lundi 1 juin 1970

Water lilies in your bathtub [#1.1.1.1.2.2]

(Ô âme perdue ! Le début, c'est ici.)

Mon réveil sonne bien avant l'aube... Comme chaque matin depuis que je travaille, j'ai l'estomac noué et je ne déjeune pas. J'ai juste le temps de me brosser les dents, de me débarbouiller et d'enfiler en vitesse mes vêtements avant de prendre le chemin de la gare. Dehors, la météo s'est clairement rafraîchie. J'observe même les premières traces de gel nocturne. Le magnifique automne que nous avons eu depuis septembre m'avait presque fait oublier que l'été est déjà loin derrière nous... Cette journée de novembre sera une journée froide et – j'en fais le pari ! – elle sera aussi monotone que toutes les journées froides de novembre. Oui, mais si elle ne l'était pas ? Ou plutôt : et si je pouvais choisir qu'elle ne le soit pas ? 

Sur le quai numéro 11 de la gare de Bruxelles-Midi, j'attends mon train vers Liège. Ce dernier finit par arriver avec un retard de sept minutes (c'est clairement dans la moyenne). Dans le wagon, pour une raison que j'ignore, je réfléchis aux actes que nous posons dans la vie. Et aussi à la question du choix. Le libre arbitre existe-t-il vraiment ? un vieux débat... Pour le moment, j'ai plutôt tendance à penser que le libre arbitre n'est qu'une chimère ; que nous sommes déterminés par des forces qui nous dépassent totalement. Je ne suis pas responsable des battements de mon cœur ; ils peuvent s'arrêter à tout moment ; où se situe donc le libre arbitre au milieu de ces contraintes purement naturelles, physiques ?

D'un autre côté, je me souviens également sans raison d'une phrase de mon chef, qu'il m'a lancée il y a plusieurs années, alors qu'il venait d'être nommé chef justement (le choix lui a été plus ou moins imposé) : "On n'a pas toujours le choix dans la vie ! On ne fait pas toujours ce que l'on veut !". Je lui avais répondu quelque chose du genre : "Si, justement ! On a toujours le choix." Par exemple, j'ai le choix de me rendre à mon travail ou de ne pas m'y rendre. Rien ne me lie réellement à quelque chose, si ce n'est une loi, une morale, une obligation familiale acceptée comme telle ou bien encore une contrainte financière... Si je veux les refuser, avec toutes les conséquences que ce refus comporte, je peux toujours le faire ! Dans le train me conduisant au boulot, une pensée s'imprime alors dans mon esprit : "Et si je n'avais pas pris le train aujourd'hui ? Et si j'avais fait tout autre chose de ma journée ?". Aurais-je posé un acte libre ? Peut-être mais je ne l'ai pas fait ! Et si je ne l'ai pas fait, c'est que je n'aurais pas pu le faire, déterminé que je suis par des forces qui me dépassent... Fatalisme, fatalisme !

À la pause-café de 9h30, à mon travail, je bois mes deux cafés habituels. Aujourd'hui, avec l'augmentation des effectifs du personnel, nous sommes au moins six, parfois sept, à consommer ce doux breuvage noir et revigorant. De ce fait, un seul percolateur ne suffit plus à ma consommation personnelle matinale (il me faut au grand minimum quatre tasses) et je suis obligé de lancer une seconde tournée de café directement après la pause. Misère !

Sur le temps de midi, je me rends dans le centre-ville pour acheter une ciabatta chez Pietro le Sicilien et du filet américain à la boucherie Renmans. Comme à chaque fois que je fais ce trajet, je marche le long du quai, en bord de Meuse. Comme d'habitude, je jette un œil aux vieilles usines métallurgiques au loin. Ce paysage industriel en déliquescence ne manque pas de charme, curieusement. 

Durant le repas de midi, ma collègue Charlotte explique qu'elle va devoir se faire opérer prochainement... de la vésicule biliaire, elle aussi ! Elle parle de son chirurgien, qui a l'air aussi fou que le mien : durant la dernière consultation, il a tracé maladroitement au bic sur une petite feuille blanche un losange avec un point en son centre, puis a lancé à Charlotte : "C'est vous ! Vous vous reconnaissez ?". Commentaire de Charlotte : "J'espère qu'il opère mieux qu'il ne dessine !".

