jeudi 28 juillet 2011

Rêve d'équerres et de compas

Lorsque le réveil sonne, tôt ce matin, je me souviens d’une bribe du rêve que je viens apparemment de faire. Je profite du trajet en train pour essayer de le retranscrire le plus fidèlement possible avant d’en oublier la teneur, d’autant plus qu’il est assez comique :

Je me trouve dans une petite pièce remplie de monde. Il s’agit d’un mélange entre une réception (des groupes discutent, un verre à la main) et un déménagement (en tout cas, j’ai l’impression que le véritable but de la réception, c’est de vider la petite pièce). Je ne me souviens pas des gens qui sont présents, si ce n’est le père de Maïté (mon ex-beau-père donc). Il me parle et se plaint qu’en vieillissant, le temps passe beaucoup plus lentement. Il me dit : "Il me faut 1096 années pour traverser une seule année. Je m’ennuie". Je ne réponds rien. Les gens commencent à quitter la pièce pour retourner chez eux, me laissant seul. Lorsque mon ex-beau-père (toujours lui) passe devant moi, il ne me regarde pas, mais attrape mon avant-bras fermement (un peu à la manière de Lewis) et place ses doigts sur ma peau dans une curieuse configuration. Toujours sans me regarder, il dit : "Je me suis toujours demandé, Hamilton, si tu en étais ou pas". Je comprends immédiatement qu’il me parle de la franc-maçonnerie. Il ne s’attarde pas et sort de la pièce. Je le poursuis dans la rue. Il est déjà loin et je crie très fort à son intention : "Pas du tout ! Absolument pas !". Il se retourne, me regarde d’un air entendu (le genre d’air de celui qui a tout compris d’un message très complexe) et fait un petit signe d’approbation de la tête avant de partir pour de bon.

C’est la seule scène dont je me souviens, hélas ! Certaines parties contextuelles sont "faciles" à expliquer : la référence au temps qui passe beaucoup plus lentement est au moins liée à ma lecture récente du Monde inverti de Christopher Priest (dans lequel le temps et l’espace se comportent de façon très curieuse, hyperbolique) ; la référence à la franc-maçonnerie est un souvenir de la discussion d’hier avec Léandra et Fred Jr, où l’on a abordé ce sujet (et plaisanté sur les francs-maçons).

La matinée, je travaille au dépôt d’archives en compagnie de ma collègue Charlotte. Certaines archives sont très abîmées : leur conservation pendant parfois plus de quarante ans dans des conditions humides et poussiéreuses a donné à certaines pages un aspect légèrement moisi ; des attaches-trombones et des agrafes  (une des terreurs de l’archiviste) ont rouillé et déchiré certains feuillets. Je nettoie le tout, dossier par dossier ; je reconditionne chaque dossier dans une nouvelle chemise ; je place chaque chemise dans des boîtes AGR au ph neutre, mais j’ai l’impression que tout cela est vain. Je lutte contre le temps, contre ce vent temporel qui emporte tout (y compris les vieux papiers, y compris nous, y compris les atomes). L’archiviste, qui croit pouvoir préserver le patrimoine dont il a la charge de la destruction, ne fait rien d’autre que de retarder l’inéluctable. (Suis d'humeur optimiste, aujourd'hui.)

Le soir, je retrouve d'abord Andrew, puis Emily puis enfin Walter au Café de l'Unif pour manger. J'ai également proposé à Vinge de nous rejoindre (il m'avait téléphoné dans ce but en début de semaine). Il nous rejoint donc une petite heure plus tard. Est-il saoul ? Est-il énervé ? Un peu des deux, je suppose... Avec Vinge qui tient des propos totalement décousus et limite paranoïaques sur son honnêteté foncière, son perfectionnisme (sic) et le fait qu'il refusera toujours de contresigner un faux à son boulot (personne ne comprend vraiment ce qu'il raconte), la discussion vire carrément au surréalisme. Pendant ce temps, Emily est toujours plus ou moins déprimée par son plafond de cuisine qui a de gros problèmes d'humidité et Andrew a l'air fatigué, malgré qu'il soit allé se coucher "tôt" hier (3 heures du matin).

Vinge m'inquiète, vraiment. Je ne l'ai jamais vu à ce point sur le fil du rasoir (et pourtant, je l'ai déjà vu sur une pente glissante). Il n'écoute pas du tout ce qu'on lui dit. Il est en mode automatique. Il s'est trouvé un ennemi : les "socialistes", parce qu'un attaché-de-je-ne-sais-quel-ministre est un malhonnête-oui-Monsieur-c'est-la-vérité. Regards interloqués : personne ne voit de quoi il parle.

Durant le dessert (Emily n'a pas de chance avec ses tiramisus : aujourd'hui, c'est de la moisissure sur le dessus), Vinge me dit qu'il veut me parler personnellement plus tard dans la soirée. Je ne comprends pas pourquoi mais j'accepte, après avoir souhaité bonne nuit à tout le monde. Vinge m'avait promis de me payer un verre aujourd'hui (c'est pour cela qu'il attendait jeudi pour me voir, pour pouvoir me payer un verre "sur le premier salaire de son nouveau boulot"). Raté : comme d'hab, il n'a pas d'argent sur lui, pour une obscure raison. Je vais donc lui payer un verre au Corto et lui demande ce qu'il veut me dire personnellement (je m'attends à tout). Il me tient des propos totalement décousus et limite paranoïaques sur son honnêteté foncière, son perfectionnisme et le fait qu'il refusera toujours de contresigner un faux à son boulot. En fait, il voulait me voir seul pour me dire exactement ce qu'il a dit à tout le monde deux heures plus tôt. Son disque est rayé.

Du coup, je lui demande si tout va bien (a priori, pas du tout) et s'il se rend compte de l'aspect extérieur qu'il renvoie aux gens. Je lui dit qu'il avait l'air d'un fou en arrivant tout à l'heure et que, si on ne le connaissait pas un peu, on pourrait prendre peur. Mon propos glisse dans son cerveau comme le piéton sur une banane un soir de pluie et il repart dans sa litanie contre les socialistes. Je décide d'en rester là et de reprendre mon bus. Je suis fatigué, non seulement de ma semaine, mais aussi de ce vieux disque populiste rayé. Je ne sais pas quoi faire pour l'aider, vraiment : il a tellement accumulé de rancœur en lui durant toutes ces années...

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