avons loué à l'occasion des fêtes de fin d'année. L'écran de mon ordinateur constitue l'unique source lumineuse de la pièce et seul le congélateur manifeste sa présence par un curieux ronronnement. Léandra et Andrew sont partis dormir. Pour l'instant, fort heureusement, tout le monde est en vie !
Fidèle à la règle fixée au tout début de
la rédaction de ce journal personnel, je me dois de décrire brièvement la soirée de ce vendredi 28 décembre. Cependant, je ne peux décemment passer sous
silence les événements de ces derniers jours, qui s'inscrivent peut-être dans une trame beaucoup plus vaste. Au diable donc la chronologie, pour aujourd'hui à tout le moins !
Vendredi soir, j'ai laissé Gaëlle chez mes parents et suis reparti à Bruxelles pour une nuit seulement. J'ai passé la soirée chez Amy et Zapata, en compagnie de Flippo et d'un Coati curieusement sage. Au programme : de la soupe, un gratin aux épinards, des Christmas Crackers et un nouveau jeu de société du nom de Descendance, le tout arrosé d'alcool et entrecoupé de joints. À aucun moment je n'ai affiché le moindre signe du malaise bien légitime qui me tenaillait alors depuis une journée... Je ne voulais pas inquiéter mes amis outre mesure : après tout, il est probable que cette histoire de lettre anonyme et de photo ne soit qu'une vaste blague, un canular savamment élaboré.
En ce qui concerne la location du gîte, Andrew s'est chargé de la plupart des détails logistiques : réservation et paiement, commande à la boucherie, signature du contrat, etc. Les formalités se sont faites en toute cordialité et dans la plus grande souplesse : le propriétaire se fera un plaisir de nous remettre les clés ce samedi en fin d'après-midi et il nous a même proposé de venir nous chercher en voiture à la gare de Florenville, ce qui ne sera pas nécessaire, normalement.
Tout allait pour le mieux jusqu'au coup de fil d'Andrew, ce jeudi soir... Pour régler les derniers détails du séjour, m'a-t-il dit, mais j'ai compris tout de suite à sa voix que quelque chose le tracassait au plus haut point. Il a fini par me parler du courrier qu'il avait reçu la veille. Léandra était déjà au courant et avait déjà eu l'enveloppe en main : ni timbrée ni cachetée ni signée, elle avait apparemment été déposée directement dans la boîte aux lettres d'Andrew, à Bruxelles. À l'intérieur, une lettre composée de quatre lignes dactylographiées :
« La Gaume est une frontière.
La Gaume est un danger.
Franchissez la lisière
Et vos jours seront comptés. »
Andrew m'expliqua que la lettre était accompagnée de la photographie jaunie d'une imposante et jolie bâtisse a proximité d'un cours d'eau, qu'il avait identifiée assez facilement comme étant l'hôtel des Comtes de Chiny, au bord de la Semois. Au dos de la photo, à nouveau un court texte dactylographié : « Commandez trois Orval et douze cubes de fromage. »
Léandra et Andrew n'ont pas pris cette lettre au sérieux : ils pensent tous les deux que c'est Poulain Perspicace (notre ami originaire de la région) qui nous a fait une blague. Si c'est le cas, il s'est donné beaucoup de mal, comme le montreront, du moins si j'en ai la possibilité, les prochaines entrées de ce journal. Car malgré cette lettre anonyme un rien menaçante, nous sommes tout de même allés nous installer à Chiny. Le jeu d'énigmes que nous y avons découvert est pour le moins étrange, mais rien ne nous permet de penser que nos jours soient actuellement en danger. Après tout, il n'y a pas de raison de sombrer dans l'angoisse : je devrais me détendre et profiter de ce séjour bucolique.
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