Le soir, de retour à Bruxelles, je me rends à la Maison du Peuple de Saint-Gilles, comme d'habitude. Emily est à la table du fond avec son PC portable, comme souvent. Elle travaille à nouveau sur une des formations qu'elle doit donner seule, en décembre. Au bar, ils n'ont plus d'Orval, alors la serveuse (celle que j'appelle Gwen) me sert directement une Chimay blanche. Rien ne change, c'est un peu triste, mais c'est la vie... Durant la soirée, ma serveuse préférée (celle que j'appelle Clémentine) vient débarrasser notre table et nous pose sa question fétiche :

– Vous êtes frère et
sœur, en fait ?
– Euh... Non. Pourquoi cette question ?
– Parce que vous êtes très souvent là, tous les deux...
– Ha ben non, on n'est pas frère et sœur... On ne se ressemble pas vraiment, d'ailleurs, je pense...
– Vous sortez ensemble alors ?
– Euh... Non plus.
Clémentine nous laisse et Emily me lance :
– Elle nous a refait le même coup qu'avec toi et Andrew !
– Yep, sauf que pour Andrew et moi, elle n'a pas osé demander si on sortait ensemble.
– C'est bizarre qu'on ne puisse pas être à deux à une table sans susciter ce genre de questionnement...
– Non, c'est logique !
– "Logique" ?
– Ben oui. On passe beaucoup de temps ensemble... Je suis certain qu'il n'y a pas que cette serveuse qui se pose la question de savoir si nous sommes en couple...
– C'est ridicule...
– Bah !
– De toute façon, moi, mon genre, c'est les petits bruns à lunettes, alors...
– Ouais, ouais, je sais...
– Et puis, t'es pas intéressé par moi, de toute façon, si ?

Coup de téléphone de Léandra, qui me propose de venir boire un verre chez elle. Je lui explique que je suis avec Emily à la Maison du Peuple. Léandra va donc passer nous dire bonjour, "mais pas longtemps..."

Arrivée à notre table, mon amie s'avère clairement déprimée :
– J'ai envoyé un message à Jonas, mais il ne me répond pas.
Arf.
(Assise à côté de Léandra, Emily ne dit rien mais lève les yeux au ciel.)
– On avait dit qu'on regarderait enfin le cinquième épisode de Star Wars ce jeudi, mais je n'ai plus aucune nouvelle. Tous ces enfantillages commencent sérieusement à m'énerver...
– Ce n'est pas nouveau...
– Non, ce n'est pas nouveau. Bon, et vous, sinon, ça va ?

– Bah, ça va, ça va... J'en ai simplement un peu marre de la routine...

Léandra ne commande rien à boire et repart chez elle vingt minutes seulement après être arrivée. Emily la suit de peu et propose de me reconduire chez moi en voiture. Je décline : "Merci, mais je vais encore rester un peu seul. Je dois écrire pour mon blog..."  Emily partie, j'allume le petit ordinateur portable que Léandra m'a temporairement passé et me replonge dans ce putain de projet à la con qui me prend un temps exagérément long et que j'ai baptisé "La journée dont vous êtes le héros #1". ("#1" car dans une crise de folie passagère, je me suis dit que ce serait chouette s'il y avait une "Journée #2".)

Un quart d'heure plus tard, une femme vient s'asseoir à ma table, en face de moi... Je lui donne entre 35 et 40 ans, environ. Elle est un peu "intemporelle", pour tout dire... Élégante, classique en habillement. Un peu triste aussi. Je lui trouve un charme certain.

– Excusez-moi... Je ne vous dérange pas ?
– Non, non, pas du tout...
– Je suis doublement curieuse. Est-ce que je peux vous poser deux questions ?
– Euh... Oui bien sûr...
– Vous avez l'air extrêment concentré sur votre PC... Qu'est-ce que vous écrivez ?
– Hem... C'est compliqué... C'est un projet du genre "l'histoire dont vous êtes le héros"... Je ne sais pas si vous connaissez les "livres dont vous êtes le héros"...
– Oui, bien sûr, je connais.
– Ha... Hé bien c'est un peu la même chose mais avec un blog.
– Un blog ?
(Mon téléphone portable se met à vibrer dans ma poche. Sans doute Lewis, comme d'habitude... Je décide de ne pas m'en préoccuper et de le laisser sonner.)
– Ouais, mon blog, en fait. Un truc assez compliqué... Trop compliqué, je m'en rends compte maintenant... Je laisse la possibilité à mes rares lecteurs de choisir mon histoire du jour. Et pour chaque nœud, pour chaque embranchement, je dois inventer une histoire particulière. C'est la galère totale... Par exemple, le chemin #1.1.1.1.1 équivaut à la journée la plus banale que je puisse avoir. Quant au #1.2.2.2.2, euh, c'est une toute autre histoire.
– Et là, quelle histoire écrivez-vous ?
– C'est là que ça devient marrant. Je suis justement en train d'écrire cette histoire-ci. Le chemin #1.1.1.1.2, celui où je vous rencontre.
– Cette histoire semble assez sympa, non ?
– En effet... Mais d'autres ne sont pas aussi sympathiques, je vous assure, et ce malgré les apparences ! Certaines mènent à ma propre mort, par exemple.
– Oh !
– Oui, enfin, ce n'est pas grave : c'est juste un fantasme complet, hein... Mais vous aviez deux questions, m'aviez-vous dit ?
– Ha... Oui... Je n'ai pas pu m'empêcher d'écouter votre conversation, tout à l'heure, cette histoire de bruns à lunettes, là... Elle est un peu braquée, votre amie...
– Bah, je ne vais pas lui jeter la pierre. Je suis un peu braqué, moi aussi...
– Ha ? (Elle me regarde dans les yeux) Vous avez un genre bien défini vous aussi ?
– Pas autant qu'elle. En tout cas, je me soigne...
– Personnellement, je ne suis pas du tout braquée. Enfin, j'ai appris avec le temps à ne plus l'être... Mais j'aime quand même certains types d'hommes bien définis et (elle me regarde de nouveau droit dans les yeux) vous entrez clairement dans la catégorie...
– Ha... Euh...

Plutôt que de baisser les yeux, comme je fais d'habitude, je soutiens son regard et ne me pose pas trop de questions. Elle me drague, c'est certain. Elle est charmante, elle est intéressante... Vu que je ne la connais pas, qu'est-ce que je risque à essayer quelque chose de toute façon ? Mais que faut-il que je lui dise ? En fait, l'idée est de la voir (ou de l'avoir ?) en dehors de ce café où je passe tout mon temps... 


Je pense à une remarque que Lewis m'a faite, à la buvette du club de badminton : "Il faut que tu penses en termes de stratégie, Hamilton. Que veux-tu réellement et quelle stratégie vas-tu adopter pour arriver à ton objectif ? Il faut que tu exprimes tes désirs, que tu ailles directement à l'essentiel. Tu dois lui proposer un truc, n'importe quoi, qui montre que tu es intéressé." Gnagnagnagna... Je me lance avec : "On continue la soirée au calme, chez moi ?".

* * *

Nous sommes en train de nous embrasser assez fougueusement dans la cage d'escaliers de mon immeuble, sur le palier entre le premier et le deuxième étage. Je la maintiens contre le mur en briques et n'arrête pas de déplacer mes mains sur son corps : derrière ses cheveux, le long de sa taille, sur ses seins, ses fesses, son sexe. T'es en train de la peloter en beauté, quoi, mon petit Hamilton, c'est assez rare pour l'exprimer en toutes lettres... Elle porte une jupe affriolante qui se remonte sans peine. Lors d'une "pause", je lui prends les mains et lui dis : "On pourrait peut-être se donner la peine de monter jusqu'à mon appartement ?". Elle me répond : "Ici, c'est excitant, mais c'est vrai qu'on serait plus à l'aise en haut".

* * *

Pendant qu'elle enlève son manteau et ses chaussures avec un petit sourire, je me dirige vers la chaîne Hi-Fi pour mettre une "playlist cool". Ce soir, pas question de plomber l'ambiance avec du post-rock déprimant ou des murder ballads.

Little Star Of Bethlehem by CAN on Grooveshark

Je reviens vers elle, la pousse contre un des murs de l'appartement et recommence à l'embrasser. Je m'arrête un instant pour déboutonner son chemisier puis enlever son soutien-gorge... Elle me regarde faire. Je reviens à nouveau sur ses lèvres et sa langue. 

J'enlève mon tee-shirt et l'entraîne vers ma chambre. Elle se couche dans le grand lit et m'attend. Nous nous embrassons une énième fois. Je finis par descendre sur son cou, sur ses seins, et couvre son ventre de baisers. J'enfouis ma tête sous sa jupe, décale légèrement sa petite culotte et passe ma langue au centre de sa féminité... Elle place une main sur ma tête, pousse de petits cris pendant que je la lèche.

– Viens... Remonte.
– Déjà ?
– Oui, viens sur moi. Je n'en peux plus.

Je fais glisser sa jupe et sa culotte. J'enlève rapidement mon pantalon et mon slip. Lorsque je la pénètre pour les premières fois, je remarque soudainement que nous avons gardé nos chaussettes. Ce n'est pas grave, on s'en remettra, je pense.

Plus tard, alors que je vais et je viens de plus en plus vite en elle, toujours en missionnaire, ses jambes recroquevillées derrière les miennes, j'ai envie de crier son prénom...

C'est à ce moment que je me rends compte que je ne le connais même pas.

3 commentaires:

  1. Je sais pas si c'est grave pour le prénom, mais t'as surtout oublié de mettre une capote.

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  2. C'est normal, pour deux raisons :
    1) je ne supporte pas les capotes (je sais : c'est pas bien) ;
    2) quand on fait l'amour avec quelqu'un dans son imagination, on n'a pas besoin d'en mettre.

    CQFD

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  3. Tiens, sinon, plutôt que de relever les incohérences dans cette journée qui ne ressemble à rien, vous n'avez pas des monuments mayas ou aztèques à visiter, vous ?

    (Je rigole, hein : merci de jouer le jeu et d'essayer les divers embranchements.)

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